Photomontage de Pacal Coste en Donald Trump

LE SYSTÈME COSTE

Entretien avec Étienne, ancien directeur général adjoint des services du conseil départemental – réalisé par Guevarec

« La Corrèze ne méritait pas cela. » Le propos a d’autant plus de force qu’il n’est en rien celui d’un opposant à la ligne politique de la majorité en place. Il vient d’Étienne, qui a été un proche collaborateur de Pascal Coste au début de la mandature. L’entretien qui suit est un récit de l’intérieur de l’autocratie qui gouverne en Corrèze. Il ne s’agit pas ici de défendre ou la gauche ou la droite, mais bien de dénoncer l’abus de pouvoir et la brutalité, l’assujettissement et la perversité comme mode de gouvernance, malgré une fierté de beaucoup et peut-être de nous-même, effet de fascination masochiste et grégaire, d’avoir ici notre Trump local…

Guevarec : Comment êtes-vous arrivé au conseil départemental de la Corrèze (CD 19)

Étienne : J’ai été contacté fin 2015 par un cabinet de chasseurs de têtes spécialisé dans le secteur public pour être DGA (directeur général adjoint) des services du conseil départemental. Je travaillais alors dans le privé après une passage de cinq ans dans le public, dont DGA contractuel (n’étant pas fonctionnaire) dans un autre conseil général. Pascal Coste était président depuis près d’un an (mars 2015). Dès son arrivée, il a recruté une nouvelle directrice générale des services (DGS). Elle avait comme mission de réorganiser complètement les services, ce qui était justifié d’un certain point de vue. En effet la loi Notre avait modifié les compétences des CD, les privant de la compétence économique par exemple – entre autres dans le système agricole – des transports scolaires, etc. pour les recentrer sur les deux grandes missions désormais dévolues au CD : la cohésion sociale et la cohésion territoriale.
Il était donc cohérent de repenser l’organisation des services. Certains départements l’ont fait, d’autres non, comme la Gironde. En Corrèze, l’organisation remontait aux années Dupont et avait été grosso modo conservée par Hollande et Bonnet. Le changement a donc été radical.

Cette réorganisation consistait en quoi ?

Jusqu’alors il y avait trois directions générales adjointes : le social, le technique (routes, bâtiments…), et une troisième où on trouvait la culture, le tourisme, les collèges. À la place on a créé neuf directions regroupant chacune plusieurs services. De ce fait un échelon (les DGA) était supprimé. Les neuf directeurs étaient donc rattachés directement à la DGS, avec peu de marge de manœuvre.
Dans un conseil départemental le chef de l’exécutif, c’est le président. Ensuite il délègue sa signature, thématiquement aux vice-présidents et techniquement au DGS, aux DGA, aux directeurs et de proche en proche jusqu’aux chefs de services. Là, on a assisté à une vaste suppression de délégations de pouvoir. Le problème c’est qu’au-delà de l’abstraction de l’organigramme, derrière il y avait des personnes à qui on ne faisait plus confiance. Ça allait un peu plus loin que d’habitude. Une des conséquences a été que la directrice générale des services était débordée bien qu’elle soit dotée d’une capacité de travail largement au-dessus de la moyenne. D’où le lancement de ce recrutement d’un adjoint de la directrice générale, un peu son vase d’expansion, pas variable d’ajustement mais presque. Elle déléguait quand elle en avait trop. J’étais l’adjoint qui signe quand elle n’est pas là. Elle m’avait dit : tu t’occuperas de tout ce qui est technique. Mais ce n’était pas précisément défini donc c’était compliqué de se positionner. Dès le début j’en avais conscience mais je pensais que le dialogue et la bonne volonté viendraient à bout de ces zones d’ombre.

Finalement qu’est-ce qui vous motive à venir travailler sur ce poste ?

Étant Corrézien d’origine et motivé par le bien commun j’étais très content de travailler pour mon département et ses habitants. J’avais de Pascal Coste l’image de quelqu’un d’enthousiaste, d’énergique, qui avait une certaine forme de vision et une grande force d’entraînement, une capacité à faire bouger les choses. Même si son côté un peu rude ne m’avait pas échappé. Mais bon, je me suis dit que c’était le défaut de ses qualités… J’ai donc lâché mes autres occupations pour partir dans cette aventure et j’ai démarré le 15 février 2016.
Que se passe-t-il pour que votre
enthousiasme se délite si vite ?

Effectivement j’ai commencé avec beaucoup d’enthousiasme et de volonté de bien faire, avec outre mon expérience technique, ma bonne connaissance de la Corrèze qui était bien utile. En effet j’ai habité à Tulle, Brive, Ussel… J’ai passé mon enfance à Tulle et dans les Monédières. Le directeur des routes me disait en riant que je connaissais mieux le réseau routier que lui !
Ce qui m’intéressait c’était de conduire du changement, de mettre en place une administration qui soit peut-être moins plan-plan, de moderniser, de faire en sorte que ça réponde aux besoins des Corréziens, des citoyens, des administrés… Et donc il y avait un aspect un peu double. Avec mes collaborateurs, ça c’est bien passé. J’ai toujours eu de bons rapports avec les gens au travail. Et puis il y avait le président, Pascal Coste, dont j’ai rapidement découvert la face cachée.

La face cachée ?

Dans l’administration j’étais le numéro deux des services. J’assistais à beaucoup de réunions avec les élus, comme les commissions thématiques où on amène un certain nombre d’éléments pour préparer les décisions. Quand il y a des enjeux un peu importants la direction générale est représentée. Il y a aussi les réunions de bureau qui ont lieu dans le bureau vitré avec les vice-présidents, qui sont une dizaine, le président, le directeur de cabinet, la DGS et le DGA. Nous passons en revue les différents dossiers en cours afin de préparer les sessions (quatre par an), notamment le budget et les DM (décisions modificatives au budget). Presque au début la DGS m’avait chargé de la commission spéciale nouvellement créée sur les actions culturelles de territoire. En effet la nouvelle majorité avait décidé d’un profond changement dans la manière d’organiser le budget culturel et l’aide aux associations.

La majorité ou le président ?

Le président est une grande gueule et il n’y a personne pour lui répondre en face. Donc sous couvert d’une décision collégiale, rares étaient les fois où les positions du président étaient contestées ; ou alors tellement timidement que ça ne changeait pas grand-chose. Donc, il avait décidé de changer l’attribution des subventions. Effectivement, pourquoi pas ; c’est facile dans ce genre d’organisation de tomber dans une forme d’habitude, de clientélisme, de rente de situation… Sur le principe il n’y avait rien d’anormal à se poser des questions pour ne pas tomber dans ce travers. Il y avait une autre idée qui avait émergé : territorialiser une partie du budget des actions culturelles du territoire. La Corrèze était divisée en cinq territoires de projet. Une part de l’enveloppe budgétaire était répartie dans ces cinq territoires. Et ensuite les élus répartissaient leur propre enveloppe selon la pertinence locale. Tout cela avait été décidé dans une grande précipitation avec un calendrier très serré et des services qui n’étaient pas du tout préparés à ça. On avait une enveloppe qu’on devait répartir entre des centaines de structures mais sans consignes très claires. Pour cela j’ai dû bâtir dans la précipitation un immense tableau Excel. Normalement c’est le service qui aurait du le préparer. Mais le président m’avait dit : « De toute façon ils ne sont bons à rien dans ces services, il faut que tu t’en occupes personnellement. »

C’est un peu raide, mais habituellement ça ne se passe pas comme ça ?

Normalement ce qui est préparé par les services est contrôlé par le chef de service, puis le directeur et seulement alors la direction générale, qui vérifie et valide. Encore une fois, je venais d’arriver, j’avais une réelle envie de bien faire. D’autant plus que pour moi c’est un travail qui avait un vrai sens, au service d’un territoire que j’aime, dont je suis amoureux. Il s’agissait de rendre plus proche, moins élitiste, donc sur le principe je ne pouvais qu’adhérer. Mais en pratique, comme ce tableau avait été fait à la va-vite, des erreurs s’y étaient glissées. Je l’ai refait plein de fois. Je m’étais déjà fait engueuler deux fois par le président dans son bureau. Pour finir, une réunion des élus avait été prévue un vendredi soir – le 29 avril, je ne suis pas près d’oublier cette date – à huit heures pour finaliser toute la répartition du budget entre les différentes associations. J’étais là avec le chef de service et les élus : le président et presque tous les vice-présidents. Donc ça a commencé et à un moment on s’est aperçu qu’il y avait encore une erreur de formule dans le tableau. Et là, ça a été un déchaînement de violence verbale inimaginable contre moi mais aussi contre le chef de service. Nous avons été vraiment paralysés sous le flot d’insultes, dont certaines d’ailleurs à caractère pénal.

Personne dans la salle n’est venu à votre rescousse ?

Pas un seul des élus n’a moufté. Certains en ont même rajouté. C’est dire leur courage et leur respect des personnes… Le lundi, je suis revenu et j’ai demandé un rendez-vous en urgence à Pascal Coste pour le lendemain.
Ma lettre de démission à la main, je suis entré dans son bureau en lui déclarant que je n’étais pas venu ici pour me faire traiter de la sorte. Et là, Coste m’a fait le grand numéro de la séduction costienne : « Mais oui, c’est vrai que je m’emporte, mais bon, voilà, on a besoin de toi, je vais faire des efforts, tous ceux qui me connaissent savent que je suis un bon gars et que souvent ce que je dis dépasse ma pensée. » Finalement j’ai remballé ma lettre de démission. J’avais encore envie d’y croire… En attendant, quelques jours plus tard, profondément atteint par les injures personnelles qu’il avait subies, le chef de service a été arrêté pour plusieurs mois. Puis les choses ont repris et elles ont continué.

Il y a eu d’autres épisodes du même type ?

Oui hélas ! Comme dans le cadre du projet-phare du mandat : le désenclavement numérique. C’est une compétence qui avait depuis longtemps été déléguée au syndicat mixte Dorsal Limousin. Quelles que soient les majorités, le département avait été assez suiviste, avec des représentants qui laissaient faire le syndicat mixte sans disposer d’une vraie vision. Et la Corrèze ne pesait pas tellement au regard des financements qu’elle y mettait. Pascal Coste, à juste titre, estimait qu’il fallait que la Corrèze reprenne la main sur cet outil et que le syndicat mixte devait appliquer la politique définie en Corrèze. Sauf qu’en Corrèze il n’y a pratiquement aucune compétence technique en interne. Je lui ai fait rencontrer un bureau d’études avec lequel j’avais travaillé sur ce dossier dans un autre département. La Corrèze aurait enfin les billes qui lui permettraient de négocier à égalité avec Dorsal. Nous avons donc pu commencer à bâtir un vrai projet, pour imaginer un déploiement en fonction des priorités politiques et non technocratiques. Dans la plupart des territoires cela se faisait selon des logiques économiques, en commençant par les villes, où il est facile de construire rapidement beaucoup de prises, même si ce n’est pas là qu’elles sont le plus attendues. Mais en Corrèze, la majorité voulait commencer par les zones les plus rurales, quitte à prévoir du renforcement du réseau cuivre pour tenir jusqu’à la fin du projet prévu en 2025, voire 2030. À la demande de Pascal Coste j’ai donc commencé à écrire le rapport qui devait être voté lors de la session du 8 juillet. Légalement il fallait donc qu’il soit écrit, validé et transmis aux élus au plus tard deux semaines avant, le vendredi 24 juin. Mi-juin, il a subitement décidé que, premièrement, toute la Corrèze devait directement être raccordée en fibre optique et que, deuxièmement, Tout devait être fait pour 2021. Je n’ai donc eu que quelques jours pour reprendre de fond en comble ce rapport, tout seul en plus car je n’avais même pas le droit de me faire aider du seul technicien compétent. Paranoïa des fuites pour garder l’effet de surprise ?

Et donc ça s’est passé comment ?

Je me souviendrai toujours de ce vendredi 24 juin 2016, où il fallait envoyer le rapport aux élus avant le soir. Ce jour-là Pascal Coste n’était pas là, il était en route pour Barcelone pour assister à la finale du Top 14 entre Toulon et le Racing. Il y a des priorités quand même !… Pendant qu’était en train de s’écrire le projet phare de la mandature… Donc je lui envoie par internet une première version. Vers dix heures il m’appelle pour m’agonir d’injures, en me traitant de traître, de saboteur, d’incapable et j’en passe. J’essaie de rester calme en lui demandant plutôt ce qu’il souhaite concrètement voir modifié afin qu’on puisse avancer. Il y aura ainsi trois ou quatre retours aussi violents pour qu’au bout du compte, en fin d’après-midi, il daigne enfin exprimer sa satisfaction.
Le 8 juillet, jour de la fameuse session où ce rapport historique a été voté, j’étais dans un état d’épuisement total.

Ah ok, à ce point…

J’ai repris le 1er août tout autant épuisé après pourtant trois semaines de vacances. La DGS était en congé et je devais assurer l’intérim. Dès le 2 août, pour une histoire tout à fait futile de route à refaire dans son canton, je mets Pascal Coste en copie d’un mail banal, en appliquant un principe qu’il avait énoncé devant tous les maires de la Corrèze. Il me rappelle depuis son lieu de vacances en me hurlant dessus : « tu n’as rien compris, tu fais tout pour discréditer les élus…» Pour en avoir le cœur net j’appelle le directeur de Corrèze Ingénierie, qui me confirme qu’il avait bien compris la même chose que moi et que le président venait de dire l’inverse de ce qu’il avait énoncé devant tous les maires moins d’un mois auparavant. Je me traîne tant bien que mal le reste de la semaine en cette période pourtant très calme… Et le lundi 8 août, c’est le néant : toute la journée je reste devant mon ordinateur sans être capable de rien faire. Quinze jours d’arrêt de travail. C’est un burn-out, même si je ne le sais pas encore. À mon retour, nouvel échange avec Pascal Coste à qui je dis que ce n’est pas possible de continuer comme ça. Il me répond : « Je sais que ma méthode est la bonne, je ne changerai rien.» Dans la foulée je lui annonce alors ma démission. Sec, comme ça. Rien à négocier, rien à demander. Maintenant, c’est moi qui décide. Je reprends ma liberté, quel qu’en soit le prix. Même si j’aime beaucoup mon travail, j’ai le sentiment absolu que c’est ma survie qui est en jeu. Aujourd’hui la page est tournée. Mais il m’aura fallu deux ans et une difficile traversée du désert pour me reconstruire après cette implacable entreprise de démolition. Au moins ça m’aura permis d’apprendre ce que sont un burn-out et un pervers narcissique. Les deux vont si bien ensemble !

Édifiant. Il pourrait nous être rétorqué qu’il s’agit là d’un cas isolé. Mais nous avons sous le coude d’autres témoignages de mises au placard, de gens qui ont subi la terreur du chef, descendant de subordination en subordination jusqu’au simple employé. Et puis il y a assurément tous ceux qui n’osent pas dire et les loyalistes qui pensent que critiquer le patron reviendrait à mettre à mal le parti. Ce témoignage leur donnera peut-être le courage de le faire. L’enjeu n’est pas, comme dit dans l’introduction, de fustiger un camp politique mais bien de savoir si ce mode de gouvernance autocrate a encore cours de nos jours. Les Corréziens veulent-ils être gouvernés de cette manière ?¹ Le parti Les Républicains défend-il encore ce type de projet de société ? La République n’aurait-elle pas intérêt à sortir de l’organisation en petites chefferies pour réaffirmer son attachement à la démocratie (pouvoir du peuple par et pour le peuple) ? Pour cela il faudrait qu’il ait réellement de l’opposition, afin que cette autocratie devienne délirante et dérisoire plutôt que d’être validée par consentement tacite comme système de pouvoir, celui de la toute-puissance.

La question qui se pose aussi est de savoir quelle est la place des médias dans ce système fait d’autoritarisme et de silence, puisque quelques semaines après sa démission, Étienne a contacté un journaliste de La Montagne qui avait rédigé un article sur le malaise chez les employés du CD². Il lui avait raconté son histoire en concluant : « Le malaise a un nom : il s’appelle Pascal Coste. » Le témoignage est resté lettre morte. Le journal régional n’a pas trouvé qu’il y avait là de quoi poursuivre son investigation…

1 – le système d’élection indirect par cantons fait que Pascal Coste est président du conseil départemental avec seulement 3 818 personnes qui ont effectivement voté pour lui (61,48 % des votants de son canton du midi corrézien), c’est à dire 4,56 % des suffrages exprimés. Juste de quoi gouverner avec beaucoup d’humilité.
2 – « Les résultats calamiteux d’une enquête auprès des 1 400 agents – La CGT dénonce les conditions de travail », article paru dans La Montagne du 22 octobre 2016, page 5.

 

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