Dessin de Mancho représentant un smartphone dépité disant "Je suis déprimé ! Je suis un smartphone, je suis un téléphone intelligent ! Et on m'utilisde pour partager des photos de bouffe !"

Smartphone-moi pas !

En 2017, le cabinet Deloitte a publié une étude sur le comportement et les habitudes des français avec leur smartphone. On y apprend que 77 % des personnes de dix-huit à soixante-quinze ans en possédaient un en 2016, que les jeunes le consultaient ou y passaient du temps en moyenne cinquante fois par jour contre vingt-six fois pour les autres, les pas-jeunes, les plus de vingt-cinq ans. Que pour 81 % de ces personnes, il accompagne les repas en famille ou entre amis (!) et que c’est un réflexe dans les cinq minutes qui précèdent l’endormissement et directement au réveil pour plus de 20 % (mais à mon avis, ça deviendra réellement impressionnant quand ils parviendront à le consulter avant même de se réveiller ou après s’être endormi…). Qu’il arrive à 41 % de l’allumer (hors vérification de l’heure) au cours de la nuit (peut-être les usagers les plus accros deviennent-ils insomniaques ?) et que 66 % profitent de l’occasion de traverser la rue (!!) pour y jeter un œil…

Les chiffres qui illustrent le rapport des français avec leur smartphone, pour significatifs qu’ils sont, n’étonneront personne… Mais devant l’importance de la pénétration de ces usages dans nos vies, on peut se demander en revanche qui sont les autres, les sans-smartphone, et même et surtout celles et ceux qui ont choisi de ne pas posséder de téléphone portable du tout. Se demander par exemple ce qu’ils peuvent bien faire quand ils se réveillent au milieu de la nuit, ou au moment de traverser la rue…

J’ai discuté avec deux personnes qui font partie des 6 % de français pour qui, en 2018, aucun téléphone portable n’était entré en possession de leur vie. Je me dis en écrivant ces lignes qu’il fait froid dans le dos le monde où plus personne ne vivrait sans téléphone dans la poche.
La première, Christel, est herboriste près de Tulle.

Christel, pourquoi n’as-tu pas de téléphone portable ?

Je n’en ressens pas le besoin. En règle générale j’évite tout ce qui me paraît être de la standardisation, ce que tout le monde a, tous les il faut. L’obligation du GPS pour se repérer par exemple. Quand je vais quelque part je cherche sur une carte, je demande, et je finis toujours par trouver. Je veux limiter mes dépendances.
Pourtant j’en ai eu un il y a treize ou quatorze ans, mais c’était surtout la lampe de poche qui me plaisait ! J’ai décidé de m’en passer quand j’ai pris conscience de l’impact écologique, de celui des ondes sur la santé et surtout du contrôle et de la manipulation que cet objet engendre. L’humain est trop prévisible ! Ceux qui ont le pouvoir, je pense aux GAFAM (les géants du Web : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) utilisent cet objet pour leurs intérêts. Ils s’enrichissent pendant qu’on s’abrutit.

Est-ce que ce choix ne complique pas la vie des autres ?

Ce choix complique sûrement plus la leur que la mienne… mais c’est ainsi. Il y a en effet une certaine pression de l’extérieur. Dans le cadre de mon entreprise par exemple, mes interlocuteurs et mes clients pensent qu’ils ne parviendront pas à me contacter. Alors qu’il suffit de m’appeler sur mon fixe. Le soir, j’écoute mon répondeur et je rappelle les gens.
Ce qui est drôle c’est que mes amis veulent sans cesse me donner des téléphones ! Alors que je leur répète que ce n’est pas par manque d’argent que je n’en ai pas !

As-tu parfois l’impression de passer à côté des choses ?

Non, au contraire ! De ne pas avoir cette relation avec un téléphone (sic), je sens que les choses se font simplement, naturellement, sur le moment. Si j’ai un rendez-vous et que la personne est en retard, j’observe ce qui m’entoure ou je vais discuter avec le gars qui balaie les feuilles dans la rue… et si la personne n’arrive toujours pas, je m’en vais… Elle me dira certainement plus tard ce qui lui est arrivé. En tout cas je le vis vraiment comme une liberté. Et puis si on ne me prévient pas toujours de ce qu’il se passe… ça n’est pas très grave.

Ça me rappelle des souvenirs ! Les rendez-vous un peu vagues, les heures à attendre les copains sur le cours Mirabeau, à faire des rencontres, donc à se faire de nouveaux copains…

Hervé Krief, (au centre) l’auteur et Olivier Bodilis, de la librairie « Passage » à Brasparts étaient de passage à la Maison de la Presse jeudi matin.

© Le Télégramme

Le second, Hervé, est musicien et professeur de musique. Il vit en Creuse et a écrit un bouquin sur la question de la connexion permanente et du coût qu’elle a sur nos vies : Internet ou le retour à la bougie. Il n’a plus de téléphone portable depuis 2012. Avant cela, Il avait commencé à s’interroger sur le fait que pour alimenter notre dépendance technologique, nous détruisions la planète et notre santé ; puis le documentaire Du sang dans nos portables a mis des images sur les méfaits généralisés de cette filière. Il fait aussi partie du collectif Écran total qui réunit des personnes qui ont décidé de se passer de téléphone portable et de l’Internet.

 

Du sang dans nos portables – Spécial Investigation from LeFaucon24 on Vimeo.

Ne plus avoir de portable, Hervé a qualifié ça de « Libération superbe ! ». Pour lui ces téléphones (et le numérique en général) n’ont pas été additionnés au monde tel qu’il était : le monde s’est plutôt transformé, et même assez radicalement, sous leur influence. Il me parle des métiers qui changent : aujourd’hui, on est toujours potentiellement en train de travailler. Et en effet, qui attend le lendemain pour lire et répondre à ses mails de boulot ? L’hyper-réactivité est de mise. C’est exactement ça : « c’est l’immédiateté qui fait loi dans ce nouveau monde ». Il n’est plus calé sur le rythme de l’humain mais sur celui de la machine qui en plus formate nos esprits à « une extrême conformité sociale. » Au lieu de nous libérer, « le téléphone nous exproprie de nous-mêmes » et nous aliène encore plus. Au monde marchand en particulier, avec lequel nous sommes dorénavant en lien constant dès le plus jeune âge.

Il m’explique qu’il lui a fallu accepter de quitter cet environnement habituel, cette expérience commune, accepter que ce téléphone n’était pas un besoin réel. Et que pour cela une solidité affective, psychologique et spirituelle assez forte était nécessaire, car tout est fait pour nous convaincre que c’est indispensable. La puissance de l’impact de cette société marchande, du tout tout de suite, de la désinformation et des liens virtuels est démultipliée car on a toujours son téléphone avec soi. Ce lien permanent fabrique d’ailleurs selon lui, au contraire de ce qu’on pourrait – naïvement – croire, une société disloquée, distendue. Et on a à peine évoqué la surveillance possible que cet appareil engendre…

Il me dit lui aussi avec un sourire dans la voix qu’en tout état de cause, ça ne complique pas du tout sa vie. Les gens autour ont en revanche l’impression que ça complique la leur. Il me donne l’exemple de ses élèves qui ne peuvent le prévenir en cas de retard ou s’ils ne viennent pas à un cours. Mais puisque lui est sur place, si ce cas de figure se présente, il le constate tout simplement et cela lui suffit. Les explications, si tant est qu’elles soient utiles, peuvent attendre : il ne ressent plus d’urgence. Les imprévus de la vie sont respectés pour ce qu’ils sont : une partie intégrante du champ des possibles… Ça s’appelle juste être vivant.

Et si les copains qui ne peuvent le joindre par SMS organisent des trucs sans lui : c’est tant pis. Toujours préférable en tout cas à être joignable en permanence.

Par Bel Ami

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