L’ECOLE A L’ECOLE, LA MAISON A LA MAISON, et les moutons seront bien gardés

À l’heure où Emmanuel Macron envisage d’interdire l’instruction en famille (IEF), j’ai rencontré deux familles corréziennes qui la pratiquent. Paul et Hélène avec leur fille de 9 ans (et leur bébé) et Emmanuelle et Jean-Baptiste, avec leur quatre enfants entre 10 et 3 ans (et leur bébé, leurs deux plus grands étant à l’Université. Oui, vos comptes sont exacts : ça fait bien sept enfants en tout !).

Ça arrive comment dans une famille, l’école à la maison ?

Hélène : Je ne fais pas l’école à la maison, sinon on irait à l’école. Notre fille y était inscrite pour sa première rentrée, dans une classe de petite section de trente-deux élèves. […] Par la suite, on lui a demandé si elle préférait avec ou sans école : elle a choisi sans. Pendant les soit-disant années de maternelle à la maison, on a juste fait la vie, en se basant sur les apprentissages autonomes. Jusqu’à la première inspection, en CP, où on avait rien de formel à présenter, excepté un gros dossier d’arts plastiques. L’inspecteur a été gêné, pourtant j’ai essayé de valoriser les autres apprentissages… apprendre est lié au besoin, alors compter deux par deux…

Emmanuelle : J’ai développé un intérêt pour les pédagogies alternatives quand nos deux grands étaient à l’école, je me suis formée […]. À la naissance du quatrième j’ai arrêté de travailler, j’étais disponible pour me lancer dans l’aventure.

Les avantages et les inconvénients de l’instruction en famille ? La socialisation, le sacro-saint programme… Vous en dites quoi ?

Hélène : J’ai les enfants à plein temps, aucun relai. Il n’existe pas de structures, en dehors des vacances, pour accueillir ton môme et tu as l’interdiction de te regrouper entre non scolarisés car il est interdit de confier l’instruction de ton enfant à d’autres personnes, par peur des dérives sectaires. Mais le pire, c’est la pression sociale ; les gens passent leur temps à dire «  Mais tu ne vas pas à l’école, tu es malade ? », quand il répond qu’il est non scolarisé, c’est «  mais tu veux pas apprendre à lire ? «  ou «  mais alors tu n’as pas de copains ?  » […] Les gens essaient de coller l’idée d’héritage, que tu as été, toi parent, traumatisé par l’école et que c’est pour ça que tu ne veux pas y mettre tes gamins. 

Paul : Moi je trouve ça normal qu’on ne puisse pas confier l’éducation de son enfant à d’autres, ça évite qu’un service privé de la non sco prenne le créneau. […] Un inconvénient, c’est que la non sco est impossible pour une femme toute seule au RSA… La réalité socio-économique des familles trie les possibles. Bon, ce serait quand même à vérifier lors des regroupements nationaux.

Emmanuelle : L’IEF est efficace, les enfants ne sont pas trente dans une classe, on peut adapter les rythmes et les apprentissages, qui nous prennent peu de temps. Il nous en reste énormément pour cuisiner, aller dehors, bricoler, rencontrer des gens… Ils viennent avec nous aux concerts, à l’atelier poterie, font les courses, chez le garagiste… Ils participent à la vie quotidienne, ont beaucoup d’interactions avec les gens de tous âges, de tous métiers. L’école de la vraie vie n’est pas déconnectée du monde réel. Ils sont à l’aise avec tout le monde, contrairement à nos grands qui n’étaient bien qu’avec les enfants, pas avec les adultes qui représentaient l’autorité. Nos petits n’ont pas de distance avec les autres humains.

Hélène : Il n’y a qu’à l’école qu’on te met avec trente personnes nées la même année que toi. Nous, tous les jours on voit des gens, c’est la richesse du multigénérationnel !

La loi pour lutter contre les séparatismes qui interdirait l’IEF, vous en pensez quoi ?

Jean-Baptiste : La question a été posée aux enfants après le confinement : 70 % étaient contents de retourner à l’école. Ce chiffre est présenté comme un argument contre l’IEF mais pour moi, il peut être retourné. Déjà 30 % préfèrent rester confinés à la maison… Et de plus, ce qu’ont vécu ces 70 % n’ont rien à voir avec ce que vivent les enfants non-scolarisés ! […] La majorité des familles qui déscolarise leur enfant ne le fait d’ailleurs pas par choix : entre les troubles dys (1), les handicaps, le harcèlement… Ça peut concerner tout le monde !

Hélène : Ça ne m’a pas affolée, ça me semble juste insensé. Il est vrai que c’est une liberté qui perdure dans une société liberticide.

Emmanuelle : Je suis incrédule face à la grossièreté de l’argument. La plupart des familles IEF pense avant tout au bien être de leurs enfants ; les anti-républicains sont extrêmement minoritaires. L’Éducation nationale est d’accord avec moi : elle a publié en octobre 2020 un guide sur l’Instruction dans la famille destiné aux inspecteurs et aux maires : « Les cas d’enfants exposés à un risque de de radicalisation et repérés à l’occasion du contrôle de l’instruction au domicile familial sont exceptionnels ». M. Blanquer a déclaré le 18 juin il était auditionné par le Sénat pour le rapport sur la radicalisation − quand J-M Bockel lui a demandé s’il était utile de durcir les contrôles ou d’interdire l’IEF : « […] cette liberté d’instruction à domicile a un fondement constitutionnel puissant mais qui doit s’équilibrer avec d’autres principes notamment les droits de l’enfant ; C’est pourquoi j’ai pu dire à l’Assemblée nationale et au Sénat qu’il fallait encadrer d’avantage et c’est ce que nous avons fait. […]. Il y a donc encore des progrès concrets à faire mais sur le plan juridique, je crois que nous sommes parvenus à un bon équilibre. »  Des contrôles inopinés ont été mis en place, alors pour les familles qui ont quelque chose à cacher, l’IEF ne paraît pas la meilleure solution !

Et si ça passe ?

Jean-Baptiste : Il est possible que ça passe. On essaie de sensibiliser les députés. Plusieurs nous ont répondu qu’ils étaient contre cette interdiction glissée au milieu du reste mais pour la loi en général et que s’il n’y avait pas d’amendement, ils voteraient quand même pour. Si elle passe en processus accéléré les députés risquent de se concentrer sur les amendements qui concernent une plus grande frange de la population. […] Il y a la notion de constitutionnalité du texte, mais si aucun député ne saisi le Conseil (avec vingt-neuf soutiens), ça passera.

Emmanuelle : Beaucoup de familles parlent d’inscrire leurs enfants dans des écoles alternatives mais ça n’est pas possible pour nous. […] On réfléchit à contourner le problème : quitter le pays, partir en itinérance… On pourrait aussi mettre nos enfants dans une école si on n’avait plus le choix, mais ce qui nous préoccupe avec cette loi, c’est tout ce qui va suivre : l’interdiction des écoles alternatives, la scolarité des enfants de plus en plus tôt… La grande uniformisation, la moindre différence va faire peur… Cette société va contre nos valeurs humanistes.

Jean-Baptiste : Sous prétexte de républicanisme, les gouvernants vont contre les libertés des individus ; et sous couvert de laïcité, alors que la laïcité ne concerne que l’État. Les citoyens n’ont pas être laïcs ! Si demain l’État nous propose une école digne de la République, on y mettra nos enfants. Aujourd’hui, l’école est néo-libérale. Et en terme de résultats, elle le dit elle-même, elle est inefficace (2).

Propos traduits par Charlotte Ollier

(1) Les troubles de l’apprentissage telle la dyslexie.

(2)Voir la rubrique « La France championne du monde des inégalités scolaires »des n° 23 à 30de LTC.

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