Bientôt trois ans que le Syndicat de la Montagne limousine a été officiellement créé sur le plateau (voir LTC n° 27). Il marque la volonté des habitants de prendre la main sur l’avenir de leur territoire. Nous avons rencontré Françoise et Benjamin, tous deux très investis et qui nous ont donné des nouvelles de ce bel outil.
– Bonjour Françoise et Benjamin, pouvez-vous nous présenter le syndicat ?
Il a commencé à prendre corps pendant la Fête de la Montagne limousine de 2017, mais on en parlait déjà depuis quelques années. De façon générale, sa vocation est de permettre aux habitants du plateau de faire entendre leur voix.
– Benjamin, tu fais partie du groupe Eau. Est-ce que tu peux nous dire d’où est venue l’idée de ce groupe de travail ?
Il s’est créé quand il y a eu le transfert obligatoire aux Communautés de communes de la gestion de l’eau potable. On a d’abord travaillé sur la question des régies d’eau, parce que celle-ci touchait au plus près tous les habitants de la Montagne. Petit à petit on a élargi le spectre. On sentait bien qu’il y avait de gros enjeux, que la question n’était plus simplement de savoir comment l’eau était régie, mais qu’il y avait une vraie pression sur la ressource elle-même ; sur la quantité et la qualité de l’eau.
– Quels sont vos objectifs, vos moyens de réflexions et d’actions ?
On essaie d’ouvrir des espaces de discussions, de trouver le moyen d’impulser une culture populaire de l’eau. Parce que le constat qu’on a pu faire, notamment quand on a préparé la Fête dans le chevelu de la Vienne, est qu’il y a un état de relatif abandon de la rivière sur la Montagne, et que des ouvrages parfois relativement conséquents en pierre ont quasiment disparu en l’espace de deux générations.
Quand on marche sur une portion de rivière, on comprend que c’est un espace qui était très habité jusqu’à une période récente. La rivière était vraiment au centre de la vie commune ; c’était à la fois une ressource piscicole, ressource motrice pour les moulins, et un vecteur d’autonomie des villages. On voit bien d’ailleurs, dans la disposition même des villages, que chaque village de la Montagne est situé soit près d’une source, soit près d’un ruisseau, soit au bord de la Vienne.
Depuis notamment l’apparition des énergies fossiles ou de l’énergie nucléaire, cet espace est relativement abandonné et les usages d’aujourd’hui sont essentiellement des usages de loisirs, donc relativement limités. On peut ainsi planter des sapins ou faire des coupes rases jusqu’au ras de la rivière avec tout l’impact que ça peut avoir sans que personne ne s’en émeuve.
En parallèle, on constate qu’on a délégué complètement la question de la rivière et de la ressource en eau à des institutions dont on espère qu’elles vont régler le problème, mais dont on voit bien, à l’épreuve de ces dernières années, que s’il n’y a pas une mobilisation des habitants et une saisie des enjeux de leur part, elles sont condamnées à faire de la communication ou alors des actions, certes, mais sous la pression de différents groupes, constitués d’intérêts qui sont souvent très loin, ou en tout cas pas suffisamment proches, des intérêts des résidents. On va souvent avoir un groupe lié au monde agricole, un autre au monde industriel, à ceux qui sont sur les productions énergétiques et l’hydroélectricité… Ceci notamment parce qu’on a aussi cette spécificité, là, sur le plateau de Millevaches : d’un côté, un abandon des rivières, mais de l’autre, des rivières qui sont un gros pourvoyeur d’énergie. Elles sont donc transformées en sorte d’acheminement d’eau pour produire de l’hydroélectricité. Ce sont des enjeux forts. Et si le citoyen est trop éloigné de ça, comme c’est malheureusement le cas aujourd’hui, on laisse alors les différents intérêts trouver leurs accords, souvent au détriment des populations locales.
– Comment s’y prend-on pour développer une culture populaire de l’eau ?
On a organisé cet événement au long cours, la Fête dans le chevelu de la Vienne.
Le besoin se faisait sentir de faire une espèce d’état des lieux de la situation et d’aller au plus près des habitants, des élus, des usagers de la rivière et de l’eau pour le faire.
Partager tous les points de vue sur cette question-là, dans l’idée de publier autour de ça. Parce que depuis un certain nombre d’années, depuis que l’eau coule au robinet, c’est devenu quelque chose d’un peu invisible. On ne sait pas d’où elle vient ni où elle va, on considère qu’elle va toujours affluer, que la rivière coulera toujours dans le même sens. Sauf que là, il y a un certain nombre de choses qui font que ce ne sera pas forcément toujours le cas et qu’il nous faut un peu anticiper ces questions-là.
On savait qu’il y avait un certain nombre d’institutions qui se préoccupaient de la question mais personne, en tout cas parmi nous, ne comprenait très bien qui intervenait, à quel endroit, qui avait un pouvoir et pourquoi, et où il y avait des leviers pour changer quelque chose à la situation. On s’est dit qu’il fallait faire une invitation ouverte à tous les gens intéressés ou qui ont une expérience à partager, pour pouvoir mettre en commun tous ces éléments d’information et travailler ensemble à trouver des solutions. Et qui soient rapides, peut-être moins contraintes que certaines décisions dans le champ institutionnel.
– Comment s’est-elle déroulée, cette Fête ?
Douze jours d’itinérance dans le haut bassin de la Vienne, depuis les sources de la Vienne jusqu’à Saint-Léonard-de-Noblat avec deux ou trois rendez-vous par jour : rencontre, randonnée, visite. Ceci à la centrale hydroélectrique de Faux, la centrale privée de Charnaillat, autour des tourbières de Lachaud (à Gentioux), au bord des ruisseaux… il y a eu une descente en kayak, une balade avec des ânes, etc.
On avait invité très largement tous les acteurs du territoire à participer à ces moments de rencontres.
Il y a eu des regards et des approches très variés (scientifique, technique, politique, historique, ethnographique, artistique mais aussi vernaculaire), avec les récits d’usagers quotidiens de la rivière, (pêcheurs, agriculteurs, randonneurs, kayakistes, simples riverains).
A aussi été organisée une rencontre avec les institutions publiques qui ont en charge la gestion de l’eau sur le territoire, notamment l’Établissement public territorial du bassin de la Vienne et le Parc naturel régional. On a abordé l’impact des pratiques humaines sur la rivière, les pratiques sylvicoles et agricoles, l’importance des continuités écologiques et ce que nous pouvons faire pour les restaurer… On a parlé de l’hydroélectricité, l’impact et l’intérêt de la chaîne de barrages de Vassivière, l’ambivalence du regain d’intérêt pour l’hydroélectricité en période de réchauffement climatique, la question des grands barrages et de leur privatisation, et des micro-centrales de production hydroélectrique, qui apparaissent parmi les pistes d’autonomie énergétique locale dans beaucoup d’endroits, et qui sont portées par différentes associations ou mairies. C’est la question de la possibilité d’avoir une bonne hydroélectricité sur le territoire et qui n’impacte pas de manière trop forte la rivière et son écosystème et permette, en même temps, d’avoir des ressources d’autonomie énergétique, de production énergétique locale. La question de la marchandisation de l’eau puisque, ailleurs dans le monde, on voit bien que la sécheresse et la raréfaction de l’eau amènent à une logique de marchandisation, avec des grands groupes qui s’accaparent la ressource. Il y a un vrai danger de ce côté-là.
– Avez-vous prévu de reconduire l’expérience ?
Oui, on voudrait faire la même chose pour chaque bassin versant qui traverse la Montagne et on fera certainement quelque chose de similaire pour la question du foncier.
– Françoise, tu es dans le groupe Juridique. Comment ça marche ?
C’est un groupe qui a été créé en même temps que le Syndicat donc un des tout premiers. C’est quelque chose qui existait déjà, mais de façon plus informelle. Des gens qui donnaient des coups de main sur des problèmes administratifs ou autre.
On a des permanences toutes les semaines, dans cinq communes différentes et dans différents genres d’endroits. Certains sont plus à l’aise si ça se passe dans un lieu institutionnel, comme à la médiathèque de Royère-de-Vassivière, et d’autres qui préfèrent si c’est dans un endroit comme La Renouée, à Gentioux, un tiers-lieu associatif.
Il y a aussi Peyrat-le-Château, Tarnac ; et Eymoutiers, sur rendez-vous.
Nous sommes trois à tenir des permanences avec une personne-ressource présente plus ponctuellement, ainsi qu’un réseau pour des sujets particuliers ou pour faciliter les rencontres avec les personnes concernées. Deux d’entre nous ont des maîtrises de droit. Moi je n’ai fait qu’une année de droit, dont j’ai gardé quelques notions et une familiarisation avec le langage juridique. Il y a finalement beaucoup de choses qu’on peut trouver seul. Nous avons aussi un petit carnet d’adresses d’avocats auxquels nous pouvons faire appel quand ça dépasse nos compétences. Mais finalement c’est rarement nécessaire.
On a souvent des gens en difficulté avec les administrations, des conflits avec les assurances. Des histoires plus juridiques, aussi.
Ce qui m’étonne toujours depuis le temps, c’est de voir des gens se confronter à un mur depuis des mois, baladés d’un service à un autre, sans jamais être entendus, et quand une autre personne appelle pour eux, ça débloque la situation. Les gens en face se disent-ils :« Cette personne n’est pas seule, peut-être qu’il y a des avocats derrière » ? C’est incroyable.
Si vous avez besoin d’un coup de main, ou si vous voulez nous en donner, n’hésitez pas !
ANGÈLE
Pour aller plus loin :
Campement d’été : 29, 30 et 31 juillet :
• Proposition de présentations, ateliers ou activités : syndicat-montagne@ilico.org ;
• Groupe Eau : eau@syndicat-montagne.org ;
• Groupe Juridique : 07 84 51 14 75 – groupejuridiquedelamontagne@riseup.net.