Illustration d'un élèves travaillant à distance pendant la période de confinement

Rep+ et école à la maison en Corrèze

Manu¹ est professeur des écoles, dans un établissement scolaire appartenant au Réseau d’éducation prioritaire renforcé (Rep+, cf. encadré). Elle a en charge une classe d’une vingtaine d’élèves. Elle aime son métier : « enseigner dans cette école, en Rep, est un choix », me dit-elle. Elle me raconte sa classe à la maison, les choix d’équipe, les doutes, les questionnements.
Paroles d’une professeure des écoles confrontée à l’école confinée.

Une classe de CE2

J’enseigne dans une classe d’une vingtaine d’enfants. Un maître E, un professeur spécialisé en pédagogie pour enfants en difficulté, est affecté à notre école. Des groupes de besoins dans les domaines fondamentaux comme la lecture sont constitués et le maître E intervient auprès d’eux. Cela demande beaucoup de travail de concertation entre tous les maîtres. J’aime ce travail d’équipe.
Moi, je fais aussi ma classe avec des groupes de besoins qui diffèrent en fonction des enseignements. Mon objectif est de faire progresser chaque enfant en m’adaptant à son niveau de difficultés.
Dans ma classe, à la rentrée de septembre, trois élèves de la classe ne maîtrisaient pas la lecture.Il y a une grande diversité d’origine linguistique. Certains sont arrivés il y a très peu de temps. Ils ne parlent pas français lorsqu’ils arrivent, et il arrive que la langue parlée à la maison ne soit pas le français. J’accueille aussi des enfants de familles nombreuses monoparentales. Oui, il peut y avoir de l’absentéisme, mais cela concerne peu d’enfants.
Je ressens que les enfants sont contents de venir, ils sont volontaires, on essaie de les inclure dans des projets de classe qui les motivent.

« Les crèches, les écoles, les collèges, seront fermés… »

Le matin du 13 mars, lendemain de l’annonce des fermetures d’école, j’ai voulu rassurer les enfants. Trois élèves étaient absents dont deux depuis la rentrée de février, à cause du virus. Trois ne savaient encore rien. On a beaucoup discuté, j’ai répondu à leurs questions, j’ai écouté leurs histoires. On a répondu aux questions des parents quand ils sont venus chercher les enfants. Nous, les enseignants, étions abasourdis et nécessairement dans l’urgence.
Les instructions officielles sont arrivées à 15h30, une heure avant la sortie. On a prévu de tous se retrouver, le lundi 16 mars pour tout organiser. On sait que nos élèves ne sont pas bien équipés en ordinateurs. Nous avions envisagé de donner des consignes papier en début de semaine, et de récupérer le travail fait en fin de semaine, en faisant bien sûr attention à tout.
Les élèves sont partis à 16h30, avec tous les manuels dans leur sac, consigne donnée par notre inspectrice.

Les débuts

Le lundi, on a beaucoup discuté : on sentait que ce serait plus simple pour nos élèves de venir chercher du travail déjà imprimé, mais on a craint de ne pas être dans les clous. Collectivement, il a été décidé de donner le travail par mail. Nous avons appelé les parents qui ont été très attentifs. J’ai envoyé du travail en évitant le plus possible l’impression. À la fin de la semaine, j’ai envoyé les corrigés.
C’est très difficile car je propose des choses qu’ils vont faire seuls. En classe, je commence presque toujours l’application d’une leçon par le jeu ou en lecture pour décortiquer le vocabulaire, pour qu’ils le reconnaissent ensuite dans le texte qu’on lit. Là, ils sont seuls et je ne sais pas comment faire bien pour tous ceux qui ont des difficultés.
Très vite, quelques-uns ont eu des problèmes : l’ordinateur ne marchait pas, ou l’impression. Une grande sœur voulait savoir comment aider son frère. Ils utilisent beaucoup les portables. Mais il n’y a pas un appareil par personne.

Le vendredi 20 mars, j’ai appelé tous les parents. J’ai parlé aux enfants. Pour savoir comment ils allaient, surtout. Ils étaient contents de m’entendre, certains avaient besoin de parler, beaucoup. J’ai senti ceux qui allaient vraiment bien, « nous on a de la chance, on a un balcon ! ». Mais j’ai peur pour certains qui sont très stressés. Certaines situations familiales sont compliquées. Un papa a peur pour son travail. Une maman a peur pour un examen qu’elle voulait passer. Le confinement aussi : on a su qu’un gamin avait essayé de se carapater.
L’école arrive à calmer certaines tensions mais là ? Comment faire pour ceux qui commençaient à parler français et qui ne parlent plus puisqu’ils ne sont plus à l’école ?
Là, après une semaine, j’ai déjà perdu trois familles !

Fin de la troisième semaine

e suis en lien avec toutes les familles : je n’ai rien lâché, j’ai téléphoné au moins une fois par semaine, sms, mails, et aussi envoi postal à ceux qui n’ont aucun outil informatique. Les parents ont répondu après avoir reçu l’envoi, j’ai senti qu’ils étaient contents. Ma priorité, c’est ne pas perdre le contact, voilà, c’est ça, ma priorité.
Le coup de fil permet de ne pas couper la relation. Échanger avec eux m’indique où chacun en est, ses difficultés d’organisation, ses peurs… Cela permet de mieux doser le travail envoyé chaque semaine. J’écris une partie pour les parents pour tout expliquer. Quelques élèves me renvoient des photos de ce qu’ils ont fait, dont l’enfant arrivé sans parler français. Au fur et à mesure, j’ai adapté : je mets plus d’exercices pour certains, un peu moins pour d’autres qui peuvent vite se décourager s’il y a trop. J’ai proposé aux parents de fonctionner avec un outil en ligne qui crée des murs virtuels, où je pouvais me filmer, commenter des exercices… Mais finalement, ça leur allait bien de continuer avec un plan de travail à la semaine, qui leur permettait de s’émanciper de l’écran. D’autant qu’il n’y en a souvent pas assez pour tous dans les fratries. Et je leur proposais déjà pas mal de liens vidéos, d’exercices en ligne, de tutos…

Là, sur cette troisième semaine, j’ai senti un ras-le-bol des parents : « Moi, les maths, j’en peux plus. » Beaucoup de questions sur quand l’école allait reprendre. Ils sont fatigués de l’école sous cette forme.
Je discute des fois presque une heure avec des parents contents de parler. Eux m’appellent aussi lorsqu’ils ont des questions. Ou bien la grande sœur qui s’occupe des devoirs. Je sais que des enfants n’ont pas mis le pied dehors depuis le confinement parce que les parents ont trop peur. Certains ont les infos en continu, ce qui est très anxiogène. La discussion avec moi, c’est aussi parler avec l’extérieur, maintenir une fenêtre ouverte sur le monde habituel, la vie comme avant. Car tout est compliqué. Certaines familles ne peuvent pas faire leurs courses là où elles ont l’habitude, où c’est moins cher, les distributions des Restos du cœur ne se font que tous les quinze jours, elles craignent de prendre le bus… Alors, elles sont en colère quand elles se font contrôler car c’est très compliqué de tout comprendre.

C’est difficile de connaître le travail réellement fait ; des familles peuvent avoir honte de ne pas savoir aider mais cela a transformé les relations et même créé des connivences. Je reçois régulièrement des messages bienveillants pour moi et ma famille, des messages vocaux des enfants, des petites photos clin d’œil… et c’est ça qui fait vraiment chaud au cœur.
Dans ce contexte, les écoles, les enseignants ont pratiqué différemment, avec des initiatives qui s’adaptent aux situations.
Mais, oui, oui, c’est une évidence, ces conditions renforcent les inégalités scolaires.

1 – Le prénom a été changé.

Réseau d’éducation prioritaire renforcé, ou Rep+

En 1981, la définition d’une politique d’éducation prioritaire tient son origine dans un double constat : celui de l’importance de l’origine sociale des élèves dans leur réussite scolaire, et celui de la concentration des élèves en grande difficulté dans certains collèges et écoles. Le dispositif se veut aujourd’hui temporaire et l’objectif de ces politiques est : « de corriger l’impact des inégalités sociales et économiques sur la réussite scolaire des enfants par un renforcement de l’action pédagogique et éducative dans ces établissements¹ ».
Le classement des établissements est effectué à partir d’un indice intégrant des paramètres de difficulté sociale pouvant influencer la réussite scolaire. Selon le niveau de difficulté sociale, les établissements sont classés en Rep ou Rep+.
À la rentrée de 2017, 7 % des collégiens et 7,9 % des écoliers étaient scolarisés dans un établissement classé en Rep+ avec une répartition très inégale en fonction des académies.

1-https://www.education.gouv.fr/l-education-prioritaire-3140

Témoignage recueilli par Marie-Laure Petit

 

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