Extrait de notre DOSSIER 8 pages à découvrir en kiosque : Hold-up sur l’énergie e(s)t notre avenir
Fraîchement arrivée à Saint-Martin-la-Méanne, j’ai souhaité aller à la rencontre de Christian Pair, maire de la commune, afin d’en savoir plus sur le barrage du Chastang, construit à cheval sur les communes de Saint-Martin et de Servières-le-Château. L’occasion d’entendre à la fois le témoignage d’un homme dont le patrimoine familial est étroitement lié à la construction du barrage et également de recueillir le point de vue du représentant de la commune.
Que pouvez-vous nous dire de la construction du barrage ?
Les travaux de sondage ont commencé pendant la deuxième guerre mondiale, en 1945, et la construction du barrage s’est achevée en 1950. À cette date, la mise en eau a noyé une partie de la vallée. Il n’y avait pas de maisons, seulement des près appartenant aux habitants de Lavastroux (petit hameau de la commune). Il y avait également deux auberges, l’une et l’autre construites de chaque côté d’un pont, qui ont, elles aussi, été noyées.
Comment la commune a-t-elle accueilli la nouvelle de la construction de ce barrage ?
À ma connaissance, il n’y a pas eu de difficultés particulières. Cependant, les paysans de Lavastroux ayant perdu leurs terres ne pouvaient plus aller faner l’été, et évidemment cela constituait pour eux une activité importante. Mais la prise de conscience de cette perte s’est faite beaucoup plus tard ; ma mère, par exemple, a commencé à m’en parler dans les années 90.
À un niveau plus global, la construction du barrage est arrivée pendant la période d’après-guerre. La France entrait dans le Conseil national de la résistance et il fallait donc produire pour la population ; un tel chantier a donc été bien accepté.
Quelle a été l’implication de la commune de Saint-Martin dans l’implantation de ce barrage d’après-guerre ?
Pendant la construction, beaucoup de jeunes paysans réalisaient deux métiers en même temps : le travail de leurs terres et la construction du barrage. Il y a eu également de nombreuses personnes venant de l’étranger afin de renforcer la main d’œuvre. À la fin des travaux, beaucoup de jeunes de Saint-Martin sont partis pour suivre les réalisations d’autres barrages, ce qui a provoqué un nouvel exode de la population dans les années 60. La physionomie agricole de la commune a alors changé, puisque beaucoup de jeunes ont abandonné leurs fermes.
Avez-vous une anecdote particulière concernant le chantier ?
J’ai entendu dire qu’au moment de la construction, les ouvriers avaient protesté car ils mangeaient tous les jours du saumon à la cantine. Ils avaient alors demandé que le menu soit changé. En effet, à cette époque-là, cette espèce remontait la Dordogne, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui puisque les saumons s’arrêtent avant le barrage d’Argentat. Une connaissance m’a également raconté qu’à cette période, chaque équipe d’ouvriers avait un jeune du secteur à leur côté, qu’ils appelaient « un mousse » et qui était chargé de les ravitailler en vin. Aujourd’hui, c’est quelque chose qui ne serait pas possible. [Rires]
De manière plus contemporaine, comment fonctionne le barrage ?
Le principal objectif de ce barrage est de produire de l’électricité, contrairement au barrage du Sablier (situé à Argentat), et sert à réguler la Dordogne en aval. À l’heure actuelle, l’électricité du Chastang ne sert pas qu’à la commune ; sa production peut partir ailleurs puisque tout est interconnecté. Nous ne disposons pas de partenariat particulier d’électricité. D’ailleurs, certains anciens regrettent qu’il n’y ait pas eu de négociations au moment de la construction du barrage afin d’obtenir des tarifs spéciaux. En effet, les habitants d’ici paient l’électricité comme les autres et il n’y a pas de production spécifique pour Saint-Martin.
Dans ce contexte, quels sont vos liens avec EDF ?
Nous entretenons des relations privilégiées avec EDF puisque le barrage est source de revenus pour la commune et cela correspond à une grosse partie de nos ressources. Cela a été expliqué moult fois dans les journaux, à tel point qu’il a même été dit que nous étions une commune riche, mais tout est relatif ! Évidemment cette rentrée d’argent aide au quotidien, c’est indéniable, cela représente tout de même 60 % des recettes que perçoit la commune.
Très concrètement, nous n’avons pas de partenariat avec EDF, il n’y a aucune contrepartie ; disons qu’ils paient une taxe à la commune.
A-t-elle une implication particulière dans la gestion du barrage ?
Non ! Tout est géré par le groupe EDF et, d’ailleurs, la gestion a été décentralisée à Toulouse. Tout le groupe de la Dordogne l’est depuis ce site.
Le barrage du Chastang est cependant un élément essentiel du dispositif, l’un des plus importants ; il y a donc pas mal d’employés. En général, les cadres viennent d’autres régions et sont logés ici le temps de leur séjour. En revanche, le personnel ouvrier constitue dans la plupart des cas une population locale.
Pour finir, avez-vous des éléments à apporter concernant la privatisation des barrages ?
À ce sujet, nous ne savons rien de précis pour l’instant ! La seule information que nous possédons est que les concessions doivent être renouvelées puisque c’est la loi qui le veut mais nous n’avons pas de précisions sur les dates ni sur la façon dont cela sera fait. Nous, les municipalités concernées, nous n’avons rien à dire, nous ne serons pas consultées. Cette situation génère un peu d’inquiétude car nous savons ce que nous avons avec EDF mais nous ne savons pas ce que nous aurons avec d’autres.
On peut dire ce que l’on veut d’EDF mais il y a ce barrage de régulation qui permet d’avoir une sécurité de l’eau en aval sur la Dordogne et pour le tourisme c’est important ! Si la gestion est déléguée à une entreprise étrangère, est-ce qu’elle regardera si le tourisme fonctionne ou pas ? C’est l’une des grosses questions que l’on se pose. Enfin, au niveau national, je pense que l’indépendance énergétique de la France est importante. En effet, il me semble primordial que l’État conserve la maîtrise de sa production par l’intermédiaire d’une entreprise française.
Propos recueillis par Anaïs Lambert
Photo ci-dessus
La route noyée
Il existe du côté de Servières le château une route qui descend jusqu’à la retenue du Chastang gonflée de l’eau de la Dordogne et qui s’arrête dans l’eau. « Et quand le barrage a été mis en eau, en 1950, j’ai vu pour la première fois mon père et mon grand-père pleurer devant nous » (Mémoires d’une vallée, livre rédigé à partir de témoignages oraux collectés et versés aux archives départementales). Les communes sur le territoire desquelles est situé un barrage hydroélectrique reçoivent depuis ce temps une taxe qui améliore l’ordinaire et fait des envieuses. Pourtant, ces taxes ont-elles davantage rempli ces communes de vie et les cours d’école de cris ?