L’hiver dernier en longeant le départementale 16 au niveau de l’incinérateur d’Égletons, mon attention est attirée par des travaux d’installation d’un réseau sous-terrain de tuyaux. Les tuyaux ça sert a transporter des fluide. Si proche d’un incinérateur ça sert très certainement à transporter de la chaleur… oui mais vers où ? Pour qui ?
Pour obtenir quelques réponses je questionne des camarades impliqués sur ce territoire. Tous s’accordent sur la bizarrerie du projet que l’on trouvera bientôt à un bout du tuyau. Tous m’orientent vers Philippe Revel éleveur à Saint-Hilaire-Foissac et président actif de la Confédération paysanne locale pour échanger sur la question.
L’autre personne qui me paraissait indispensable de rencontrer est le directeur de la Communauté des Communes de Ventadour-Égletons-Monédières ou alors d’un de ses élus. Malheureusement au regard de l’avancée du dossier les représentants de la Com com ne souhaitent pas encore s’exprimer à ce propos.
le projet
Le projet a quatre ans et concerne l’aménagement de 26 hectares (ha) de terrain en face de l’usine d’incinération. Sur ce site serait construit, en deux phases, 8 ha de serres chauffées pour y produire des tomates. À l’horizon 2018 il devrait y avoir 5 ha de serres. Le montant de l’investissement est de 11 millions d’euros et le projet est porté par trois agriculteurs dont Jacques Forel producteur de tomates, avec ce type d’installation, sur 8 000 m2. Les deux autres sont de jeunes agriculteurs. À noter que le statut d’agriculteur permet de toucher « le maximum d’aides possible ».
Philippe précise qu’il s’agit d’un projet de type industriel avec des serres en verre de six mètres de haut accueillant la culture de tomates cerises sur un substrat en laine de roche ou fibre en noix de coco. Le tout alimenté par goute à goute.
Le site d’Égletons est idéal pour accueillir ces installations pour différents aspects : une ressource en chaleur pas chère, une altitude de 600 mètres permettant de limiter la température des serres à 30°C afin d’éviter une reproduction anarchique des tomates.¹
des questions sur le montage
La première question porte sur la modalité, désormais classique, d’aide à l’installation de ce type de projet. La Com com offre des facilités d’accès en achetant les 26 ha, en les défrichant, en versant la « compensation défrichage » et en viabilisant le terrain. Le tout pour un à 1,5 millions d’euros. L’achat est déjà réalisé et le défrichage est en cours bien que le projet ne soit pas validé. Pour la suite de l’investissement, les porteurs de projets pourraient prétendre de 40 à 50 % d’aides européennes, régionales et peut-être départementales. Les porteurs de projets ont créé le GFA (Groupement Foncier Agricole) du Aouïtou pour payer une location-bail selon un contrat n’existant pas encore et sur une durée inconnue.
Que la collectivité facilite l’installation d’activités n’est en soit pas un problème, d’autant plus que, pour ce cas-ci, est prévue une location bail pour rembourser les investissements réalisés. La question porte davantage sur le modèle de développement que nos élus envisagent sur nos territoires. Mais nous y reviendrons.
La seconde question porte sur une sorte de conflit d’intérêt ou d’usage. La chaleur issue de l’incinérateur devra fournir le site de production de tomates mais aussi la chaufferie (au bois) centrale d’Égletons. Malheureusement il n’y a pas assez de chaleur pour tout le monde et l’incinérateur est quasi au max de sa capacité de production (manque 2,5 mégawatts). Il faudra trouver une source de chaleur complémentaire. Qui plus est, la chaufferie précitée est vétuste et doit fournir les installations municipales (piscine, écoles, administrations…) et l’usine Charal en très grosse quantité.
La Com com choisi apparemment de donner la priorité au site de tomate et il reste 40 % de la chaleur pour remplacer le réseau de chaleur égletonnais… ça ne passe pas. il faudra donc que la commune trouve un moyen pour fournir tout son petit monde. Mais heureusement qu’il avait été prévu, lors de l’installation de la désormais vétuste chaufferie, une chaudière à gaz complémentaire. Il est à craindre que les 2,5 mégawatts manquants soit issus d’énergie fossile. Il est, par extension, à craindre que le nouveau coût énergétique soit supporté par les contribuables. À moins que le SYTTOM 19² ne cherche à produire davantage d’énergie pour fournir la part manquante. L’incinérateur brûle 40 000 tonnes de déchets par an et sa capacité maximale est quasi-atteinte (36 000 tonnes à ce jour). Reste la possibilité de brûler plus sale, plus efficace. Des déchets plastiques ou du carton par exemple, ces pratiques existent ailleurs, alors pourquoi pas ici ? Autant d’éléments radicalement en contradiction avec les objectifs fixés par la Coop 21.
Philippe Revel déplore qu’aujourd’hui, il n’existe que très peu d’écrits, de contrats et d’engagements sur papier des acteurs de ce projet (SYTTOM 19, Com com, GEA Aouïtou, ADEME…).
La dernière question réside dans le montage économique et dans la gestion de l’argent publique. Par exemple et pour mieux comprendre, Le GFA Aouïtou a un capital social de 300 €. Ce qui signifie que si le projet capote à terme, les trois producteurs ne seront redevables que de 300 € pour le foncier et de probablement du millier d’euros de capital social de l’entreprise qu’ils vont créer pour l’activité. Si par malheur l’entreprisecoule, ce seront les citoyens, la Com com et les autres collectivités impliquées qui seront les « dindons de la farce ». L’argent investit aura disparu. Pour ajouter à l’inquiétude, il n’est pas un secret que la France n’est pas compétitive sur le marché mondiale pour produire des aliments à bas coup. Il sera compliqué de ne pas subir la concurrence de l’Espagne ou du Maroc.
Selon Philippe la réponse des élus aux problématiques évoquées est « qu’il faut savoir prendre des risques quand on veut créer de l’emploi ».
Et sur le fond y a-t-il des questions ?
Il y en a une majeure concernant les choix fait par des élus face à la crise démographique, économique et sociale que connait le Pays d’Égletons. Face à l’injonction à créer de l’emploi coute que coute, sans garantie que les « 80 équivalents temps pleins » annoncés ne se limitent à un maximum d’emplois saisonniers ou à des emplois délocalisés.
Une autre question concerne l’aspect environnemental : sur les 26 ha concernés, six sont des zones humides fragiles. Une étude d’impact a été réalisée et a été retoquée par la DREAL³, le Préfet a assuré que les procédures administratives et la réglementation liée à la loi sur l’eau serait respectée. Quoi qu’il en soit le défrichage de la zone concernée est en court, la problématique de la dioxine rejetée par l’incinérateur reste d’actualité et les déchets devenus ressources doivent être produits en quantité industrielle.
Il y a derrière tout ça la question du modèle de développement agricole que l’on promeut. Une agriculture industrielle capitaliste, polluante, couteuse et inféodée aux marchés mondiaux qui grignote le territoire corrézien, aménage et structure nos paysages, organise notre cadre de vie. C’est bien le choix de société que font, plus ou moins consciemment, nos élus et nos voisins qui est en jeu à cet endroit. Les socio-démocrates ultra-libéraux ont pris le pouvoir depuis un moment déjà. La logique qu’ils servent est devenue une norme, a été intégrée, incorporée par trop de monde comme l’unique voie à suivre, la seule raisonnable.
Pourtant d’autres pistes sont envisageables4, mais y-a-t-il des responsables politiques pour échanger sur des hypothèses alternatives. « La Com com ne souhaite pas communiquer sur ce projet » mais peut-être peut-elle envisager de dialoguer avec les paysans de son territoire, avec ses habitants ?
La réalisation de ce projet n’est pas encore certain. Les élus communautaires soutiennent quasi à la majorité, le projet. Le Préfet affirme veiller, il y aura enquête publique et des citoyens seront être vigilants mais selon Philippe Revel, la décision finale reviendra au ministère de l’agriculture. Ça continue !
1 – aujourd’hui les territoires produisant le plus de tomates sont la Bretagne et les Pays Bas.
2 – SYTTOM 19 : le SYndicat de Transport et de Traitement des Ordures Ménagères a désormais l’injonction réglementaire de valoriser l’énergie produite sous peine de payer une amende de 400 000 € par an.
3 – DREAL : Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement.
4 – par exemple, il y a 35 000 repas par an à assurer pour la restauration collective communautaire. De quoi installer du monde, non?
par Pascal Brette
Très bon journal
belle équipe de journaliste
du local du cru comme on aime
continuer en toute tranquilité
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