De sombres nuages noirs planent sur la culture. Les situations sont contrastées, selon les structures, associations et compagnies et selon leur ligne artistique ou leur masse salariale, mais les dangers sont là. Des menaces qui pointent et se précisent depuis des années en termes de diminution des soutiens et des subventions. La baisse des budgets fragilise de nombreuses compagnies et va induire la diminution du nombre de spectacles et de la tension sur le nombre de permanents et d’intermittents.
En début d’année 2024, la Région Nouvelle-Aquitaine publie le règlement d’intervention pour le spectacle vivant, liant les financements accordés aux petites compagnies comme aux scènes nationales (le théâtre de l’Empreinte Brive-Tulle en est une) au respect d’un certain nombre de critères. L’un d’eux, la constitution d’un listing nominatif des spectateurs et spectatrices indiquant leur lieu de départ et l’utilisation (fortement conseillée) des transports en commun. Irréaliste hors des grandes villes. Comme le précise un responsable de la scène nationale L’Empreinte : «le théâtre met à disposition une navette entre Tulle et Brive, mais pour le reste, en terme de transports et d’infrastructure, ce n’est pas de notre ressort ».
On est dans la phase de test ; mais si cette liste n’est pas faite, et le message non passé, le critère « non validé » impliquera bientôt un malus sur la subvention !
Parlons-en, des subventions
Les situations sont très variées,la Région a maintenu l’enveloppe globale, mais baissé le montant maximum d’aide et aidé plus de compagnies, donc les sommes sont plus faibles. Certaines associations locales n’ont pas de soucis, par exemple celle du Festival de La Luzège, évènement bien implanté en Haute-Corrèze, « nous avons des atouts forts, peu de concurrence, nous faisons un gros travail qui est reconnu, en milieu rural, avec des spectacles en plein air, on a la chance d’avoir peu de concurrence, une ligne artistique plutôt consensuelle, mais d’autres – art contemporain, sujets moins grand public – sont fortement impactées », précise un des codirecteurs.
Avec les Jeux olympiques, lors des cérémonies d’ouverture et de clôture, la France a confirmé sa réputation mondiale et démontré son ouverture culturelle grâce aux nombreux artistes, danseurs, musiciennes, cascadeurs, équilibristes de qualité, qui ont participé aux évènements. Mais c’est l’arbre qui cache la forêt, au-delà de la posture et du côté bling-bling des grands médias. Les gouvernements successifs depuis au moins vingt ans se crispent et aimeraient une culture rentable, privatisée, financée plutôt par des mécènes et des entreprises, bien contrôlée, en un mot : de distraction. Cet objectif tend à faire disparaître les petites compagnies, en particulier les indépendantes, engagées…
La compagnie Jolie Môme a perdu son lieu de résidence à St-Denis, qu’elle occupait depuis 40 ans. Les grandes structures sont ciblées également : l’Opéra de Rouen a failli fermer, le Théâtre National de Toulouse a vu sa subvention départementale baisser de 80 % et elle doit disparaître en 2027.
Selon un responsable technique local, la moyenne locale des subventions de 2024-25 auraient déjà diminué de 30 % par rapport à 2023-24, et par conséquent moins de spectacles seraient programmés ; pour la saison suivante il est prévu une baisse de 50 %.
Le ministère de la Culture aurait dans ses tiroirs l’idée de favoriser la programmation de compagnies locales. Parce qu’elles sont moins coûteuses ? L’objectif est louable si le but recherché est bien de promouvoir la création et la vie culturelle en région. C’est à double tranchant, le risque réel est de détruire le brassage induit par la présentation de spectacles très variés et originaux provenant de divers territoires et de perdre, globalement, en qualité et en professionnalisme.
Au niveau des collectivités locales
Une partie importante des subventions provient des municipalités. Avec les élections législatives, des équipes de salariés de structures culturelles dans toute la France ont voulu s’exprimer et se regrouper en écrivant aux élus, afin de les alerter sur les dangers que faisait peser l’extrême-droite et le Rassemblement National (RN) en particulier, sur la culture. Des élus locaux de droite appelaient en effet à voter pour ce parti.
Les retours de ces courriers aux mairies, auprès des responsables de structures, ont été en général très négatifs, aucune prise de position n’a été enregistrée, au contraire, des actions de censure ont eu lieu avec interdiction de diffuser ces appels. En Corrèze, une grande ville a clairement œuvré en ce sens : « Tenez vos troupes ! »
L’ambiance générale est maussade, il paraît qu’en réunion régionale Limousin, les commentaires sur le contenu même des programmations sont ahurissants, et les structures en Haute-Vienne en pâtissent concrètement.
Un avenir sombre
Comme pour tous les services publics, en général l’austérité a un impact direct sur l’emploi et sur le nombre de compagnies, sur leur survie. Si l’État diminue les dotations auprès des collectivités locales, le contrecoup sur la culture va arriver à un moment donné. Et le problème, c’est qu’en parallèle les charges augmentent, l’inflation touche les transports, les frais d’alimentation, l’hébergement et les contrats d’artistes…
Si le RN était passé aux commandes suite aux élections, leurs attaques auraient directement ciblé le contenu des spectacles abordant les questions de genre, d’égalité filles-garçons, d’IVG, pro-LGBT+ ou d’accueil des migrants (en plus des violences, pressions physiques des groupuscules d’extrême droite et harcèlement sur les réseaux sociaux). Question finances, ce parti néofasciste avait prévu par exemple d’éliminer le ministère de la Culture et de réduire de moitié le nombre des scènes nationales : 50 % des salariés permanents auraient été licenciés, puis bon nombre de compagnies et d’intermittents auraient disparu.
Ne parlons pas du fantasme d’une culture « française » éternelle, folklorique, qui n’existe que dans le délire nationaliste. Sabots pour tous obligatoires à l’entrée des salles des fêtes ?
Le combat culturel est double, institutionnel en direction des pouvoirs publics, lié aux choix politiques ; il nous faut lutter contre les tendances à la crispation, la censure et l’autoritarisme.
Le combat est aussi lié aux habitudes sociales, à la base, et à l’éducation populaire, dans toute sa diversité. Et il est urgentissime.
Par CHRISTOPHE RASTOLL