Statue de Hercule

Faut-il sauver le soldat EDF ?

Faut-il combattre Hercule pour revenir à l’EDF-GDF du temps de sa splendeur ?

J’aime à utiliser l’expression si parlante « Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain ». Par exemple, ne jetons pas le beau bébé communiste avec l’eau du bain stalinien est une de mes préférées. Dans le cas d’espèce j’aurais envie de retourner la formule : « ne gardons pas le bébé en jetant l’eau du bain ». Quel rapport me direz-vous avec la légitime condamnation de l’entreprise capitaliste de refiler au privé les secteurs rentables d’EDF, après GDF ; quel rapport avec la défense incontestable d’un bien public. C’est que la belle mariée, dont nous avons payé la dot avec nos impôts (c’est à dire notre travail) n’a jamais appartenu ni à ses travailleurs ni a ses usagers mais bien à L’État capitaliste qui n’est pas le nôtre, même si c’était quand même mieux avant.

Le prix à payer pour le capital

On les appelle les conquêtes de la libération, en 1945, en ce temps ou Maurice Thorez, Ambroise Croizat, Marcel Paul, Charles Tillon et François Billoux – qui en a fait un livre1 – étaient ministres du Général de Gaulle, avant de se faire éjecter par la coalition radicaux, socialistes et catholiques à la demande des États-Unis en mai 1947. De ses conquêtes date notamment la création de l’EPIC EDF-GDF en mai 1946, c’est à dire la nationalisation de la production et de la commercialisation de l’électricité et du gaz.

L’ensemble des nationalisations de cette époque – à l’exception par exemple de Renault pour fait de collaboration – est réputée être le résultat de la mise en œuvre du programme du CNR2, essentiellement en réalité du poids du parti communiste, premier parti de France, et de la CGT forte de plus de cinq millions d’adhérents.

Indéniablement, le patronat français totalement discrédité par une collaboration majoritaire avec les nazis, doit la fermer pour quelques temps ou protester pour la forme quand on lui retire ce gâteau. De Gaulle est l’homme de la situation pour éviter le pire. Certains parleront même de révolution possible. Malgré le désarmement des résistants organisé par Maurice Thorez à son retour de Moscou, le rapport des forces entre le capital et le mouvement ouvrier ne laisse aucune place au doute.

Avec retour sur investissement

L’heure est à la reconstruction ; c’est le « produire est le devoir de la classe ouvrière » que Thorez va imposer aux mineurs qui renâclent à retrouver le monde d’avant. Reconstruire, c’est restructurer l’économie capitaliste sur de nouvelles bases, avec une intervention massive de l’État en particulier dans les infrastructures et l’énergie. Ce qu’a fait Roosevelt avant la guerre avec le New Deal3, ce dont la guerre a démontré l’efficacité en Angleterre et aux États-Unis et avant en Allemagne, ce que l’économiste J.M. Keynes4 a théorisé, c’est que l’intervention massive de l’État – c’est à dire l’investissement planifié et centralisé de la valeur créé par le travail – est un moteur indispensable du capitalisme à ce stade. Si on y ajoute une bonne louche de compromis fordiste5, voilà la croissance et les profits garantis pour quelques décennies : les trente glorieuses6.

Cette trop longue digression-raccourci faussement doctorale pour dire que les nationalisations sont alors une nécessité impérative pour le capital, quelle vont remettre sur les rails.

Et beaucoup de grain à moudre

Comme aimait à dire le Force Ouvrière Bergeron7, dans les relations sociales, «  il faut avoir du grain à moudre ». Du grain il y en a car les profits permettent de distribuer de grosses miettes, surtout quand le patronat et l’État ont besoin que ça tourne. Et puis, avec un mouvement ouvrier puissant, la rapport des forces pèse lourd.

Mais en échange, en particulier dans l’énergie, les travailleurs devront accepter de laisser la stratégie dans les mains de l’État patron.

Pour ce qui nous occupe, EDF-GDF, c’est d’une part le tout nucléaire, le civil enfanté par et toujours lié au militaire, et d’autre part les tarifs préférentiels aux industries pour augmenter les marges du privé.

On comprend mieux le soutien indéfectible du PC et de la CGT à l’indépendance nationale militaire et énergétique, garantie dit-on par le nucléaire. Croyez moi, il ne faisait pas bon être militant syndicaliste CFDT anti-nucléaire à EDF dans les années 708, pas plus qu’opposant sur ce point dans la CGT énergie de l’époque.

La fin du compromis

Qui ira se plaindre que les travailleurs de l’énergie aient bénéficié de ce compromis ? Ils ont aussi bataillé pendant des décennies pour garder et améliorer leurs statuts. Et puis, dans les années 80 de bonnes âmes ont fait semblant de découvrir ces privilèges… qu’ils avaient eux-même octroyés, contraints et forcés. C’était la fin du compromis social fordiste, avec un fort goût de revanche. Depuis lors, dans sa reconquête des marges qu’il avait été obligé de modérer, le capital n’a eu de cesse de récupérer à son profit tout ce qui était rentable. Mais attention, privatiser les profits tout laissant les pertes au public, c’est à dire encore notre dot.

Alors oui, faisons barrage au projet Hercule, mais attention, pour prendre réellement la main sur notre bien commun, décider nous-même, et non le laisser sans contrôle dans les mains d’un État qui n’est pas le nôtre. Ne gardons pas le bébé en jetant l’eau du bain.

Gilles

1 – François Billoux, Quand nous étions ministres, éditions sociales, 1970.

2 – Conseil National de la Résistance.

3 – J.M. Keynes, économiste britannique partisan notamment d’un intervention de l’État.

4 – Intervention massive de l’État pour tenter de sortir de la crise de 1929.

5 – Thèse et mise en pratique du fasciste Ford aux USA d’une politique de hauts salaires pour booster la consommation… Notamment des voitures que ses usines produisent : ou comment reprendre d’une main ce que l’on a donné de l’autre.

6 – Pour une analyse critique, voir notamment : Une autre histoire des trente glorieuses, éditions La découverte 2016.

7 – Secrétaire Général du syndicat FO de 1963 à 1989.

8 – Et oui ! La CFDT Énergie l’a été nettement, mais elle comptait si peu… et encore aujourd’hui…

 

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