Quand vous avez un livre entre les mains pour la première fois, que regardez-vous en premier ? Le dessin de la couverture ? La qualité du papier ? L’auteur ? Ou bien encore… la maison d’édition ? La plupart des lecteurs se préoccupent peu de ce dernier élément, et pourtant, sans les éditeurs, les livres et les textes qu’ils contiennent ne seraient pas ce qu’ils sont.
Le commun des mortels se figure les éditeurs comme des personnages, penchés sur l’épaule des auteurs ; or l’édition est un milieu professionnel, traversé de jeux de pouvoirs, peuplé, aussi, de petites mains. Ensuite, on se représente les maisons d’édition comme des entités puissantes. Or, il en existe de toutes les tailles, depuis les très grandes et très connues qui font tourner la planche à fric de la fast fashion littéraire en même temps qu’elles placardent des stars dans le métro et les gares, jusqu’aux toutes petites, associatives, qui ne reposent sur aucun emploi salarié. Entre les deux, une grande quantité de PME plus ou moins fragiles et tenaces. Au cœur de la chaîne de production du livre1, les éditeurs occupent une place plutôt risquée : puisque c’est là où s’opère le choix, et l’investissement. Or, parier sur un livre ça ne veut pas dire la même chose pour tout le monde, dans la mesure où il y a les éditeurs indépendants, qui n’ont pas forcément un gros matelas sous les fesses, et ceux qui s’intègrent à de très grands groupes enchâssés comme des poupées russes dans un marché aujourd’hui extrêmement, mais alors extrêmement concentré.
Revenons à la dernière dimension de notre cliché : l’éditeur est parisien. Il est vrai que le milieu se concentre à Paris, que les maisons qui y sont possèdent l’avantage d’être plus proches des jurys des concours qui comptent, des médias nationaux, de la majorité des librairies du territoire qui s’y concentrent aussi, etc. Mais, mais, ce n’est pas tout. Il y en a partout, y compris en Corrèze, des maisons d’édition. Or, la question de leur visibilité se pose, indéniablement, y compris au niveau local.
De l’édition contemporaine en territoire rural
Je voudrais vous présenter six maisons d’éditions du coin, sélection subjective mais pas loin d’être exhaustive, qui vise à balayer un peu de la diversité de ce monde si particulier.
Utopique. Accroché sur le flanc d’une vallée, le nid de la maison d’édition Utopique (anciennement 2 Vives Voix), créée en 2009,est celui de Jean Didier (lui) et Zad (elle), duo d’auteurs-illustrateurs déjà à l’origine d’une conséquente collection d’albums jeunesse. Avec Utopique ils publient leurs propres livres et ceux de bien d’autres. Au fil d’univers graphiques diversifiés, ils s’attachent à aborder des thèmes qui concernent forcément tout le monde, la solidarité, la différence, les migrations, les guerres. Et d’autres pour les cas particuliers de la vie, l’adoption, le deuil, la maladie d’un proche… Tout cela avec pédagogie et quand même de la rêverie. Pour plonger dans le dur du monde avec délicatesse, vous pouvez par exemple aller voir C’était écrit comme ça.
Le Cadran ligné existe depuis 2009. Le Cadran ligné ne publie que de la poésie. C’est un univers littéraire à part. Laurent Albarracin, lui-même auteur de poésie, a sorti au départ des « livres d’un seul poème » : juste un feuillet. Puis, quelques années plus tard, des choses plus copieuses. La plupart ont la couverture sobre, blanche et matte, rarement illustrée. Titre en couleurs. De la poésie rugueuse, organique, propre à vous infiltrer dans l’entre-deux mondes, là où les mots ordinairement n’accèdent pas. Des textes qui peuvent être dégustés à plusieurs, dits à haute voix. Esthétique du machinisme agricole, de Pierre Bergounioux, est de ceux-là.
Hourra. Créée en 2019, à Lacelle, là-haut sur le plateau, la montagne limousine, par Olga Boudin, recrue des beaux-arts. Hourra croise poésie et politique de diverses manières en proposant des choses singulières, dénichées dans les marges : du côté de l’allure, couvertures unies, polices finement choisies, textes parfois illustrés de clichés noir et blanc. Ça claque. Du côté du texte, on trouve des choses historiques (Paroles sans raison, du peintre Paul Klee) et des choses contemporaines. Le poème peut aussi, ici, devenir médium de restitution d’une enquête documentaire. Ainsi, En habits de femme, de Zoltán Lesi, évoque la vie de Dora Ratjen, une athlète intersexe qui a concouru pour l’Allemagne des années 1930. Cri de guerre et de joie de Hourra : « Honneur à celles par qui le scandale arrive ! »
La Méruleexiste depuis 2021. Créée en duo par Philippe Van Assche et Cyril Perrin, qui ont longtemps baigné dans le journalisme citoyen, notamment un certain canard corrézien ! Pour changer d’air, cette maison publie de la fiction. Longue et courte, pour parler du monde tel qu’il va, entre la tendresse et les miasmes. Couvertures colorées au graphisme pointu, illustrées de linogravure, de bricolages-photo… Sa première sortie, le recueil Gradation/Dégradation s’appuyait sur un concours de nouvelles, reproduit chaque année depuis. Du côté des romans ça navigue d’un univers à l’autre, de la géniale romance punk avec Surdose d’A. de Brice Gauthier au western pur jus avec La Mémoire des rives, de Christophe Vergnaud. La librairie d’occasion associée à la maison d’édition, Le Radeau de la Mérule rouvrira ses portes en octobre à Tulle, rue Jean Jaurès.
Et puis, il y a aussi Maïade, une maison d’édition plus ancienne, qui date de 2003. À l’initiative, on trouve Marie-France Houdart, ethnologue revenue de ses voyages au long cours, et installée dans les profondeurs des forêts à Lamazière-Basse. Maïade publie des ouvrages sur les techniques de construction en bois massif, d’autres sur le patrimoine rural, une série de titres ethnographiques, quelques romans marqués par les lieux… Pour prendre un exemple, citons Les Eaux marchandes, qui documente l’histoire des gabares, ces petits voiliers fluviaux à fond plat qui ont longtemps servi au transport de marchandise sur la Dordogne comme sur la Loire… Inspirations pour le monde d’après ?
Il y a encore Plume Blanche, créée en 2015 par Marion et Anthony Barril. Tournée vers les littératures de l’imaginaire (fantasy, science-fiction, etc.). Un imposant catalogue de romans regroupés en sagas aux motifs fidèles aux classiques du genre, écrits, c’est à noter, en très grande majorité par des femmes. On y trouve du post-apocalyptique, des elfes, des magiciens, et tout ce qu’aiment, en gros, les ados accros aux livres, car oui, cela existe encore, j’en ai déjà rencontré plusieurs !
Pour aller plus loin, les curieux pourront toujours se renseigner auprès de leur libraire préféré, de leur voisin, ou au bistrot. De la main qui écrit à l’œil qui lit, et de la bouche à l’oreille, aussi, que circulent les mots ! À la vôtre !
MARINE LEGRAND
1. Pour resituer, les autres maillons de la chaîne sont bien-sûr l’auteur, l’imprimeur, et puis le distributeur, le diffuseur, le libraire… et le lecteur qui, tout naïf, oublie tout cela pour simplement se baigner dans les mots.