Odette a fait le ménage à la mine de La Porte pendant quinze ans. Elle reste debout à l’entrée de la salle de la mairie ce 19 janvier à Saint-Julien-Aux-Bois. Elle a l’air rêveuse. Pas facile de ré-entendre parler de toute cette histoire : l’extraction du minerai d’uranium en Xaintrie. Gaston, à cette époque-là, était sur la pelleteuse qui creusait et sortait le minerai. Tous deux marquent leur défiance dans le projet qu’on leur présente ce soir. Ils se méfient. Comme beaucoup d’autres…
Le conseil municipal de Saint-Julien-Aux-Bois, le collectif Xaintrie Libérée, et l’association Agir Autrement Pour la Xaintrie (AAPLX) avaient planifié cette réunion d’information pour la population locale, suite à l’annonce le 19 décembre dernier par Areva du projet de transférer 9 000 tonnes de « stériles » sur leur terrain situé à côté de l’ancienne mine de La Porte. Mais surprise : ce soir, c’est Eric Zabouraeff, secrétaire général de la Préfecture de Corrèze, qui vient présenter le projet, ne laissant aucune place aux associations ! Et il n’est pas tout seul : des gendarmes relèvent toutes les plaques d’immatriculation autour du bâtiment ; quelques gradés discutent ; un des « renseignements généraux » fait du « faciès engineering » à l’entrée ; un autre en civil enregistre avec un téléphone portable.
Côté public, une centaine de personnes. La salle est pleine à craquer. Monsieur « Z » déroule son discours règlementaire. Il agit dans le cadre mécanique de la loi, avec des directives : il faut déplacer des stériles. Il affirme : « il n’y a aucun danger car c’est régi par le code de l’environnement ». Les initiateurs de la soirée, transformés en mauvais élèves de fond de classe toussent fort. Pourquoi déplacer ces cailloux s’ils ne présentent « aucun danger » ?
On appelle « stériles » ces roches qui étaient autour du filon d’uranium. Leur nom vient du fait qu’elles n’étaient pas assez concentrées en radioactivité pour intéresser l’exploitant. Mais ce dernier les a excavées et stockées. Un élu de Saint-Julien-Aux-Bois le rappelle : à l’époque, la Cogéma, Total, et autres compagnies minières les distribuaient à qui voulait : bon débarras ! À l’entrée de la salle, AAPLX a affiché une carte détaillée de la Xaintrie sur laquelle sont repérés en rouge tous les sites, chemins, remblais, constructions qui sont radioactifs. La loi est claire : l’exploitant reste responsable de toutes les matières radioactives qui ont été extraites de la mine même si leurs lieux de stockage sont devenus la propriété de quelqu’un d’autre.
Pour le secrétaire de l’association AAPLX, la proposition de transfert dans son état actuel n’est pas acceptable. Entre autres raisons, pourquoi faire venir des matières radioactives de La Chapelle-Spinasse – qui n’est pas en Xaintrie – à Saint-Julien-Aux-Bois ? Monsieur « Z » : « parce qu’il faut les mettre dans une ancienne mine ». AAPLX : « il y a une ancienne mine à La Chapelle-Spinasse !!! ». Gros brouhaha. Le sous-préfet se fait huer.
Une habitante de La Porte parle des mesures effectuées par les associations. Mais à quels chiffres peut-on se fier ? Comment les comparer ? Rien qu’avec la manipulation des unités (dose efficace, mSv, mSv/h, moyennes), ils sèment déjà les neuf dizièmes des individus.
Un membre d’AAPLX signale que la radioactivité, au même titre que les attaques de virus et molécules cancérigènes, tue ou fait muter l’ADN. Le corps répare ces lésions grâce aux cellules regénératrices, mais elles sont en nombre fini. Donc la moindre exposition aux rayonnements ionisants diminue l’espérance de vie en bonne santé : on aura des dysfonctionnements d’organes plus précocément, des cancers plus tôt. Il n’y a donc pas d’impact « négligeable ».
À tout ceci, Monsieur « Z » répond « qui fait autorité en la matière ? Pas vous ». L’académicien écraserait le citoyen alors ? Quelqu’un passe le micro à un médecin local. Il dit que « la radioactivité expose au cancer » et ajoute qu’il ne connaît pas une famille qui n’a pas un de ses membres touché par ce fléau.
AAPLX demande si un arrêté a été publié ? Monsieur « Z » répond que non. On sait qu’un recours par voie légale contre cet arrêté n’empêcherait rien. Comme à Anzème en Creuse¹, on s’attend donc à un passage en force. D’ailleurs le sous-préfet évoque avril mai prochain !
Un ancien agriculteur au conseil municipal parle de son expérience : « ça fait longtemps qu’on en discute, on est sérieux, responsables ». Pour quels résultats ? « On a des chiffres, mais on ne sait pas vraiment. On ne peut que vous faire confiance à vous et à Areva. » Même s’il ne brise pas l’omerta, on sent la défiance dans sa voix.
Monsieur « Z » dit que ce n’est pas dans les habitudes de l’État de cacher les choses à la population. Énorme chahut, on n’entend plus personne. Des voix s’élèvent pour dire « moi j’ai peur », « y’a des gens ici à La Porte ». Un habitant demande pourquoi les gendarmes relèvent les plaques d’immatriculation dehors ? Le sous-préfet ne répond pas.
Une habitante parle de la baisse de la valeur des maisons : c’est très difficile de vendre une habitation radioactive ou entourée de ces matières. Le préfet répond : « c’est de votre faute ! » Ce serait à force d’en parler que le prix baisserait ! Tollé général face à un tel mépris de la loi sur la responsabilité de l’exploitant. On ne s’entend plus parler.
Le médecin reprend la parole : « c’est une chance que nous soyons tous unis contre ce projet, les élus, les agriculteurs, les associations, tous ensemble contre ce projet de réouverture de la mine ».
La séance se termine. L’opposition contre ce projet s’est cristallisée. La défiance envers ces « autorités » qui nous méprisent est grandissante. Comme la sève dans les arbres, la population de Xaintrie pourrait se réveiller afin de s’occuper d’elle : de sa santé mentale et de sa santé physique. Le ras-le-bol de l’omerta est-il à son niveau maximum ? C’est ce que nous verrons.
1 – Voir http://www.stopmines23.fr
Contexte départemental : ils cherchent un lieu de décharge
Dans leur communiqué de presse du 19 décembre 2017 les associations Sources et Rivières du Limousin et Corrèze Environnement, qui siègent toutes deux aux Commissions de suivi des anciens sites miniers uranifères, se félicitaient d’avoir joué le jeu des « mécanismes participatifs ». Le Préfet aurait déclaré lors de la réunion à laquelle elles venaient d’assister que les déchets issus de la dépollution de sites ayant utilisé des matériaux miniers radioactifs seraient stockés non pas sur l’ancien site du Longy (commune de Millevaches) mais sur l’ancien site de La Porte (commune de Saint-Julien-aux-Bois), « sous réserve de la démonstration de l’absence d’effets sur les eaux, et d’une meilleure compréhension des effets potentiels des eaux reconnues fortement polluées de l’ancienne mine à ciel ouvert ». On comprend pourquoi, même si on ne trouve à l’heure où nous écrivons aucune trace écrite officielle de cette déclaration préfectorale, Monsieur « Z » s’emploie à affirmer qu’il n’y a pas d’impact sur l’environnement à La Porte. Pendant la réunion publique du 19 janvier, une dame d’Argentat interpelle le sous-préfet à propos des déclarations du Préfet : pas le Longy, mais La Porte. Monsieur « Z » répond qu’il n’a pas connaissance de cette déclaration de son supérieur ! Alors qu’il assiste lui-même aux réunions de suivi de site ! Chacun peut constater comment il nous prend pour des imbéciles.