Chantal, être formidable, mérite amplement qu’on lui consacre un article, dommage que ce soit pour dénoncer les conditions déplorables dans lesquelles elle a quitté la vie. À 69 ans, une carrière d’infirmière derrière elle, avec son cancer du pancréas, elle a subi la violence du système sans jamais se plaindre. Et nous, proches, avons assisté, impuissants, à tous ces manquements, inadmissibles aujourd’hui alors que les droits des patients sont affichés dans l’ascenseur, comme à nous narguer1.
Les textes2 sont nombreux et trop méconnus, trop peu appliqués, en prendre connaissance est la première étape pour les faire respecter. La mort est souvent négligée, cachée. Pourquoi fêter l’entrée dans la vie (alors que par bien des aspects c’est peu ragoûtant et douloureux une naissance) et cacher la mort (les morgues difficiles d’accès et peu accueillantes en sont un exemple), négliger la sortie ? Ce sujet reste tabou.
On le sait qu’on va mourir, pourquoi attendre le dernier moment pour en parler ? Voire n’en jamais parler ? Et laisser d’autres décider pour nous ? Subir ? Pour Chantal, on a fait ce qu’on a pu, on s’est battu pour que ce moment soit le moins pire possible, mais on s’est senti maltraité. Je n’ose imaginer la fin de vie des gens qui n’ont aucune connaissance médicale, sont seuls, ne parlent pas bien le français… Bref, si l’on en croit ce que j’ai lu3 , entendu, pour notre Chantal, ça aurait pu, ça aurait dû…
Les médecins, premiers acteurs de la fin de vie
Plutôt qu’avoir affaire à un praticien qui ne prend pas au sérieux les symptômes de Chantal (alors que son frère est décédé quelques mois plus tôt dans des conditions similaires), elle aurait pu rencontrer un médecin traitant bienveillant, qui l’aurait surveillée de près et aurait décelé son cancer, avant que la douleur devenue insupportable ne l’envoie aux urgences.
Face à ce cancer incurable, le médecin, l’oncologue et le psychologue auraient abordé avec elle le sujet de la fin de vie, lui expliquant les différents traitements, les évolutions… Mais Chantal, comme d’autres, a été laissée seule à se dégrader chez elle, entre deux chimios, jusqu’à ce qu’une hospitalisation devienne la seule option. Alors que si tout avait été pensé et réfléchi, peut-être qu’une HAD (hospitalisation à domicile4) aurait pu être mise en place, si tel avait été son choix.
Les soins palliatifs
Le moment venu, de manière progressive comme c’est le cas dans certains services, l’équipe médicale aurait fait appel aux soins palliatifs pour accompagner Chantal, soulager sa douleur, physique comme psychologique. Nous avions le droit de les interpeller, notre demande aurait dû être entendue. Au lieu de ça, nous avons assisté au déclin rapide de notre être cher, avec du paracétamol pour répondre à sa douleur, un inconfort visible dans un lit trop petit, sa peau se couvrant d’escarres. Il a fallu des jours pour que le médecin daigne prescrire de la morphine alors qu’il nous disait clairement que ses jours étaient comptés. Le plus aberrant est qu’elle avait de la morphine quand elle était chez elle, avec tous les risques d’accident liés à la somnolence que cela comporte, mais le médecin a stoppé l’administration une fois Chantal dans son service. Allez comprendre…
En Corrèze, où il n’y a pas d’unité de soins palliatifs (USP) mais des lits identifiés de soins palliatifs (LISP) dans différents services, le médecin (soyons honnêtes, pas tous) aurait fait appel à l’équipe mobile de soins palliatifs (EMSP)5 qui aurait pris en charge sa douleur, aurait été à son écoute. En acceptant qu’à un moment ça se termine, la mort n’est que la suite logique de la vie.
Personne de confiance et directives anticipées
Chantal avait, comme la loi le préconise, désigné une personne de confiance, qui l’a accompagnée dans ses rendez-vous avec l’oncologue, mais celle-ci n’a pas été entendue, ni même considérée. Les soins palliatifs sont là aussi pour accompagner les proches.
Elle n’avait pas rédigé de directives anticipées, comme ça aurait dû lui être proposé lors de son hospitalisation, et même avant, dès l’annonce de la maladie. Celles-ci permettent d’exprimer des souhaits au cas où nous ne pourrions plus manifester notre volonté. Elles sont dans la majorité des cas opposables au médecin. Selon plusieurs professionnels, même si elles sont une aide qui enlève une grosse responsabilité aux soignants et aux proches, elles sont à prendre avec des pincettes. Souvent remplies au moment de l’hospitalisation, dans un moment de détresse, il n’est pas rare qu’une fois la douleur prise en charge, ces directives changent.
Mais l’humain, quel qu’il soit et quels que soient ses choix, doit être respecté, écouté, celui qui s’apprête à mourir a vécu, ce n’est quand même pas rien ! La logique financière du système hospitalier ne peut qu’amener des dérives, un presque mort qui ne veut plus de traitements lourds n’est pas rentable. Chantal a passé sa vie professionnelle à prendre soin de ceux qui venaient au monde, la façon dont elle a été remerciée est malheureuse. Savoir qu’il y a des lois qui empêchent théoriquement ce genre de cas l’est aussi.
- Circulaire de 2006 relative aux droits des personnes hospitalisées et comportant une charte de la personne hospitalisée.
- Loi de 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
- « Développement des soins palliatifs et accompagnement de la fin de vie – Plan national 2021-2024 »
- . HAD en Corrèze : 05 55 29 80 38
- EMSP : 05 55 29 80 74 ou soinspalliatifs@ch-tulle.fr
Par CIRCÉ PIEDECOCQ