Rêver ses funérailles en Corrèze

Avez-vous déjà pensé à votre enterrement ? lors d’un enterrement par exemple ? J’ai compris lors de la rédaction du dossier « La mort marchande » (LTC N°27), que nous étions nombreux à nous poser des questions tues. Dont la classique « et si tout d’un coup je me réveillais juste au moment de la crémation, ou bien enfoui sous la terre, voire, quelle horreur, dans un bac bétonné ? ». Alors soyez contents ! La coopérative funéraire de Corrèze a ouvert ses portes début janvier à Tulle, avec la volonté furieuse et joyeuse de faire autrement.

Faire autrement

Nicolas, gérant de la toute nouvelle Coopérative funéraire de Corrèze, a une pratique longue du autrement : il a ainsi présidé l’association Génération Nouvelles Technologies et Multimédias (GNTM) à Saint-Denis, engagée dans l’aide aux sans-claviers à l’utilisation des dites nouvelles technologies. Président de Rapmag magazine informatique de culture urbaine, il rencontre à Montréal une coopérative funéraire qui souhaite un slameur pour un enterrement. Cette demande et sa participation aux obsèques percutent la représentation formatée que nous avons des enterrements et ouvrent les possibles. Nicolas s’intéresse alors aux coopératives funéraires canadiennes, bien installées depuis vingt-ans. Il sent leur nécessité dans ce monde où la mort est taboue et où nous abandonnons nos morts aux entreprises de pompes funèbres. Créer une telle entreprise devient son projet corrézien. Il aboutit à l’ouverture de la coopérative funéraire de Corrèze.

« Autrement », pour Nicolas, c’est prioritairement échanger avec les familles : « les funérailles, c’est l’humain en priorité ». Tenir compte des situations financières, chercher les solutions correspondant à l’esprit du défunt. Ne pas avoir l’économique en seule boussole. Intégrer les critères écologiques. Car on peut se faire incinérer dans un cercueil en carton, les cendres peuvent être réparties en forêt après la crémation et une urne en carton peut alors suffire au transport. Un cercueil peut être placé en pleine terre et on peut laisser l’herbe pousser sur la tombe et, oui, il existe une alternative aux soins de thanatopraxie qui conduisent à remplacer le sang du défunt par du formol polluant. Etc.

« Il y a des solutions pour tout » me dit Nicolas, « il existe des contraintes, mais le dialogue permet de se comprendre et de trouver les réponses ».

Faire passer l’humain avant la rémunération des capitaux est « l’autrement ».

La mort concentrée et opaque

C’est en 1993 que le législateur a redéfini la mission de service public pour le secteur des funérailles et installé la concurrence. L’objectif était de protéger les familles et d’assurer une transparence des prix. Depuis le secteur s’est concentré, des groupes rachetant des indépendants. Actuellement, deux opérateurs dominent le secteur : OGF, leader français avec 25 % du marché dont le fonds de pension canadien Ontario Teacher’s a acquis une part majoritaire dans le capital et Funécap (10 %) auquel appartient Roc-écler. La mort est un secteur profitable et sûr. Logique puisque le marché est peu fluctuant avec un nombre de décès annuel qui augmente parallèlement à celui de la population française et à son vieillissement. Avec en prime une demande contrainte par l’urgence.

Dans son rapport de février 2019, la Cour des comptes constate que cette libéralisation a davantage bénéficié aux entreprises de pompes funèbres qu’aux familles endeuillées. Elle relève « la complexité des démarches, le manque de transparence des prix, la persistance de nombreux obstacles ».

L’usage des chambres funéraires est délégué par les communes à un opérateur dans le cadre d’un marché public. Celui-ci a obligation d’en laisser l’usage, rémunéré, aux autres opérateurs. La loi impose l’affichage des tarifs dans l’enceinte des bâtiments funéraires, ce qui est rarement réalisé : absence de transparence relevée dans le rapport de la Cour. L’usage des crématoriums est aussi délégué. C’est Atrium, maintenant filiale d’OGF qui a la délégation de celui de Tulle. Bref, le marché de la mort satisfait pleinement les investisseurs financiers qui investissent dans les forêts et les entreprises de fabrication de cercueils. Ce qui peut expliquer que le carton ne puisse faire un carton !

Et maintenant ?

« Il existe des alternatives au capitalisme » m’a dit Nicolas. La coopérative funéraire en est une : « Son statut coopératif est une garantie des valeurs de l’économie sociale et solidaire ». Il est préférable de rêver plutôt que de s’aigrir l’estomac sur les désagréments comme se voir refuser l’accès à une chambre funéraire par le délégataire, pratique interdite. Ou se voir facturer quarante-huit euros de plus pour la crémation d’un cercueil carton en raison de la présence d’un « plateau d’introduction pour les cercueils faits de matériaux autres que le bois ».

La réalité, déjà, ce sont des choix : le choix de tarifs transparents, le choix de filières solidaires, le choix du local, le choix de travailler avec d’autres. C’est prôner la libre parole et l’importance d’en parler avant. Les rêves, c’est l’après-confinement : animer avec Par la racine, association du plateau de Mille-vaches (LTC N°27), des cafés mortels pour parler de la mort, faire entrer la mort dans la normalité de la vie. C’est aussi s’investir, avec l’association, dans la création d’une forêt cinéraire et y inhumer les urnes. C’est imaginer des cimetières paysagers où les monuments funéraires seraient absents, juste des parcelles et de la terre, pour en finir enfin avec le bétonnage ! C’est penser qu’un jour l’humusation sera enfin légale, c’est à dire transformer les corps en humus riche et réutilisable, pratique légale au Canada.

Il existe actuellement en France des coopératives funéraires à Nantes et à Bordeaux, les précurseurs ; mais aussi Dijon, Rennes et d’autres en maturation… Une fédération se constitue. La mort revit ! Chic, chic, chic, on peut y penser et rêver son enterrement.

Marie-Laure Petit

Carton ou bois ?

Plutôt : que souhaite-t-on en terme écologique, de prix, de cérémonie ? Un enterrement ce sont les coûts de la crémation (750 ou 904 € en Corrèze) ou de l’inhumation, les frais liés au transport et au cercueil. Difficile d’être en-dessous de 2 000 €. Il y a aussi les coûts non obligatoires : thanatopraxie, chambre funéraire, portage du cercueil par exemple.

Alors on peut préférer un cercueil en carton (250 € prix minimal) ou en bois simple, pin non verni (450 €). On peut aussi choisir le carton recyclé, sans colle ni peinture polluante, fabriqué en France pour des raisons écologiques et parce qu’il se dégrade plus vite.

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