Dessin humoristique de Mancho sur les retraites

Retraite corrézienne

Je pars, ai-je décidé durant l’année scolaire 2015-2016. Non pas que les élèves me pesaient, j’avais la chance d’enseigner en BTS Gestion et protection de la nature à Neuvic, et comme profil de classe, c’est royal. Mais, la complexification ubuesque de l’institution, là oui, ras le bol. Un calcul me prévoyait davantage que les 1 209 € de retraite moyenne brute pour les femmes partant en 2017 (oui vous lisez bien 1 209 € brut!). J’ai connu le passage de la retraite à soixante ans en 1981, puis les remontées de l’âge de départ par la loi et le jeu des pénalités pour défaut de trimestres. Je n’avais pas tous les trimestres, comme beaucoup, tant pis. Au 1er janvier 2017, avec un bras d’honneur à tous ceux qui m’engageaient à culpabiliser d’abandonner ainsi l’année scolaire, je suis restée en vacances. Fatiguée des mesquineries administratives, des injonctions et cris de certain(e)s supérieur(e)s hiérarchiques, j’ai tiré la langue à l’emploi, et suis partie m’activer comme bénévole associative, dans des groupes organisés ou non mais avec affinités, et comme grand-mère. Et toc.
Le mot retraite sonnait non pas comme une défaite, mais comme une reculade raisonnable (et possible !) devant la broyeuse d’en face. Mieux valait s’en détourner.

J’étais attendue : le vieux, ou la vieille, qui a bon œil et bonnes jambes est recherché dans notre département rural, où les associations s’activent dans les villes et villages, brassant culture, sports, caritatif, nature, politique, défense des droits et même journal. Les emplois salariés associatifs représentaient 10,6 % des emplois salariés du privé, dans notre département en 2018-2019, soit
6 435 emplois, pas mal non ? Un secteur associatif pour lequel l’engagement bénévole est incontournable et exigeant en présence. Parfait : le retraité a du temps. Le tout gracieusement ma brave dame. Et aussi, souvent, sans demande de remboursements kilométriques et autres fariboles puisqu’on a des ressources … confortables, et que cela évite des écritures comptables. On fait même des dons.

Je décide de ma propre exploitation en me répétant que je peux toujours dire non, même si je n’y arrive pas. Je m’agite, je compte et gère, avec ma petite compétence de savoir faire des comptes ET de savoir les analyser, je me mêle de ce qui me regarde au sein d’associations de défense des droits. Je ris car cela agace nos élus territoriaux qui préfèrent l’administré à l’habitant curieux et regardant. Je m’amuse et me fatigue. Parce que si l’associatif permet de se prélasser dans ce qui fonde la richesse de l’espèce humaine, le collectif (supprimez-le, l’espèce humaine meurt), eh bien ce collectif, comme on le sait, ce n’est pas parce qu’il est nécessaire qu’il est simple, surtout si on tente d’enlever la gestion verticale. En sus l’absurdité d’Ubu a débarqué sur ce terrain depuis un moment et les vieux bénévoles ont dû apprendre à créer et se promener dans leurs espaces associatifs plein de pièges.

Je ne suis pas la seule à travailler ainsi sans emploi. Et cela me met en colère d’entendre les sphères hautes expliquer ce que coûte le retraité, et s’en tenir à ce simple constat. Cela me met en colère qu’on place ce temps humain bénévole consacré à de l’humain dans une case loisirs. Étrange comme sans emploi, pas de travail au sens de labeur.

Ce temps de loisirs ne durera pas : il va évoluer nécessairement avec l’état de la santé, même s’il contribue à nous maintenir alerte. Et, ce bénévolat associatif risque de prendre une claque avec cette folle réforme qui nivelle tout par le bas et confond espérance de vie et vie en bonne santé, sans envisager d’autres effets que les effets comptables. Quand évaluera-t-on vraiment la valeur du non-marchand ?

Par Marie-laure Petit

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