Je me souviens que mon dernier espace de rêve se diluait dans le filet de bave mouillant mon oreiller. Avant, mes larmes coulaient de mes yeux, des paroles effrénées sortaient de ma bouche. Tout devenait illisible dans ma tête. Mes pensées ricochaient sans jamais s’arrêter. Elles défiaient les lois de la physique. Au lieu de disparaitre après plusieurs bonds, elles continuaient à l’infini. Tout devenait incertain et j’étais emporté avec elles dans des sursauts délirants. J’étais un navire sans gouvernail. Le vent de la vie ne me poussait plus vers des rivages accueillants. Mon naufrage s’est empli de voix et d’irréalité. Je me suis heurté à la dure réalité : «un monde meilleur n’existe pas».
J’ai essayé de m’adapter, de naviguer dans ce monde. Je me suis senti, déprimé puis apeuré, persécuté et finalement très angoissé. Ma raison s’est fissurée en ricochets. Maintenant, les cases sont cochées. Je suis ciblé, étiqueté et sur-dosé « au cas où je devienne agressif ». À une autre époque j’aurai été passé au scalpel de la lobotomie. Aujourd’hui, j’échappe à la folie des humains, mais elle me guette sur tous les murs. Ici, je suis le firmament où se dresse l’enfermement. Après la sédition, la sédation a tout englouti. Au-dessous des eaux tumultueuses, j’ai fini par sombrer. Je suis encapsulé. Je suis faille rocheuse où se cache une montagne enneigée de plancton. Je somnole sur les ailes déployées d’une raie à points bleus. Les algues cachent des veilleurs. Mon esprit vagabonde. Je suis forcé de racler les abysses. Que mes mains trouvent leur repos dans ce vide infertile. Elles sont éreintées d’avoir repoussé les mauvais courants. Ici, je reste insensible, non heurté par les vagues de l’existence. Je ne me brise plus sur les rivages. Sous le poids des hautes fosses sans lumière, je m’ancre dans l’invisible.
À ce moment-là encore, je me souviens, je flottais entre deux eaux et je me demandais si j’allais devenir épave ou à nouveau capitaine de mon âme. Et puis, je me suis souvenu, menotté à mon lit, que je pouvais m’inventer une île à moi. Une étoile de mer s’est tatouée sur ma paume de main. Cinq branches comme cinq doigts de main, un nouveau filament de conscience, une nouvelle poigne sur le réel. Mes mains croisées en vol de papillon, je suis remonté à la surface. Je ramenais du fond des océans, de grands coquillages inconnus pour y déposer mes tourments. Je suis devenu l’un de ces bienheureux, l’un de ces fêlés par lesquels la lumière peut miroiter et laisser jaillir des humeurs d’un monde meilleur.
Par YOÉVA