En 2004, l’entreprise Piveteaubois en Vendée rachète l’ancienne scierie de Guy Farges, située sur la zone d’activités industrielles de Tra-le-Bos (communes d’Égletons, Rosiers-d’Égletons et Moustier-Ventadour). L’entreprise Fargesbois (le nom est conservé) croît et devient une belle, grosse entreprise. Elle transforme des grumes de résineux en planches, éléments de charpente, granulés, etc., et employait en 2018, cent-soixante salariés. La Montagne, dans son article élogieux de mars 2018(1) rapportait que l’entreprise envisageait de s’étendre encore : « D’ici neuf mois, nous allons doubler la raboterie… ». Envers du décor d’une croissance au pas de charge.
La réglementation méprisée
L’entreprise achète du bois brut. L’activité de transformation nécessite de traiter celui-ci avec des produits biocides. Sont stockés des grumes, des bois traités et des produits de traitement dangereux. Ces activités ayant un impact sur l’environnement sont réglementées au titre d’Installation classée pour la protection de l’environnement ! L’entreprise doit respecter une réglementation concernant le fonctionnement de l’activité et ce dans l’intérêt général. Elle doit également déclarer ou demander une autorisation, selon le type d’activité, pour toute extension.
La première demande d’extension est faite en 2010 : la surface totale déclarée et autorisée est de 7,13 hectares (ha).
Puis… l’entreprise enjambe la réglementation et se développe comme si de rien n’était. Sans doute pour aller vite : vous savez ce que c’est, les lenteurs administratives, les pinaillages sur le bruit et les pollutions potentielles, alors que vous êtes en plein travail pour créer du bel emploi. Entreprenons donc librement : entre le 22 octobre 2010 et la date de la demande de régularisation en mai 2019, suite à une inspection en 2017, la surface du site croit de 12,77 ha et atteint 19,9 ha(2). La création d’emplois couvre le bruit des récriminations des voisins qui subissent des pollutions sonores. Un détail.
2020, ripolinage
En novembre 2017, une inspection de la DREAL (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) constate l’irrégularité administrative de l’extension ainsi que des manquements et non-conformités dans son fonctionnement avec des impacts sur l’environnement : qualité des eaux souterraines, nuisances sonores, etc.
Fargesbois dépose un dossier de régularisation rejeté par la préfecture en novembre 2018, puis, le 23 mai 2019, un nouveau, déclaré complet par la DREAL en avril 2020. L’objet est de régulariser son extension illégale. Et… de s’étendre de 6,6 ha supplémentaires. Le projet est soumis à enquête publique qui sera menée à la fin de l’année 2020.
La lecture du rapport d’enquête est long et intéressant(2). Concernant les matières dangereuses utilisées, on peut relever que « la nature et la quantité de produit utilisés sur le site de l’exploitant sont de nature à entraîner un classement du site au titre de la directive SEVESO », et que « le calcul réalisé à l’aide d’un outil de l’État indique que le seuil bas [SEVESO bas] n’est pas atteint mais qu’il en est très proche (0,99) qui est atteint lorsque le résultat est supérieur à 1 »(3). Elle est très instructive aussi concernant les risques réels sur la qualité des eaux et sur les pollutions sonores.
L’avis de la commission d’enquête est favorable avec deux réserves portant sur la situation acoustique et sur la qualité de l’eau.
La lecture de l’ensemble laisse un goût amer de validation du fait accompli. L’entreprise s’étend et en oublie de respecter les périodes données (entre novembre et février) pour buser le ruisseau. Un détail.
Toujours plus
L’entreprise peut atteindre 26,49 ha.
Dans l’enquête, Fargesbois annonçait déjà son besoin supplémentaire d’extension de plus de 13 ha.
Début 2020, le conseil communautaire valide son Plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI), dont… le passage de terres agricoles en terres à vocation d’activités industrielles, étendant ainsi la zone de Tra-le-Bos d’environ 16 ha. Pourtant, le Projet d’aménagement et de développement durables du PLUI déclare la nécessité de préserver zones humides et ruisseaux en raison de leurs fonctions régulatrices ainsi que les parcelles agricoles. Pourtant, il est écrit dans le rapport d’enquête publique concernant le PLUI que les décideurs doivent faire preuve de vigilance quant à l’implantation des activités afin d’éviter les nuisances potentielles et autant que possible le sacrifice de terres agricoles. L’extension de la zone de Tra-le-Bos est citée.
En 2019, un élu de Moustier-Ventadour vend deux hectares de parcelles, encore agricoles, à la Société mixte de développement économique créée lors de la construction de l’A89, à cinq euros le m², soit dix fois le prix moyen agricole. Tout se passe comme si tout était déjà acté.
Et après ? Après, la Communauté de communes dépose un dossier de Déclaration d’utilité publique (DUP) afin de pouvoir… exproprier les propriétaires récalcitrants pour permettre l’extension d’un pôle bois. Une nouvelle enquête publique « préalable à la déclaration d’utilité publique de cette extension » se déroule fin 2021.
On peut lire dans le rapport de la nouvelle enquête, que c’est dès 2017, donc lorsque Fargesbois était en situation administrative irrégulière, que le lancement de cette procédure a été voté en conseil communautaire(4) : « Le Président explique que la société SAS Farges, implantée sur la Zone d’Activités de Tra-le-Bos à Égletons, souhaite développer de nouvelles activités, permettant la création d’un parc à grumes plus important avec un volume de stockage permettant la continuité de l’activité de 10 jours même en cas de défaut d’approvisionnement direct. » Fargesbois a besoin de 13 ha supplémentaires : une grande majorité des terrains concernés par l’opération.
L’avis de la nouvelle enquête publique est aussi favorable. Sans réserve.
La triche récompensée
Pourtant, dès 2020, la Mission régionale d’autorité environnementale, dans son avis, mentionnait que l’absence d’alternative n’était pas démontrée quant aux choix des extensions de l’entreprise. Lors de l’enquête publique de laDUP, des habitants ont fait remarquer que la gare bois de Viam-Bugeat, investissement coûteux lié à la tempête de 1999, située au cœur du massif forestier, était en vente. L’entreprise pouvait y réaliser une zone de stockage des grumes avec une liaison ferroviaire existante avec Égletons. La remarque du commissaire enquêteur est que Bugeat n’est pas sur la même communauté de communes.
L’entreprise veut s’étendre à Égletons. Les élus suivent, pour l’activité économique et l’emploi. Quelle qu’en soit la morale : la fin justifie les moyens.
Tant pis pour l’agriculteur qui souhaitait reprendre la ferme : on lui réserve des surfaces ailleurs. Tant pis pour la propriétaire restante : elle a assisté à l’extension illégale de l’entreprise, et peut être expropriée de tout. Mais il est envisagé de lui laisser l’usufruit : on lui laisse la joie de pouvoir rester dans sa maison avec vue, oreilles, et nez sur l’entreprise, jusqu’à son décès.
Tant pis, surtout, pour ceux qui ont une définition plus large de l’utilité publique. Et tant pis pour tous ceux qui pensent qu’il est impératif de respecter, et le droit, et les équilibres naturels.
Des analyses de suivi de la qualité des eaux souterraines sont faites régulièrement : le rapport de 2021 montre un impact (dépassement des seuils de produits) de l’activité de traitement du bois menée sur le site sur la qualité des eaux souterraines. Les inspections réalisées tant en 2021 qu’en 2020 montrent des écarts réglementaires avec des demandes de mise en conformité. Le trafic de poids lourds est également intense et il est conseillé de regarder les coûts du rail. Les analyses sont publiques, il suffit de les demander.
Il est violent de constater les manquements d’une entreprise et de la voir ensuite légitimée dans ses pratiques. Fargesbois, dans une de ses réponses lors de l’enquête de 2020, constatait : « La défiance d’une partie de l’opinion vis-à-vis des projets industriels […], que la sérénité du débat public n’était plus garantie et que les entreprises n’étaient désormais plus à l’abri d’attaques violentes contre leurs infrastructures. » Il est essentiel d’avoir en tête que la colère est la manifestation d’un besoin non respecté : la transparence, la nécessaire écoute, l’exigence du respect du droit par tous sont des besoins communs. De tous.
Par JULES
(1) La Montagne, 28 mars 2018 (http://urlr.me/hVZps).
(2) Rapport de la commission d’enquête : http://urlr.me/C4B13.
(3) Idem p. 24‑25.
(4) Compte rendu du conseil communautaire : http://urlr.me/sdCzN.