Les repas pris à l’école ont dégoûté nombre de mômes du céleri rémoulade, des betteraves, des épinards. Comment va-t-on faire maintenant qu’il faut manger local et de saison, même l’hiver quand il ne reste que des racines dans les champs ? Heureusement, les cantines savent s’adapter.
Macédoine en mayonnaise
Œufs durs chaud béchamel. Poisson sans nom cuisson au court-bouillon. Petits suisses aux fruits servis par deux dont seule la couleur du pot permet d’identifier le goût. Comment l’oublier, l’ambiance de ces repas pris en tribu, de cette pitance ingurgitée bien vite, emberlificotés dans les potins, affalés dans le bruit répercuté par les plafonds, la fureur des batailles de fécule humectée, c’est-à-dire de purée ?
Nombre d’enfants sont élevés à la cantine, c’est-à-dire, au-dessus d’un certain volume de bouches à nourrir… à la chaîne. Prend ton plateau, ton verre et le reste, et glisse le long des rails pour l’assemblage de ton repas : un peu comme une voiture il se construit là, pièce à pièce. En face de toi, de l’autre côté de la vitre, une personne assignée à la distribution de chaque plat. Un certain ennui dans les yeux, cuiller de Plof après cuiller de Plof. Puis tu t’installes. Tu absorbes, tu t’en vas. Gestion de flux.
Du label dans l’assiette
Selon le Ministère de l’Éducation nationale, la restauration scolaire forme pourtant un lieu privilégié de convivialité : « Le temps du repas est l’occasion pour les élèves de se détendre et de communiquer. Il doit aussi être un moment privilégié de découverte et de plaisir ». C’est vrai qu’on s’amusait bien, surtout en faisant des trucs immondes comme glisser nos œufs durs chauds en série derrière le radiateur. Gâché. Car pour une croissance (osseuse) optimisée, le repas de midi doit aussi apporter aux enfants 40 % de leur apport énergétique journalier.
Heureusement, les cantines font aujourd’hui l’objet de toutes les attentions. La fin du gaspillage alimentaire, l’approvisionnement Bio, les circuits courts, c’est par là que ça commence. À partir de 2022, elles auront l’obligation de servir 50 % de produits « durables de qualité » dont au moins 20 % de produits issus de l’Agriculture Biologique¹. En 2018 le projet de loi concocté par le gouvernement, suite aux Etats généraux de l’alimentation, prévoyait 50 % de Bio. Finalement il se rabat sur la qualité durable. Définie dans le décret d’application, elle comporte une demi-douzaine de labels, dont la « Haute valeur environnementale », inventée en 2012, aux contours un peu mous.
Un cran d’avance en Corrèze ?
Petit tour du côté des communes pour la restauration primaire : certaines comme Meymac ou Ussel ont pris de l’avance. Les cantines y composent des menus chamarrés. Pour chaque denrée, les parents peuvent savoir, armés d’un code couleur, si leurs enfants sont nourris de bio, local, fait maison, Label Rouge, frais, c’est-à-dire non-congelé, ou encore… de Viande française. Impressionnant. On en viendrait à prendre peur à propos des quelques rares denrées dénuées de label : du cheval hollandais déguisé en lasagne ? Quand même pas !
Pour les collèges, c’est le Département qui s’en occupe et donne un coup de pouce à la distribution de produits bio locaux, quelques dizaines de tonne par an, pour le moment. À la Chambre d’agriculture, une chargée de mission missionne. Enfin, une plateforme de mise en relation, Agrilocal 19, permet aux logisticiens du yaourt et du sauté de porc de passer commande directement auprès des agriculteurs.
Le mystère du cerf de Noël enfin résolu ?
Quelle part de l’approvisionnement cantinier représente cette plateforme locale ? Pas tout, loin de là , pour le moment. Dans le numéro précédent (LTC n°35), nous nous demandions d’où venait le cerf servi à la cantine du collège d’Uzerche au repas de Noël. Et puis s’il était-il possible au fond d’approvisionner une cantine scolaire avec du gibier local. En théorie, la réponse était oui, mais en pratique ? Le gestionnaire de la cantine, M. Fernandez, me met sur la voie : « Il faudrait demander à nos fournisseurs ». L’approvisionnement du collège passe surtout par deux grossistes qui opèrent sur toute la France, Trans Gourmet et Brake-Sysco. Le sauté de cerf provient du second. Place au catalogue : conditionné sous forme de sachets de 2,5 kilogrammes, sous-vide ou congelé, celui-ci provient de « viande sauvage, de chasse, origine garantie Union européenne ». Cela peut donc provenir de Creuse, comme de Pologne. À noter en passant, l’entreprise s’approvisionne aussi en Nouvelle-Zélande (!) pour d’autres morceaux de la bête. Au siège de la boite, personne pour donner plus d’info. L’agente d’accueil semble seule à bord du grand vaisseau.
Marine Legrand
1 – Le calcul se fait en valeur hors taxe des produits achetés par les cantines, selon l’article 24 de la « loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous ».