Nouvellement installé à Cornil dans son cabinet L’Archibus, Sylvain Donadieu, architecte, a rencontré le 19 décembre 2024 le maire de Tulle pour lui proposer une initiative simple visant à acheter des logements vacants, les rénover à énergie positive, les louer en-dessous du prix du marché, et cela avec l’assentiment de toutes les personnes concernées.
Est-il tombé sur la tête ? Non, il a fait un calcul avec Anne Rollin, son associée au sein de CooRPS (Coopérative de Rénovateurs Propriétaires Solidants), spécialiste du financement des mouvements solidaires. Conclusion : un logement bien sélectionné pour une rénovation au maximum, loué ensuite en-dessous du prix du marché, avec l’assentiment de chacun·e, c’est possible… Ah bon ?
En plus, Sylvain et Anne veulent renaturer la ville, c’est-à-dire qu’à l’occasion de leurs travaux, ils feraient une place aux animaux sauvages (avec des nichoirs par exemple)…
Et ils souhaitent donner du travail à certains locataires en leur confiant des tâches telles que l’entretien des locaux, la création de potagers, la maintenance des installations énergétiques…
De surcroît, ces immeubles généreraient des revenus énergétiques et leur beauté produirait un effet d’acupuncture urbaine, c’est-à-dire de résonance dans la ville à travers l’impact sur les habitants…
Table des matières
Acheter des ruines
Leur projet est donc d’acheter des ruines, des logements vétustes dont personne ne veut plus et qui pourtant ne sont pas gratuits.
En effet, Tulle regorge de vieilles pierres, pas toujours en bon état, on pourrait même dire que beaucoup sont en désordre et qu’il y a donc de nombreux logements innoccupés. C’est logique à l’heure du classement énergétique, mais c’est aussi légal puisque les logements les plus mal classés énergétiquement sont inéligibles à la location depuis le 1er janvier 2025. Ceux étiquetés « G » et « + » sur le diagnostic de performance énergétique, les énergivores (aussi appelés passoires thermiques) sont désormais considérés comme non décents.
Donc pas gratuits, mais impossibles à louer. La mairie de Tulle et Tulle Agglo les accompagnent (voir « les notes de rencontres » sur le site) et leur indiquent les biens sans maître dont la mairie a la charge depuis la loi Alur du 23 février 2022, selon l’article L1123-1 du Code général de la propriété des personnes publiques.
Sylvain Donadieu et Anne Rollin les visitent puis définissent ceux qui sont les plus faciles à remettre en état dans la classe énergétique la plus élevée.
Rénover des ruines en classe A
Les maîtres d’œuvre le savent tous, la classe A est conçue pour le neuf, elle est donc a priori impossible à atteindre dans la rénovation. Mais avec l’accord préalable du diagnostiqueur sur les conditions d’obtention d’un classement en « A », cela pourrait être possible, même en rénovation. Dans ce domaine, des conditions objectives existent pour classer en « A ». Rénovateurs et diagnostiqueurs peuvent préciser pour un chantier donné les valeurs à atteindre afin de lui attribuer la meilleure note.
Louer en-dessous du prix du marché ?
Selon son maire, Tulle compte 13 000 habitants la nuit, 30 000 le jour. Et des embouteillages incroyables et inacceptables dans une si petite ville… Ces milliers de travailleurs n’ont pas souhaité s’installer en ville mais dans les communes avoisinantes, pour la qualité de vie sans doute, et la proximité des équipements de Tulle. S’ils avaient trouvé sur le marché des logements bien classés, peut-être se seraient-ils installés en ville ? En classe A et à un prix inférieur à celui du marché, on peut supposer qu’ils l’auraient fait.
Pour louer moins cher, Anne et Sylvain utilisent la ristourne proportionnelle1, bien connue dans les coopératives. C’est-à-dire que quand tu paies CooRPS pour un service, elle te reverse un pourcentage. Cela réduit le montant final que tu auras à payer, et donc si on parle d’un loyer, cela le place mathématiquement en-dessous du prix du marché (voir exemple chiffré plus bas).
Avec l’accord de tous
Pour obtenir l’assentiment de tous, Anne et Sylvain souhaite créer une une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). C’est le type de société qui impose de coopérer avec tout le monde, donc a priori ce n’est pas gagné, mais c’est déjà un bon moyen d’y parvenir.
Quant aux autres points tels qu’installer des nichoirs, organiser un service de ménage entre voisins, poser des panneaux solaires ou des turbines dans les descentes d’eau pluviale et enfin créer une communauté d’habitants qui rayonne dans son quartier, ils ne semblent pas insurmontables, même à Tulle.
L’acupuncture urbaine est une théorie urbaine environnementale qui considère la cité comme un organisme vivant. En réalisant leur concept en plusieurs endroits de la ville, cette acuponcture pourrait effectivement trouver un écho dans la population concernée. Mais qui à Tulle pourra payer le loyer d’un logement en classe A, même un peu moins cher ? CooRPS n’est pas un bailleur social mais une initiative privée pour le parc immobilier privé. Cependant, la mixité sociale leur semble indispensable pour le bon fonctionnement de leurs communautés d’habitants, ils trouveront donc un moyen de louer à tous avec le soutien de la ville et de la CAF.
Où en est le projet CooRPS ?
Pour l’instant Sylvain et Anne ont visité deux immeubles et sont en train de réaliser leurs études techniques et financières afin de se positionner. S’ils concluent à la faisabilité de la rénovation, ils pourraient démarrer la levée de fonds correspondante avant l’été 2025.
Si vous êtes dans le BTP, il est possible d’adhérer au collège des rénovateurs. Le montant de l’adhésion initiale est de 150 €.
Si vous possédez des biens immobiliers vacants ou un apport de 10 000 € minimum, il vous est possible d’adhérer au collège des propriétaires. Vous partagerez sous forme de rente les loyers futurs des immeubles dont vous aurez participé à l’acquisition et à la rénovation.
Exemple chiffré
Si tu es adhérent·e de l’association CooRPS et que ton loyer est par exemple de 600 €/mois TCC, tu reçois une ristourne de 5 %, soit 30 €, ton loyer mensuel devient 570 €.
Si tu as participé à la rénovation de l’immeuble, tu reçois une partie des loyers en tant que rénovateur, soit par exemple 24 €, ton loyer mensuel est maintenant de 546 €.
Si tu as apporté un capital pour l’acquisition ou la rénovation de l’immeuble, tu reçois encore une partie des loyers en tant que propriétaire, soit par exemple 15 €, et ton loyer mensuel final est en fait de 531 € au lieu de 600.
Si enfin l’association t’emploie, par exemple pour aider tes voisins, on peut imaginer que ta location devienne positive, qu’elle te rapporte plus de sous qu’elle ne t’en coûte.
Par THOMAS JOURNEL
- Principe selon lequel les bénéfices sont redistribués aux membres au prorata des opérations traitées ou des services fournis et non en fonction du capital de départ.