Être propre, rester propre. Se sentir propre. Voilà bien une obsession contemporaine de nos civilisations. Les shampoings et autres gels douche que nous utilisons (peut-être) dans ce but contiennent dans leur grande majorité des composants polluants. Qu’importe ! Eyrein Industrie, florissante entreprise corrézienne qui relève du secteur de la chimie, fabrique et vend la propreté, un point, c’est tout.
Nettoyer, faire disparaître même ce qui est invisible, désinfecter, purifier, assainir, tels sont les maîtres mots de la société. Rendre l’humain et son environnement, partout où ils sont économiquement utiles, indemnes de toute saleté, de tout germe, de toute trace indésirable, graffiti inclus.
Une entreprise qui se prétend écoresponsable
Eyrein Industrie, c’est un fabricant de produits de nettoyage industriel, de décapage en tous genres, de produits lessiviels ou encore d’insecticides. Le catalogue de la société, riche de centaines de références, compte tout de même une quinzaine de produits écolabellisés. Car Eyrein Industrie est une entreprise écoresponsable. « Pour nous qui sommes implantés en plein cœur du “pays vert”, le développement durable est une démarche naturelle. Protéger notre environnement, gérer au mieux nos ressources humaines, concevoir et fabriquer des produits 100 % made in France, assurer la sécurité de nos utilisateurs, tout en assurant notre performance économique, voilà notre quotidien. Notre démarche développement durable n’est pas nouvelle, elle s’inscrit tout naturellement dans le développement de notre entreprise. » Tels sont les propos lénifiants qu’Eyrein Industrie affiche sur son site internet. Elle souligne encore dans son livret RSE1 que « 100 % des eaux rejetées sont traitées » (dans sa station d’épuration).
Pourtant, pendant 48 heures en août 2018, des centaines de litres d’un composant chimique pur, entrant notamment dans la formule de produits de soins corporels, s’écoulaient gentiment dans la Montane, en amont de Gimel-les-Cascades. En résultait une pollution locale majeure causant une mortalité massive de la faune aquatique sur une portion de quatre kilomètres du cours d’eau (invertébrés, crustacés, poissons et mollusques comme la moule perlière, classée en danger d’extinction, ainsi que l’a rappelé la Fédération de pêche, l’une des parties civiles dans cette affaire).
Eyrein Industrie, entreprise écoresponsable, condamnée une nouvelle fois pour pollution
Il aura fallu près de six années de procédure judiciaire à rebondissements et de pugnacité de la part des plaignants que sont la fédération de pêche de la Corrèze, les AAPPMA2 de Tulle et des Monédières ainsi que l’association Défense et Respect du Pays de Gimel (DRPG)3 pour que la confirmation en cassation du jugement prononcé en appel soit annoncée, à savoir la responsabilité de la société et le versement d’une amende de 50 000 €.
Faut-il rappeler qu’Eyrein Industrie n’en était pas à son premier forfait : déjà condamnée par deux fois pour faits de pollution survenus en 2012 et 2015 et affectant la Montane, la société avait écopé d’amendes symboliques, respectivement 1 000 € et 4 000 €. Alors 50 000 € pour récidive, voilà une somme substantielle ! Voilà une condamnation significative !
Puisque nous parlons de chiffres, replaçons celui-ci dans l’ordre de grandeur de l’entreprise. En 2020, la société Eyrein Industrie affichait un chiffre d’affaires de 36 millions d’euros et dégageait en fin de ce même exercice un résultat net de 1,24 million d’euros. La COVID était passée par là et les affaires étaient plutôt juteuses pour un fabricant et marchand de propreté. Au fait, rappelons-nous : Macron et son gouvernement de l’époque mettaient en œuvre des dispositions financières pour relancer une économie en berne. Ça s’appelait d’ailleurs « le plan de relance ». C’est ainsi que la société Eyrein Industrie s’est vu attribuer la modique somme de 500 000 € grâce à ce dispositif pour des investissements annoncés d’un montant de 3,25 millions d’euros (installations logistiques, robotisation de la production).
Restons positifs : encore neuf condamnations à des amendes de 50 000 € pour pollution et l’État sera remboursé. Mais lisez jusqu’à la fin car on va de (mauvaise) surprise en (toujours mauvaise) surprise.
Et la rivière est toujours bel et bien malade
En attendant, si l’affaire relative à la pollution de 2018 est pénalement close, demeurent les suites au civil. Les associations de pêche, parties civiles, sont déterminées à obtenir une indemnisation pour préjudice écologique, moral et matériel afin d’engager ou de poursuivre les travaux nécessaires à la restauration de la Montane et de cette partie du bassin-versant.
En lecteurs avisés de La Trousse que vous êtes, critiques de surcroît, vous vous hasarderez peut-être à surfer sur la toile et trouverez facilement le site internet d’Eyrein Industrie et sa page déroulant la frise historique de la société. Là se trouve la source de certaines des informations contenues dans cette article. Mais il n’y est nullement question d’autres sources. Pas plus que de rivières, de poissons et autres moules perlières…
On voudrait tant rester optimiste. Y a-t-il un épilogue à cette histoire ? Il faut croire que non. Philippe Bonnet, président de l’AAPPMA de Tulle, déclare que la Montane a subi quatre nouveaux épisodes de pollution au cours de l’été 2024, photos et vidéos à l’appui, le dernier de ces épisodes étant survenu début septembre. La Gendarmerie nationale et le SDIS (pompiers) se sont déplacés, les services compétents (DREAL4, Tulle agglo) ont été alertés. C’est pour l’heure « silence radio ». L’origine de ces pollutions reste à ce jour indéterminée. Philippe Bonnet avait qualifié précédemment la Montane de « convalescente ». Il affirme aujourd’hui que la rivière est bel et bien malade. Les derniers inventaires témoignent d’une baisse notable des effectifs dans toutes les espèces. Quant à la microfaune aquatique, elle est à un stade critique, selon les observations de Philippe Bonnet qui, pour être pêcheur, n’en n’est pas moins naturaliste.
1 Responsabilité sociétale des entreprises, ou, comme le définit le ministère de l’Économie sur son site officiel, la contribution de celles-ci aux enjeux du développement durable, blablabla…
2 Association agréée de pêche et de protection des milieux aquatiques.
3 La municipalité de Gimel-les-Cascades, bien que le conseil municipal, peu après les faits, eût chargé son maire, Alain Sentier, de déposer plainte et de se constituer partie civile, s’est finalement rétractée lors de l’audience au tribunal de Tulle, comme le mentionne, dans sa chronologie des faits, l’association DRPG.
4 Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement.
Par BLANCHE-NEIGE
On dit souvent polueurs payeurs, mais en attendant le mal est fait et il faudra des années pour que la montane retrouve une santé satisfaisante.