On les nomme des migrants, des exilés. Et il serait bien utile de réagir aux immondices que la droite extrême placarde sur les murs à l’approche des élections et qui fait référence à la solution « finale ». Quel talent ! Quelle bêtise surtout d’oublier que nous sommes tous des migrants. Nous l’avons tous été et nous le serons indubitablement de nouveau dans un futur peut-être pas si lointain. Alors un peu de compassion, d’indulgence, d’empathie et d’admiration sont autant d’abstractions que je rêverais d’insuffler à ces autolâtres marinistes.
Des hommes et des femmes ; des enfants aussi ; des miracles et surtout, des amis.
Venus du monde entier, d’ici ou d’ailleurs pour des raisons qu’il n’est même pas nécessaire de discutailler. Peut-on imaginer qu’il soit autrement possible de fuir, de tout larguer et de braver le pire, si ce n’est pour d’irrécusables raisons ? Je suis véritablement admiratif du courage qu’il aura fallu à tous ces gens pour arriver jusqu’à nous. À petits pas, la vie, le bus, le train les ont déposés ici. En Corrèze, pour continuer à rêver. Ce sont des héros !
Et ce sont ces héros qui, de leurs multiples cultures, vont nous aider à écrire nos multiples futurs.
Être né quelque part et enfin arriver là. Quelle parfaite occasion pour pleinement apprécier l’ampleur de toutes les richesses que nous avons à partager.
Apprendre à se connaître car « Qui se connaît, connaît aussi les autres, car chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition. » (Michel Eyquem de Montaigne).
Baba et Mama sont nés au Darfour
Dans le même petit village près de Beida. Les parents de Baba, aidé de leurs deux enfants et de leurs chevaux, cultivent, entre autres, sorgho, cacahuètes, tomates, gombo, pastèques, mangues et goyaves. Ils vendent une partie de leurs produits et de leurs petits troupeaux, vaches et moutons, sur les marchés. Le reste sert à nourrir la famille.
Le papa de Mama élève seul ses six enfants, suite au décès précoce de sa femme. Il est cultivateur, éleveur et donne des cours de lecture coranique. Au sein de leur foyer, ils parlent le massali, dialecte du Soudan, à l’extérieur ils s’expriment en arabe.
Baba et Mama se connaissent depuis qu’ils sont enfants. Lui est né en 1967, elle en 1976. À trente-cinq et vingt-cinq ans ils se marient sous l’œil satisfait de leurs pères respectifs, puis fondent leur propre famille dans la maison paternelle. De leur union naîtront trois filles et deux garçons.
Après trois ans de mariage, bien malgré eux, ils doivent fuir le Darfour pour rejoindre le Tchad à pied, après avoir vendu leurs animaux. Ils espèrent y reprendre une vie plus calme. Baba a été gravement blessé à un bras en 2003, il ne pourra quasiment plus travailler. Ils se relancent tout de même en agriculture, et achètent des chèvres et un âne. C’est donc Mama, aidée de ses enfants, quatre jours par semaine, qui va devoir gérer la plupart des charges afin de nourrir sa famille. Les petits étant scolarisés le reste du temps.
Les années passent au camp. De là en découle l’évidence d’un départ pour la France. Ils expliquent à leurs enfants qu’« assurer votre protection et votre éducation est notre priorité ».
Ils arrivent à Clermont-Ferrand par voie aérienne en 2020 pour ensuite être conduits par une association vers le village de Vigeois.
« Nous repartons encore une fois de zéro mais nous ne pourrons plus avoir de ferme, ici cela nous semble tellement compliqué », alors….
« Aujourd’hui nous sommes heureux d’être en France, notre volonté est d’apprendre au mieux la langue de notre pays d’accueil, afin de nous intégrer plus facilement. Notre seul regret est d’avoir laissé notre grande fille au Tchad, qui s’y est mariée. Nous restons dans l’espoir de la revoir un jour. »
Qu’aimez-vous dans la vie ?
Avec un grand sourire Baba me répond : « Moi j’aime les voitures et apprendre le français. » Mama, avec des gestes délicats, explique : « Je fabrique des paniers et j’aime créer des vêtements et les coudre. Un jour je devrai m’acheter une machine. »
Baba et Mama, avez-vous un rêve ?
« Nous rêvons de retourner vivre dans notre pays natal avec toute notre famille dès que cela sera possible. »
Les rêves de Mo
Après avoir traversé plusieurs pays d’Afrique, la mer Méditerranée, puis l’Espagne, c’est depuis la Guinée Conakry que Mo arrive enfin un jour de mai 2018 à Paris. Perdu dans l’immensité de l’indifférente capitale, anonyme et désabusé, Mo décide de reprendre la route du sud, peu de temps après. Un agent SNCF le condamnera à débarquer du Paris-Toulouse en gare de Brive. Encore perdu ! il fait nuit. La police organise un transfert : Tulle. Vous voici arrivés à destination, bon séjour. Plus douloureux qu’une épreuve initiatique, un voyage de tous les dangers. Tout perdre, tout quitter, tout laisser, et espérer : la renaissance. Mais de tout cela, Mo ne veut plus y penser. Le passé n’existe plus.
Au premier lever de soleil, quand on ne sait pas où l’on est, j’aurais certainement eu envie de me pincer pour être sûr que je n’étais pas en train de rêver, un cauchemar. Où suis-je ? Qu’est-ce que cet endroit ? Cette petite ville encore dormante du bout de la route, enclavée, contenue tout entière entre ses collines. C’est sûrement un peu ce qu’a vécu Mo ce jour-là.
Et puis Mo me rapporte que très vite s’est mis en place un élan de solidarité. De structures en familles, on lui vient en aide. Et de ses propres mots, il me dit que, contrairement à d’autres villes qu’il avait eu l’occasion de traverser, il a trouvé ici des gens sympas, engagés et habités par le désir d’accueillir dignement, de guider. Les âmes bienveillantes ne manqueraient donc pas, c’est rassurant.
Mo : « Arrivé tout jeune ici j’ai été recueilli par des familles qui me voulaient du bien et je leur en suis tellement reconnaissant. Désormais mes attaches sont à Tulle. Je me sens comme chez moi. Et quand je suis ailleurs, il me tarde de rentrer en Corrèze. »
Ici, aujourd’hui, c’est bien l’espoir d’une reconstruction qui guide ses pas. Continuer à vivre, et à laisser germer les bonnes graines d’avenir qu’on lui a offertes.Depuis peu dans son petit appartement, et non sans mal à cause des difficultés administratives, Mo a trouvé un apprentissage en plomberie, et rêve désormais de s’installer définitivement.
Des amis, des connaissances. La vie s’est donc écrite ici. Elle continuera à s’écrire avec Mo qui souhaite encore davantage s’investir pour aider à l’avenir d’autres jeunes qui comme lui, sur le bord de la route, un jour arriveront en Corrèze.
Les rêves de Mo ? Vivre, bâtir, aimer et être aimé, fonder une famille, aider, protéger et poursuivre…
Aristide de Pompadour et Petite pensée