Manifestant avec une affiche "transition mon cul"

ET MON CUL, c’est du pellet ?!

On vous en parlait dans les numéros précédents, on risque bien de vous en reparler prochainement : CIBV, le projet expérimental de production de charbon à partir des forêts limousines, poursuit sa progression dans les montagnes de Bugeat et Viam, et bientôt sur les 80 km à la ronde.. Après une première phase de construction de l’opposition et de tentatives pour suspendre le projet, après les ultimes autorisations administratives, les opposants persistent à refuser de sacrifier leurs forêts sur l’autel de la finance greenwashée et de l’emploi jetable : voici un bref historique, un récit de quelques actions récentes, et des invitations pour la suite.

On vous en parlait dans les numéros précédents, on risque de vous en reparler prochainement : CIBV, le projet expérimental de production de charbon à partir des forêts limousines, poursuit sa progression dans les montagnes de Bugeat et Viam, et bientôt sur les 80 km à la ronde. Malgré les ultimes autorisations administratives, les opposants persistent à refuser de sacrifier leurs forêts sur l’autel de la finance greenwashée et de l’emploi jetable : bref historique, récit de quelques actions récentes, et invitations pour la suite.

Un rapide historique : circulez, il n’y a rien à revoir

Mai 2017 : le projet CIBV est annoncé publiquement. Des riverains du site obtiennent une réunion privée avec l’ingénieur en chef qui ne les rassure pas du tout. Avec d’autres habitants du secteur, ils commencent à chercher d’autres informations.

Septembre 2017 : premiers échanges publics sur le sujet au moment de la Fête de la montagne limousine à Nedde.

Octobre 2017 : création de l’association Non à la Montagne-pellets et organisation d’une réunion publique à Bugeat.

Novembre-décembre 2017 : procédure d’enquête publique sur la seule commune de Viam (quelques hectares sur les 20 000 km2 impactés par le projet). Interventions collectives à toutes les permanences de l’enquête, dénonçant le projet et la procédure, sur le fond comme sur la forme. Nombreuses contributions à l’enquête des habitants du secteur d’approvisionnement, dont une contribution commune de sept associations sensibles aux questions environnementales et sociales.

9 décembre 2017 : 150 personnes se rassemblent à proximité du site de l’usine.

14 décembre 2017 : la veille de la fin de l’enquête publique, le parc naturel régional apporte une contribution favorable au projet d’usine (au mépris de l’avis de son propre conseil scientifique).

Fin janvier 2018 : annonce de la décision favorable du commissaire-enquêteur.

Février 2018 : Non à la Montagne-pellets lance une série de réunions publiques. Elle en organisera une dizaine entre février en juin.

Mars 2018 : réunion du Conseil départemental des risques sanitaires et techniques à Tulle. Nouvelle contribution commune des sept associations précédentes, et rassemblement-casserolade sous les fenêtre du CODERST.

30 mars 2018 : arrêté préfectoral autorisant le début des travaux.

En quelques mois, la machine administrative aura ainsi validé sans sourciller un projet dont n’auront été clarifiés ni la pertinence la plus élémentaire, ni l’absence d’impacts graves, ni le plan de financement, ni les modalités d’approvisionnement et d’exportation.

Circulez, il n’y a rien à revoir : les élus, financiers et institutions s’organisent, une partie de la population propose de s’arrêter pour réfléchir, et l’économie dispose… du bien commun.

Après les autorisations, les cérémonies

Un mariage…

Quiconque se sera penché avec un minimum d’attention sur le dossier préalable à l’enquête publique aura pu relever son comptant d’incohérences, de confortables euphémismes et d’omissions plus ou moins volontaires. Pourtant, l’industriel nous réservait encore une surprise de taille, qu’il a sans doute préféré garder pour le cas où la question lui serait posée… peut-être de peur de s’attirer les foudres des opposants au massacre à la tronçonneuse ? Toujours est-il qu’on a pu découvrir, diluées dans les réponses aux questions complémentaires du commissaire-enquêteur à l’issue de l’enquête, les quelques phrases qui suivent. À la question : En cas d’insuffisance des rémanents, par quoi les remplace-t-on ?, M.Gaudriot et ses sbires répondent ainsi : « Le process de torréfaction développé présente l’avantage de pouvoir admettre en entrée une grande variété de matières bois […]. Il sera donc possible de faire évoluer le plan d’approvisionnement en fonction des qualités et des volumes de matière réellement disponibles et en fonction des opportunités de marchés. Par exemple, il sera possible d’intégrer des volumes d’élagage en lien avec le programme fibre du département […]. Il s’agira toujours de bois « propres ». » Le « plan fibre » du département, « opportunité de marché » pour s’approvisionner pas cher en « bois propres », il fallait quand même le faire ! On comprendra sans doute un peu mieux à cette aune l’engouement de M. Coste pour le projet CIBV… Voilà déjà pour ce qui est du mariage.

Un enterrement…

Quant à l’enterrement, ce sont les opposants au projet CIBV qui l’ont organisé le 29 avril dernier, et c’est leur parc naturel régional qu’ils ont décidé d’ensevelir sous quelques souches et branchages. On ne sait pas s’ils ont vraiment cru, à un quelconque moment, que le PNR Millevaches pourrait servir de garde-fou à la convoitise gaudriesque sur les forêts limousines (il y avait pourtant quelques bons présages : un projet de nouvelle charte qui critique ouvertement les coupes rases et défend une sylviculture raisonnée, un conseil scientifique défavorable au projet, ou même un président du parc qui déclarait en 2016 : « On ne va pas créer des industries ici »…). Mais on peut constater qu’ils ont fini par déclarer officiellement la mort clinique de l’institution, après avoir tenté tant bien que mal d’obtenir son appui pour arrêter le projet, pour finalement se retrouver face au camouflet d’une contribution favorable. Quelque 150 participants ont donc déposé un cercueil devant le siège du PNR avant de compléter la scène avec une oraison funèbre qui a rappelé que « le PNR est devenu visiblement ce qu’il était essentiellement : un paravent, une chimère ». Et de poursuivre : « [Les responsables politiques de toutes tendances confondues], si soucieux de leur territoire, le bradent aveuglément au premier industriel venu et voudraient continuer à vanter leur souci de l’environnement. Il leur faut désormais assumer leur parti pris pour le productivisme et l’extractivisme au mépris des habitants, leur choix pour le devenir de ce que le jargon technocratique nomme biomasse et que nous appelons vivant. […] Le PNR nous laisse seuls, mais débarrassés d’un poids mort inutile et, face à l’irresponsabilité des responsables, devant la nécessité d’inventer des moyens de remettre la main sur nos lieux de vie. »

Et une décoration !

Mais tout cela paraîtrait bien peu sérieux si cette courte séquence n’avait été close par une cérémonie gouvernementale tout à fait officielle : le secrétaire d’État à l’écologie Sébastien Lecornu s’est donc fait fort, le 25 mai dernier, de venir « embrocher » Pascal Coste d’une décoration de « chevalier de l’Ordre national du mérite » au nom de son ministère. Tartufferie éhontée ? M. le sous-ministre, « ami de Pascal Coste » d’après La Montagne, le contestait par avance dans l’édition du 26 mai : «  »Ce ne serait pas respectueux de la République » que de venir perturber  »une remise de décoration qui vient récompenser plusieurs décennies d’engagement personnel auprès de ses concitoyens, qui serait ainsi abîmée par une polémique momentanée […] » », avançait-il, pince sans rire. Mais ses coquetteries n’ont pas empêché quelques contestataires coriaces (ont-ils été vexés par l’attribution de l’épithète « momentané » à une polémique qui concerne le temps long de la sylviculture et l’abattage de milliers d’arbres plus que centenaires ?) de se rassembler ce jour-là devant les grilles closes (et protégées par la gendarmesque) du conseil départemental. Mise en scène théâtrale de l’abattage massif, plantation symbolique d’un hêtre rouge et apposition d’une plaque en souvenir des arbres tombés pour la fibre, perturbation de la cérémonie à coups de casseroles, de cris et de moteur de tronçonneuse, diffusion d’un faux communiqué du conseil départemental renvoyant la cérémonie à son ridicule…

En termes de mérite, la décoration de « Calou » aura au moins eu celui de susciter une première action commune entre les détracteurs de la campagne d’abattage des arbres corréziens et les opposants à l’usine à charbon de Bugeat-Viam. En attendant d’autres rendez-vous entre les « élagués » et les « pellets » ?

S’organiser durablement contre la biomascarade

Ce qui est sûr, c’est qu’à une échelle plus globale, la biomascarade ne fait que commencer. On découvrira sans doute bientôt qu’un peu partout, d’autres amis de Gérard Longuet (tel Pierre-Henri Gaudriot), d’autre amis de François Fillon (tel Pascal Coste, « ex » du chef depuis que le bougre a eu des ennuis financiers gênants), d’autres amis de François de Rugy (tel Philippe Connan, le président du parc), ou même d’autres amis d’amis de politiques et de financiers au carnet d’adresses bien rempli, sont prêt à s’accorder avec autant de brio que Coste et Gaudriot pour faire main basse sur des quantités toujours croissantes de « biomasse ». La raison d’un tel engouement n’est pas à chercher bien plus loin que le moteur du capitalisme triomphant : c’est que ça commence à se savoir, le greenwashing, ça rapporte, c’est « accompagné » et subventionné, et ça fait bien dans les médias ! On connaissait Gardanne, qui a réussi à faire céder deux parcs naturels trop rétifs à ses 400 km de rayon d’approvisionnement et 850 000 tonnes de prélèvements annoncés sous la menace d’une coupe rase de leurs subventions. On commence à comprendre ce que fait Pierre-Henri Gaudriot avec ses 113 000 tonnes, ses amis dans un rayon de 80 km, sa quinzaine de sociétés, et sa convoitise pour tout ce qui ressemble à un morceau de bois bon à broyer. Mais on aurait tort d’oublier que le CEA et AREVA ont eux aussi lancé leurs recherches sur le « pellet torréfié », que Macron a prévu de fermer les centrales à charbon en 2021 (mais pour les remplacer par quoi ?), et que les prévisions européennes pour 2020 sont de consacrer au « bois-énergie » autant de surface forestière que la totalité de ce qui a été coupé dans l’Union en 2013 tous usages confondus, sans doute appuyés de fringants « pôles de compétitivité » tels que Xylofutur ou IAR en Nouvelle-Aquitaine. Les Anglo-Saxons ne s’y trompent pas, chez qui se multiplient déjà les manifestations et actions visant à rappeler que « forests are not fuel ».

Dans la tête des investisseurs, la logique est pourtant imparable (bien que moins profonde qu’une ornière d’abatteuse) : c’est que la forêt, ça repousse, donc c’est durable ! Pour qui ne voit que biomasse à extraire, peu importe qu’un champ d’arbres à croissance rapide n’ait rien à voir avec des forêts anciennes et mélangées. Peu importe que la ponction globale sur le vivant soit en voie de croissance rapide, la stérilisation des sols itou, et la disparition de la biodiversité tout pareil. En cas de doute, ne jamais oublier que croissance = croissance, profit = profit, emploi = emploi. Et si on doit rajouter « vert » dans chaque équation, ça ne changera pas la face du monde de l’entreprise, et même qu’au contraire ça pourrait lui donner un coup de boost avec toutes ces aides à la transition-de-mon-cul-c’est-du-pellet.

Pour ce qui est des « pellets », d’ailleurs, ils ne comptent pas en rester là. Dans leurs derniers communiqués, hormis l’annonce d’une poursuite de leurs actions et de la préparation d’un recours en justice, ils appellent les habitants du territoire impacté (à savoir l’intégralité de la Corrèze et bien au-delà) à s’organiser par eux-mêmes pour reprendre du pouvoir sur les décisions qui les concernent. Ils proposent pêle-mêle de s’affranchir de l’attentisme envers élus et institutions, de reprendre à bras-le-corps la question de l’exploitation forestière, de monter des comités d’habitants, de multiplier les initiatives. De se rencontrer, d’échanger, et de faire comprendre à Pierre-Henri et ses semblables que personne n’a envie de brader ses richesses naturelles contre quelques emplois de merde payés des miettes, même assortis de promesses sans garantie de « retombées économiques » ! Il se murmure même qu’un grand rassemblement estival serait en préparation pour la fin juillet, où seraient invités tous ceux qui commencent à s’organiser localement sur la question (des forestiers « alternatifs » aux habitants concernés, et autres propriétaires de parcelles dragués par l’industrie), mais aussi des opposants à d’autres projets industriels d’exploitation forestière ou « biomasse » (Gardanne, Anor, Hourtin, Adret-Morvan…), et des forestiers déterminés à entraver la machine à abattre (le Réseau pour des alternatives forestières).

Alors rendez-vous à la fin juillet sur le plateau pour les Rencontres de la forêt et le CIBV’estival, et d’ici là, n’hésitez pas à secouer le prunier autour de vous…

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