La Ville de Paris a vendu pour trois millions d’euros La chartreuse du Glandier située à Beyssac, non loin de Pompadour. Il s’agit d’un ensemble de bâtiments, église et conventuels, soit quarante-quatre au total, ceint d’une muraille au cœur d’un vallon de dix-sept hectares de bois de chênes et de châtaigniers ainsi que de prairies. Un conte moderne… Il était une fois…
Les seigneurs, le Seigneur et la collectivité…
Le Glandier a été fondé en 1219 par l’ordre des Chartreux suite à une donation du sieur local, le vicomte de Comborn. Après une vie monacale tumultueuse au rythme de la grande histoire (guerres de Cent Ans, de religions…), elle sera préemptée par l’État juste après la Révolution. Bâtiments et religieux seront mis à nu par la Nation suite à la décision d’abolition des vœux monastiques. Le bien délabré et à l’abandon sera revendu à un particulier pour y faire une forge. Une forge qui s’illustrera surtout par une affaire1. Les lieux décrépissent. En 1860, Les Chartreux rachètent l’édifice suite à son adjudication. Ils reconstruisent l’ensemble et lui redonnent vie. En 1901, Le monastère est une des cibles de la loi Waldeck-Rousseau : mettre au pas les congrégations religieuses. Suite à son adoption, les trente-sept pères sont contraints à l’exil. Ils trouveront terre d’asile en Belgique. La fringante laïcité ne badine alors pas avec le religieux… L’État fait du Glandier un sanatorium. En 1920, l’établissement de santé sera racheté par la Ville de Paris. Puis la tuberculose reculant, en 1966, l’hôpital devient hospice pour enfants handicapés mentaux de la capitale, puis en 1980 un établissement médico-social pour adultes, puis en 2005 un EPDA (Établissement public départemental autonome) placé sous l’autorité du Conseil départemental de la Corrèze. En 2020, les cent soixante résidents sont répartis dans trois structures d’accueil construites alentours : Pompadour, Lubersac, Vigeois. Et le Glandier est mis en vente aux enchères au prix plancher de sept-cent-cinquante-mille euros.
Un super projet alternatif avec des moyens !
Alors, si l’histoire bégayait vraiment, le lieu aurait dû trouver preneur cette fois-ci auprès d’une congrégation religieuse, ou sa déclinaison moderne en centre de soins et de méditation. Il y avait effectivement une proposition de cet acabit en lice avec celle d’un établissement de luxe mais elles n’ont ni emporté l’enchère ni été retenues par le Conseil de Paris, qui se réservait le droit de ne pas prendre le plus offrant. Le plus offrant a proposé trois millions d’euros, plus qu’évalué par les experts immobiliers. Le plus offrant a été retenu… Mais pas uniquement pour la dimension économique. Le Monde du 2 mars nous présente le projet en avant-première, ce qui a d’ailleurs provoqué l’ire du président du département de la Corrèze sensé être partie prenante de la décision qui ne devait intervenir qu’une semaine plus tard : « Le projet prévoit bien des logements, au terme d’une profonde rénovation. Mais il intègre aussi des espaces de coworking, une bibliothèque, des ateliers artistiques, des jardins partagés, ou encore des « espaces coopératifs de commerce alimentés en circuit court ». Autant d’éléments de nature à séduire les élus socialistes décisionnaires. » On comprend la colère devant l’outrecuidance parisienne à venir se faire ici du fric en implantant un projet urbain socialo-capitaliste-vert en terre rurale de droite. La colère est néanmoins vite retombée par l’introduction de clauses résolutoires dans le contrat de vente demandant au propriétaire de faire ce qu’il a dit de faire, sinon… Bah nous aurons oublié d’ici-là… Mais l’honneur est sauf et puis cette vente arrange tout le monde : argent frais pour les uns, taxes, emplois et dynamisation du territoire pour les autres. Joie !
Le marchand au temple et le tiers dans la fange
C’est un négociant en vin qui emporte la mise : Descas père et fils. Une particularité du milieu du négoce est que le nom de la société n’est pas forcément le nom du propriétaire. Le libéralisme féroce se fond ici incognito dans la tradition en gardant les étendards ancestraux. Descas père et fils est ainsi en fait le business de la famille Merlaut. Une dynastie viticole fondée en 1950 par Jacques Merlaut, qui pèse cent-soixante-huit millions de chiffre d’affaire et qui s’étend du Gars au Bordelais. Denis Merlaut est l’un des quatre héritiers qui cumulent ensemble sept prestigieux domaines en Médoc et de nombreuses autres sociétés de négoce ou de vignobles. Il transmet progressivement à son fils Raphaël, actuellement directeur commercial. La société Descas va donc s’offrir en « nous offrant » le tiers-lieu-super-marché-sympa à cinq millions (estimation à la louche comprenant les travaux de réhabilitation et de mise aux normes). Cadeau ! À deux pas d’Uzerche, où tentent de cohabiter en « tirant le diable par la queue » et parfois « la couverture à soi » : un bar associatif panier paysan qui voudrait devenir tiers-lieu, un collectif d’artistes et artisans qui gère un lieu un peu tiers, une brasserie panier paysan bientôt bar-spectacle un peu tiers aussi, une épicerie indépendante qui a trouvé là la dépendance nécessaire à son existence, une librairie tartinerie qui jalouse un peu toute cette effervescence, une municipalité qui peine à faire jouir tout le monde du lieu un peu tiers aussi de l’ancienne papeterie… Tous solidaires… eux même. C’est là avant tout le réjouissant capharnaüm de la démocratie : l’expression conflictuelle des contradictions. Mais c’est là aussi l’étal de nos vilenies de parangons de la culture individualiste. Une auto- tyrannie par l’impuissance à débattre et agir pour collectivement résister à la domination structurelle qui s’amplifie. Reste l’expression lacrymale de notre servitude. Le système que nous soutenons en irriguant la fange réimplante les seigneurs. L’histoire pourrait s’arrêter là. Mais ce que ne racontent ni Le Monde, ni La Montagne, c’est que, parmi les candidats, figurait une proposition d’occupation provisoire du lieu par un collectif. Mais elle n’a pas été retenue par le Conseil de Paris… à trois voix près… Alors le Glandier, la fange et… je vous raconte la suite au prochain numéro…
philippe van assche
1 – L’affaire Lafarge : Marie Lafarge est condamnée aux travaux forcés en 1840 par le tribunal de Tulle pour l’empoissonnement à l’arsenic de son mari maître de forges au Glandier. Une affaire qui fera couler beaucoup d’encre.