Illustration représentant Camille, une maraîchère engagée, assise sous un majestueux châtaignier en Corrèze, symbole de lien à la nature et de solidarité locale.

Camille et la ferme des Tondus

Quand deux femmes à fleur de peau se rencontrent, cela fait des discussions qui partent tous azimuts et où, souvent, les yeux brillent. Il est possible que ce portrait parte lui aussi en tous sens, mais j’espère que vous sentirez, palpable, l’émotion que j’ai eue à échanger avec Camille, maraîchère au Chastang hors du commun. Au sens littéral du terme.

Être hors du commun, ça veut souvent dire ne pas répondre aux critères imposés par le plus grand nombre, se voir montré du doigt, devoir sans cesse prouver sa valeur et son droit à la différence (je sais d’expérience comme c’est usant !). Mais les êtres hors du commun sont ceux dont j’ai envie de parler, car leur présence est une chance et grâce à eux la société n’est pas complètement uniforme, ça serait si triste ! À mes yeux, ces gens, par leur seule présence, font du bien au monde, par ce qu’ils sont, ce qu’ils font. Les raconter relève donc de l’intérêt général, ne nous laissons pas abrutir par la masse !

Un tour au jardin

Je retrouve Camille dans son jardin, jardin que je devrais appeler « exploitation » mais c’est un terme que je n’aime guère, j’ai plutôt le sentiment qu’elle nourrit la terre. Et que celle-ci la nourrit, corps et esprit.
Son terrain est entouré de haies brise-vent, c’est la première chose qu’elle a faite en arrivant, noisetiers, fruitiers en tous genres, petits fruits… Il y a même des haies entre les plates-bandes de légumes, je m’émerveille devant celle d’absinthe, alliée indispensable du jardinier. « En plus d’être douce et de sentir bon, c’est un témoin à pucerons et un réservoir à coccinelles. » Et il y a des bandes d’herbe aussi, de fleurs sauvages, « pour les insectes, pour la rosée ». Pas simple à faire entendre aux anciens qui aimeraient voir tout bien taillé à la ferme des Tondus !
Certaines planches de légumes sont paillées, d’autres non, les woofers qu’elle accueille parfois sont décontenancés par le fait qu’elle n’adhère pas à une technique unique. Elle fait de la permaculture mais pas que. Le sol est globalement travaillé à la main mais il peut lui arriver, par manque de temps, d’utiliser le tracteur. Sans culpabiliser, plus loin dans un pré, se trouve Larzac, jeune cheval mérens qui a pour avenir de remplacer la machine. En somme, elle s’est inspirée de plusieurs personnes, mouvements, expériences pour faire à sa sauce. Elle est par exemple en réflexion pour lutter contre la noctuelle, ce papillon de nuit qui vient pondre dans les tomates. Il existe bien un traitement, utilisable en agriculture biologique, le spinosad, mais Camille reste frileuse. Il y a peu de recul sur ce produit et il s’attaque à tous les pollinisateurs. Elle ne l’utilise qu’en cas d’extrême galère et à la tombée de la nuit. Et accepte de perdre une partie de sa production (quand même 30 % des tomates cette année).

Je m’extasie devant une serre à la végétation luxuriante, je la sens gênée. « Il faudrait désherber », me dit-elle. Moi, je trouve l’ensemble magnifique et il y a bien des légumes qui poussent au milieu de la pampa : melon, courgettes, aubergines… La serre suivante m’est présentée avec fierté, il s’agit de « la nurserie ». C’est ici que naissent tous les plants. Car chez Camille, tout part de graines. Elle admet que c’est beaucoup de temps et d’énergie passés, qu’elle prend sûrement un peu de retard en début de saison, mais le bonheur et la bulle d’air que cela lui offre sont indispensables. Sans parler des plants qui sont ainsi adaptés au sol, au climat. Temps perdu, vraiment ?

J’ai plein de questions, envie d’en savoir un peu plus, Camille m’invite de l’autre côté de la route, à m’asseoir à l’ombre d’un majestueux châtaignier, à côté de sa maisonnette en bois, non dénuée de charme.

Confidences sous le châtaignier

Camille est dans sa troisième année d’installation et me parle des difficultés du métier. Le maraîchage est un boulot de tous les jours, parfois éreintant, qui paye peu. Comme si les paysans devaient se satisfaire de moins que le minimum, comme si ce n’était pas utile de nourrir les autres…
Pour rendre son projet viable, elle a dû demander la DJA1, ce qui lui a permis d’assurer l’irrigation, de construire un bâtiment agricole pour stocker les outils et les légumes. Mais le système l’oblige à rendre des comptes, elle est priée de faire précisément ce qu’elle a dit et sera contrôlée sur le sujet. Pour la chambre d’agriculture, un projet viable est un projet qui rapporte de l’argent, et cela pousse à l’exploitation. Il faudrait que chaque morceau de terre soit sans cesse au maximum de sa production, mais sommes-nous, humains, toujours au top de notre forme avec une productivité maximale ?
Et que dire de la difficulté d’être femme et agricultrice. Camille réfléchit, avec d’autres, à monter une sorte de collectif de femmes, espace de soutien et de parole…
Nous parlons du lieu, qui l’a vue grandir, dont elle est d’abord partie, comme de nombreux Corréziens, pour voir si l’herbe était plus verte ailleurs, mais son attachement aux siens était trop grand. Ses yeux pétillent quand elle me parle de son grand-père à qui elle rend visite chaque jour. Présence réconfortante.

Solidarité bien appréciée

Sans aide, Camille n’en serait pas là et je sens l’importance d’évoquer le soutien qu’elle reçoit. D’abord de cette famille – qui dans son cœur est la sienne, sur le papier pas tout à fait – qui lui loue en fermage les terres sur lesquelles elle travaille. Je vois la volonté de prouver qu’elle a eu raison de lui faire confiance, en faisant de ces champs un bel endroit. Nous parlons des woofers de passage qui filent une main indispensable. Aujourd’hui, Valentin est là, jeune diplômé du lycée agricole de Naves, il vient chercher de l’expérience en attendant de réaliser avec sa compagne leur projet, un food-truck2 de maraîchers.
Et puis les copains… l’amoureux… sans qui la maison ne serait pas debout, le bâtiment agricole au sol et le cœur parfois un peu lourd. Ils sont une petite bande au Chastang, de différents corps de métiers, pour lesquels l’entraide est un maître mot. Ils font du foin ensemble, du bûcheronnage, cultivent un champ de patates… Et quand y’a besoin, ben, juste ils sont là, et ça, c’est magique.

Si l’envie vous prend de rencontrer Camille, vous régaler de ses bons légumes, vous pouvez la retrouver à la ferme des Tondus les lundis de 18 h à 19 h. Les jeudis soirs à l’AMAP3 du Pays de Brive, les samedis matins au petit marché du Chastang et peut-être bientôt à l’épicerie associative ?

  1. Dotation jeune agriculteur.
  2. Camion-restaurant.
  3. Association pour le maintien d’une agriculture paysanne.


Par CIRCÉ PIEDECOCQ

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