Couverture du livre Les marchands de soleil – Face à la machine photovoltaïque de Clément Osé et Sylvie Bitterlin, récit documenté sur la lutte contre les centrales solaires dans la montagne de Lure, Alpes-de-Haute-Provence.

Agrivoltaïque : Far West en Corrèze (et ailleurs)

Les 4 et 5 avril, à Alleyrat et à Donzenac, Clément Osé présente le livre : Les marchands de soleil, face à la machine photovoltaïque, qu’il a coécrit avec Sylvie Betterlin. Il témoigne de la violence avec laquelle se déploient les projets photovoltaïques sur des surfaces forestières ou naturelles en montagne de Lure (en 2023, à minima 15 centrales solaires au sol en fonctionnement et 22 à l’étude). Il rend compte de la souffrance, de la colère, des réactions et modes d’actions des opposants aux projets.
Son témoignage résonne avec le vécu d’habitants d’ici confrontés au développement de l’agrivoltaïque, c’est-à-dire des panneaux sur des parcelles agricoles (voir Trousse no51). 182 projets seraient en instruction en Corrèze en 2025.

En effet, les campagnes semblent vides de tout aux énergéticiens qui les voient comme une terre à prendre. Une conquête commerciale est engagée avec un démarchage pressant auprès d’agriculteurs et/ou de collectivités. L’argument massue est l’intérêt économique vendu avec le vernis du vert. Mais tout argumentaire est bon : l’entreprise Boralex, entreprise québécoise, qui développe la centrale solaire de Cruis sur la montagne de Lure, affirme ainsi sur son site internet que l’énergie renouvelable produite est d’origine française. Cette centrale est aussi définitivement illégale mais en fonctionnement : les travaux ont été poursuivis et finis malgré les recours juridiques contre sa construction, recours tous gagnants.

Un chamboulement de terre, tête et corps

Il suffit pour s’en rendre compte de regarder la vidéo présentée par Clément. Le travail de machinerie pour transformer 17 ha de terrains forestiers en centrale photovoltaïque raccordée au réseau électrique, protégée par un grillage de plus de 2 m de haut.
Clément parle des projets et des luttes sur la montagne de Lure, il dit les divisions et les tensions qui émergent au sein de la population locale mais aussi entre et dans les collectifs mobilisés.
Pour lui, il est essentiel de « donner des armes de défense intellectuelle », de réfléchir à un dénominateur commun, d’avoir des arguments d’ordre systémique. Il est important de se réapproprier le vocabulaire : énergie renouvelable ? Le soleil sans aucun doute mais le panneau qui capte et transforme cette énergie solaire est-il vraiment renouvelable ? Le silicium est-il renouvelable ? Avec quelle énergie ? Comment sera le sol dans 30-40 ans ? Une énergie verte est une énergie qui contribue au bien-être des écosystèmes. Le photovoltaïque au sol contribue-t-il vraiment au bien-être des écosystèmes ?

Peu d’infos, beaucoup de pression !

En mars 2024, des habitants d’Alleyrat apprennent l’existence d’un projet de 70 ha (50 actuellement) sur la commune après sa présentation par RP Global en conseil municipal. L’association pour la nature et l’environnement (APNE), opposée au projet, se crée en juin 2024. Sandrine, responsable de l’association, dit les difficultés pour savoir, les défauts d’adressage lors des invitations à une réunion publique et à une permanence assurée par l’entreprise (avec inscription par internet !). Elle explique l’impossibilité de faire fonctionner le comité local de suivi, outil de concertation, alors même qu’il reste visible sur le site internet. Elle dit les tensions locales et la pression « comme si c’était nous qui gênions ». Pourtant 77 habitants ont signé la pétition, soit une large majorité.
L’APNE veut que le conseil municipal se positionne. On ne peut pas juste dire « c’est en terrain privé, cela ne me regarde pas », il y a des impacts sur la commune. Et, il est possible d’agir : des communes du plateau ont voté leur refus du photovoltaïque au sol.
À Donzenac, Delphine donne la grande nouvelle : le projet de 30 ha à Noailles est abandonné ! Elle dit la dureté de l’engagement. La difficulté à s’organiser pour agir. Elle raconte comment quelqu’un faisait suivre leurs échanges internes au maire et on rit quand elle explique la méthode pour découvrir qui. On sent la violence reçue lorsqu’elle parle des coups de feu tirés en l’air par un chasseur un samedi matin lorsqu’ils font signer la pétition. On entend la pression quand elle évoque le fait d’être conviée par le maire pour s’entendre dire qu’une simple marche n’est pas autorisée. Elle dit aussi la nécessaire vigilance à maintenir et la solidarité à garder avec les autres groupes.
Chacun, dans son bout de campagne, se sent impuissant par rapport à la machine, démuni, non entendu. La création du collectif départemental en février 2025 « a été une chance » dit Delphine, les rencontres entre groupes « donnent de l’énergie » affirme Sandrine.

Un cadre très souple, « des trous dans la raquette »

Les projets agrivoltaïques profitent du cadre laxiste du décret du 8 avril 2024. Si le taux de couverture du sol par les panneaux ne doit pas excéder 40 %, il n’est prévu aucune limite de surface couverte. Les projets sont imposants, ils concernent le plus souvent de grandes fermes. Pas d’obligation à faire savoir : les projets sont privés, dit-on. Impossible de disposer d’une carte des projets pour le département.
Toutefois, les projets actuels, qu’ils soient « agrivoltaïques » ou non, sont soumis à une obligation de demande de permis de construire et à une étude d’impact environnementale. Comme un bâtiment agricole. Mais il apparaît qu’il n’existe pas de de règles de distance à respecter par rapport au voisinage. Comme me dit une urbaniste, « les parcs photovoltaïques sont considérés comme de l’urbanisation compatible avec la fonction résidentielle ». Ce qui entraîne « des trous dans la raquette » (voir encadré).
Dans le même temps, on peut lire dans Les marchands de soleil qu’une commune rurale de Lure, défavorable au photovoltaïque au sol parce que sa richesse « ce sont nos paysages, nos arbres, notre biodiversité » s’est vue refuser l’installation de panneaux solaires sur les toits de l’ancienne mairie car ceux-ci « perturberaient l’esthétique ».
L’appât du gain incite à aller vite. Repérer les terrains, plutôt plats, bien orientés, grande surface potentielle, proche d’un poste source auquel se raccorder, avec une municipalité accueillante. La campagne est battue et rebattue. Un million d’ha projetés en 2023 d’après le média Reporterre ! 10 à 20 fois plus que nécessaire. Presque la surface de deux départements. Vous sentez la pression ? De quoi mettre le feu aux campagnes qui ne sont pas vides. Tout ça pour une énergie non renouvelable, polluante par l’exploitation de carrières en amont, pour une énergie qui accapare des sols agricoles (après l’agro-carburant, l’éolien, les cultures pour alimenter des méthaniseurs…). Une énergie pour produire quoi ? Et pour qui ? Là est la question. Politique. C’est cette question que se posent, entre autres, les opposants.

L’association Départements de France alerte sur la « menace » qu’est l’agrivoltaïsme pour le milieu rural. Elle déclare soutenir une proposition de loi visant à assurer le développement raisonné et juste de l’agrivoltaïsme. Proposition qui a été étudiée en commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale et dont le rapport a été déposé le 26 mars. Mais, au 15 mai, la proposition n’a pas été encore votée.

Les luttes sont positives. Elles mettent en lumière la cupidité et l’absurdité de laisser au seul marché la régulation de tels investissements. Le marché est myope, on devrait l’avoir appris depuis longtemps, il ne voit pas plus loin que le bout de son nez. Et, quand il se cogne, c’est trop tard, le mur est construit.

Par JULES

Le projet d’Eygurande-Lamazière-haute-Aix (Valeco) : « des trous dans la raquette »

Ce sont les termes du maire d’Eygurande, sur France 3 Nouvelle-Aquitaine, lorsqu’il est interviewé à propos des 170 ha portés par plusieurs fermes qui, à Eygurande, devaient encercler le lieu de vie et de travail de deux nouveaux arrivants apiculteurs. Et ce, sans que personne ne leur ait dit quoi que ce soit avant qu’ils signent l’achat de leur bien. Les apiculteurs ont pris deux avocats. Après échange, le projet aurait été modifié afin d’éviter la covisibilité des panneaux.

Mais il y a un second trou.
Dans la raquette.
Le 4 avril 2025, après la présentation de Clément, un jeune couple témoigne de la violence vécue lorsqu’ils ont découvert que 50 ha de panneaux allaient être implantés, dans le cadre de ce projet d’agrivoltaïsme, sur les parcelles situées autour de chez eux. Leur maison, achetée en juin 2023, est située sur la commune d’Aix et ils y ont engagé des travaux. La maison est un peu isolée, entourée de bosquets, de champs et de prés, avec une source toute proche.
À la fin de l’hiver 2024, ils reçoivent un appel de leur voisin agriculteur. Ils comprennent qu’il va construire un abri avec des panneaux pour les animaux. Il ne parle pas de surface. Le jeune couple pense que c’est un bâtiment. Début mars 2024, ils reçoivent un courrier de la société Valeco, avec une carte jointe, et ils comprennent que l’abri, c’est 50 ha de panneaux photovoltaïques sur toutes les parcelles qui entourent leur maison. La source disparaît, les parcelles sont clôturées, avec du grillage de deux mètres de haut à mailles très serrées. L’énergéticien précise que de nombreuses « mesures paysagères » seront mises en place (des haies), et surtout « qu’une zone tampon, sans aucune installation […]d’environ 150 mètres [sic !] sera prise autour » de leur propriété.
Le maire était au courant, « je ne savais pas que c’était toi qui achetais » leur a-t-il dit en échangeant avec le couple. Il leur est conseillé de négocier des avantages économiques (électricité par exemple).
Comment peut-on penser une habitation au milieu de 50 ha de panneaux photovoltaïques ? Comment peut-on faire cela, même si on a le droit ? Il y a des vides juridiques dans la loi, qu’empruntent les énergéticiens.

Informations complémentaires

À consulter également

Les candidats publiquement déclarés à la prochaine présidentielle

Avez-vous lu Comment s’occuper un dimanche d’élection de François Bégaudeau ? Il ne sert à rien de …

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.