Montage de trois photographies anciennes en noir et blanc ou sépia, représentant des scènes de la Résistance en Corrèze pendant la Seconde Guerre mondiale, disposées sur un fond beige éclairé par des ombres de fenêtre.

Résister, exister -2-

Une enquête historique, politique et sensible, menée en Corrèze, par les descendants d’une bande de terroristes et d’indésirables. Ou : comment le courage et la solidarité ont pris le pas sur la peur et l’égoïsme entre 1942 et 1945 en Corrèze, dans la commune de Saint-Martin la Méanne – qui a hébergé et aidé une dizaine de familles de Juifs immigrés et Résistants. Ou : pourquoi et comment interroger l’histoire, chercher des traces et des témoignages après tant d’années ? Pour La Trousse, nous tenterons de faire revivre cette aventure généreuse en livrant nos trouvailles, nos rencontres…et nos questionnements.

Photographie en noir et blanc de la famille Lajtner à Soumailles, Saint-Martin-la-Méanne en 1943 : Chaïm et Chaja Lajtner, résistants juifs polonais, avec deux de leurs enfants, Madeleine et Arlette, devant une maison rurale.
Famille Lajtner à Soumailles, Saint-Martin-laMéanne, 1943 (coll. Arlette Lajtner) Chaïm Lajtner, tailleur, Juif, Polonais, résistant FTP, Chaja Lajtner, ouvrière du textile, Juive, Polonaise, deux de leurs quatre enfants Madeleine et Arlette, cette dernière vit à Paris, nous l’avons rencontrée souvent et elle est venue en juin 2024 inaugurer une plaque commémorative à Soumailles.

Dans la dernière Trousse, nous retrouvions une lettre de 1971 dans laquelle Edith Lehmann, une Résistante juive allemande reprenait contact avec ses amis corréziens. Elle y évoquait les années de guerre à Saint-Martin la Méanne, la vie du village de Murat où sa famille est hébergée par René Chastang, la solidarité, une cellule communiste allemande active ici-même. Emus par cette découverte, nous nous sommes mis à la recherche des Lehmann et du Saint-Martin d’alors.

👉 Lire l’article complet sur Édith Lehmann et Saint-Martin-la-Méanne

Trouver refuge

Aout 2022. Une brèche lézarde le mur tranquille de notre été. La bénévole de Yad Vashem1 se souvient subitement du témoignage d’Arlette Lajtner concernant son enfance dans notre commune. Elle nous met en contact avec elle. A quelques jours de là, nous rencontrons par hasard Ariel, de passage à Saint-Martin : son grand-père Moïse Fleiszbein et sa famille y vivaient pendant la guerre. Une autre famille ! Les époques se superposent, tel des feuilles de calque, recomposant, tesselle par tesselle, une mosaïque de plus en plus peuplée. Comment la famille d’Ariel peut-elle habiter au centre du bourg, à deux pas de la milice, en 1944 ? Comment ces familles juives se cachent elles dans le coin ? Nous rencontrons Arlette à Paris.

En 1942, quand Arlette arrive à Soumaille – un hameau voisin de celui des Lehmann – elle a quatre ans. Elle va y demeurer trois ans, avec ses parents, son frère et ses sœurs. Ses souvenirs incroyablement précis nous éclairent sur bien des aspects : « Léontine et Léopold Fraysse nous ont permis de subsister. Ils nous ont apporté tout leur soutien. Ils nous ont non seulement permis de survivre, alors que nous étions sans ressources, mais encore, ils nous ont permis de nous cacher dans les meilleures conditions possibles, dans ce village tenu par la Résistance. Ils ont pris en main mes parents pour leur permettre de s’acclimater dans le village, et avaient prévu de prendre en charge les enfants, en cas d’arrestation des parents. Ils nous ont aidés, nous citadins, à nous intégrer dans un village. Ils ont aussi permis à mon père d’intégrer la Résistance… Tout le village savait que nous étions juifs, et personne ne nous a dénoncés. Nous n’étions pas cachés au sens d’avoir été renfermés dans une maison ou une cachette, mais nous avons bénéficié de la protection de l’ensemble du village. Grâce aux Fraysse, j’ai pu aller à l’école, respirer l’air libre, en n’étant pas confinée dans une cachette. Ils étaient nos anges gardiens. » Protégés par le silence, l’accord tacite, la force morale de tout un village – une force qui nécessite du courage et une certaine verticalité de l’être, de celle, sans prix, qui permet de rester debout dans le chaos.

Visible-invisible

Aux Archives, les registres de l’école municipale de Saint-Martin des années 43-44 confirment la présence du père, de l’oncle et de la tante d’Ariel. Leurs noms – et bien d’autres, étrangers – sont rayés par les instituteurs, les Fournajoux, certains jours. Le nombre d’enfants inscrits augmente pendant ces années, à l’instar de la population de la commune : afflux d’Espagnols fuyant Franco, de réfugiés de la zone occupée, étrangers et indésirables devenus « Travailleurs étrangers ». Mais pourquoi déclarer ces enfants sous leur vrai nom puis les rayer simultanément ? La majorité des étrangers en France sont recensés par les préfectures, ainsi que leur famille. Peu d’entre eux, comme Otto, ont de faux papiers, tout le monde est désespérément en règle. En rayant les noms des enfants, fait-on croire que ceux-ci sont partis, en cas de rafle par la milice ? Possible. Le terme « caché » recouvre ici plusieurs aspects – il s’agit plutôt d’une dimension discrète, silencieuse, qui ne se dit pas. Un jeu constant de dissimulation et de couverture, selon la nuit ou le jour. Juifs, communistes, résistants, l’un ou/et l’autre, tentent de travailler, de vivre et de paraître « comme tout le monde ». Comme l’a souligné Arlette, la population a protégé les étrangers récemment arrivés : les familles ont été accueillies dans les maisons vides – réquisitionnées par la mairie, prêtées ou sous-louées – et les enfants, inscrits à l’école. Les rares témoins, de quelque bord politique que ce soit, attestent : « On était rouge ici », solidaires et communistes. Il est normal d’accueillir des gens en difficulté. « En Limousin, on se fait honneur », écrit Michelet2, résistant catholique de Brive. Si, en Corrèze, on craint moins qu’ailleurs les dénonciations, la méfiance est pourtant de mise car les rafles s’abattent. Un tiers des Travailleurs étrangers de Corrèze est déporté3.

Vivre ensemble

Photographie de 1943 prise au camp de bûcheronnage de Saint-Martin-la-Méanne (GTE 651), montrant Chaïm Lajtner à gauche, avec trois autres hommes non identifiés.
Chaïm Lajtner et une équipe au bûcheronnage (coll. A. Lajtner) au camp de bûcheronnage à StMartin-la-Méanne (GTE 651), 1943, avec à gauche Chaïm Lajtner. Les autres hommes ne sont pas identifiés.

Dans ce quotidien de guerre, l’imagination et la résistance bricolent un vivre ensemble. Paulo évoque le bal clandestin chez lui, à deux kilomètres du bourg, où son père faisait danser les jeunes au son de l’accordéon, malgré l’interdiction et le couvre-feu. Jeannot se souvient de Clara, tante d’Ariel, « elle y allait » ! Henriette, enfant à l’époque, retrouve le souvenir d’une autre famille juive logée en face de chez eux. « On les appelait les Alsaciens », se souvient-elle. Les gamins sont sermonnés, ils doivent se taire. Jojo parle des familles engagées, légales et illégales, au village et/ou dans les bois. Pierre raconte son père interpellé par les Allemands alors qu’il se débarrasse d’une peau de veau dont la viande va nourrir le maquis. Entre la récolte des patates et la veillée aux châtaignes, qui imaginerait que la grand-mère qui revient du bois vient de livrer de la nourriture à ceux qui se battent ? Qui croirait que ce gars qui pédale dur dans la côte d’Argentat, avec sur son porte-bagage du matériel de dentiste prêté, s’appelle Aron Rachmut, juif roumain, résistant et dentiste ? Il vit au village en famille et soigne avec sa femme les dents des maquisards et des villageois, en échange de nourriture. Leur fille, Hana, rencontrée à Paris en 2023, l’écrit4. Lorsque la milice vient arrêter son père, sa copine d’en face, Monette, les prévient et Aron file chez « le sabotier », chef du réseau local, Emile Dichamp. Qui sait, aujourd’hui, combien de costumes du dimanche conservés dans les armoires du grand-père ont été cousus par Chaïm, le père d’Arlette, tailleur, en remerciement de l’aide reçue ? Les gestes les plus anodins sont politiques. Ils pèsent et engagent le réel.
En 1943 et 1944, Otto, Chaïm, Moïse, Aron se trouvent dans le même Groupement de Travailleurs Etrangers 651, bûcherons pour la société Bernis à Saint-Martin-La-Méanne. En lançant une recherche sur ce camp et par quelques témoignages, nous trouvons d’autres traces. Qui nous questionnent, nous bouleversent. 1945-2025, tous ces silences posés sur nos histoires… Nous tenterons de lever quelques voiles dans la prochaine Trousse.

Photographie du groupe de résistants au Seyt, Saint-Martin-la-Méanne, prise en 1945 devant la maison des Chastang. On y voit René Chastang, Émile Dobblaère, Émile Escourbiac, Adrien Chastang, Eugène Mons, Antoine Gramond, Félicie Auliac-Chastang, Clément Chastang et Maria Chastang-Mons.
Le maquis au Seyt (coll. Pierre Chastang) probablement en 1945, post-libération, prise devant la maison des Chastang au Seyt, Saint-Martin-la-Méanne, groupe de résistants du village dont les noms suivent, de haut en bas et de gauche à droite : René Chastang, Émile Dobblaère, Émile Escourbiac, Adrien Chastang,
Eugène Mons, Antoine Gramond, Félicie Auliac-Chastang, Clément Chastang, Maria Chastang-Mons.
  1. Association loi 1901 qui recherche les « Justes », personnes qui ont aidé des Juifs pendant la guerre
  2. Vous pouvez retrouver des traces d’Edmond Michelet dans le musée qui lui est dédié, à Brive
  3. Paul Estrade et Mouny Schwarzkopf-Lestrade, Un camp de Juifs oublié : Soudeilles (1941-1942), réédition Les Monédières, 2015.
  4. Hana Rottmann, Elle s’appelait Hanele, éditions Au fil du temps, 2021

Par AFP

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