Le 5 juillet, la réunion du comité technique départemental de la Safer (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural) est reportée, à la suite de la manifestation d’une cinquantaine de personnes qui s’opposent à la vente de 25 hectares de terrains ruraux (forestiers, naturels, agricoles) à la Foncière rurale de la Corrèze qui souhaite y développer de l’agrivoltaïsme.
C’est la troisième fois depuis début 2024 que la Foncière perturbe le marché foncier et nuit à des installations.
La Foncière rurale de la Corrèze, bras armé du développement de l’agrivoltaïsme
Cette société naît fin 2023. Son objet ? Acheter du foncier et le mettre en valeur par tous les moyens agricoles ET par toutes les activités ayant trait aux énergies renouvelables… « Concrètement, « la Foncière rurale de la Corrèze » aura pour objet « de porter le foncier, et uniquement le foncier, des parcs photovoltaïques corréziens avec les acteurs du territoire et de lancer des appels d’offres auprès des investisseurs » » est-il mentionné dans les actualités de novembre 2023 de la chambre d’agriculture. La Foncière veut acheter du terrain pour le proposer aux investisseurs d’énergies renouvelables et faire bénéficier tous les actifs agricoles des retombées économiques. Chaque associé de cette société ne peut détenir qu’une seule et unique part de 3 000 € et ils sont pour 70 % des exploitants agricoles actifs, 20 % des forestiers, et 10 % des collectivités. En clair « la manne » des énergies renouvelables ne doit pas être accaparée par quelques gros propriétaires, mais partagée en priorité entre les actifs agricoles. Jolie idée, en théorie.
Un marché foncier rural régulé par les Safer
Celles-ci ont pour rôle, depuis plus de soixante ans, d’intervenir sur le marché foncier rural afin de favoriser les installations et améliorer les exploitations agricoles et forestières existantes. Elles interviennent aussi pour soutenir des projets de développement local et de protection des espaces agricoles, naturels et forestiers.
Les notaires ont obligation de leur signaler toute vente de terrain, ce qui leur donne une très bonne connaissance du marché sur lequel elles exercent une veille. Lorsque plus d’un acheteur se positionne lors d’une vente, un comité technique Safer départemental1 se réunit et choisit parmi les acheteurs celui qui, à son avis, est prioritaire.
Elles peuvent aussi acheter des terrains en utilisant, ou pas, leur droit de préemption, c’est-à-dire leur droit de priorité pour l’achat. Lorsqu’elles exercent ce droit de préemption, elles peuvent proposer un prix plus faible si elles estiment, au regard du marché, que le prix est trop élevé.
Les Safer ont donc des missions d’intérêt général qui sont exercées sous tutelle des ministères de l’Agriculture et des Finances. Elles sont des acteurs incontournables du marché foncier rural et certains vendeurs choisissent de leur vendre leur terrain, charge à elles ensuite de le « rétrocéder » à un acheteur prioritaire.
La Foncière nuit à des projets ruraux locaux
Au cours du premier semestre 2024, le comité technique Safer corrézien a eu à traiter plusieurs dossiers dans lesquels la Foncière se portait acquéreuse.
Ainsi, un vendeur, qui veut vendre ses terrains à un prix 70 % plus cher qu’une estimation de marché, passe par la Safer pour effectuer sa vente. La Foncière se porte acheteur au prix fort. Des voisins agriculteurs du terrain ont un enfant qui veut s’installer. Ils auraient pu être acquéreurs mais pas à ce prix. La Safer pourrait remplir sa mission de régulateur des prix et remettre en cause le prix proposé. Non, le vote majoritaire du comité technique est d’acheter les terres pour les revendre à la Foncière. La décision sera invalidée par les commissaires du gouvernement.
Autre situation, une jeune agricultrice en installation souhaite acquérir des terres mises en vente à Viam (voir ci-contre). Elle a le soutien de la banque. La Foncière veut aussi les acheter. La Safer désigne celle-ci comme prioritaire. La vente est validée sous condition de fournir un descriptif du projet photovoltaïque et de l’installation d’un agriculteur sur les terrains. Soit un an d’attente, plus l’impossibilité pour celle qui voulait s’installer d’obtenir la location rurale qui assure la sécurité, puisque ce type de bail n’est pas possible sur des terrains équipés de panneaux au sol. Donc, une autre installation remise en cause.
Troisième cas, la Foncière se porte acquéreuse de terrains en vente alors que la commune de Beaumont veut les acheter dans un objectif de préservation des terres et de mise en œuvre d’un projet touristique. La décision, qui devait être prise le 5 juillet est reportée.
En clair, par trois fois, la Foncière se porte acquéreuse de surfaces sur lesquelles des projets prioritaires existent.
« L’acceptation du photovoltaïque au sol surenchérit le foncier »
Le président de la Foncière est l’ancien président de la chambre d’agriculture, des membres du conseil d’administration de la chambre d’aujourd’hui sont au conseil d’administration de la Foncière. Emmanuel Lissajoux, président de la FDSEA Corrèze, est, en tant que représentant de la chambre, président du comité technique Safer, et comme président du comité technique Safer, il est au comité de surveillance de la Foncière. L’associé agricole de M. Lissajoux est, lui, membre du conseil d’administration de la Foncière. Le monde est très circulaire.
La chambre d’agriculture, la FDSEA, les Jeunes Agriculteurs, en soutenant la création de la Foncière, ont accepté de fait le photovoltaïque au sol. Un paysan de la Confédération paysanne me dit « créer [cette société] avec ces objectifs, c’est accepter le photovoltaïque au sol », or, « l’acceptation du photovoltaïque au sol surenchérit le foncier », à cause de la rentabilité espérée. Ce qui se voit concrètement en Corrèze. Cela nuit à la régulation foncière légale et renforce les difficultés d’accès au foncier pour des paysans4. Cela perturbe le fonctionnement de la Safer.
Le foncier rural doit aller prioritairement aux installations agricoles et aux projets locaux.
- Le comité technique est une commission départementale composée de représentants d’organismes ruraux et agricoles. Il donne un avis consultatif sur le choix de l’acheteur. Puis, le conseil d’administration de la Safer régionale prend une décision validée (ou non) par les commissaires du gouvernement représentant les ministères de tutelle.
Par JULES