Salut à vous fidèles, novices, ponctuels ou futurs lecteurs de la Trousse corrézienne ! Il y a quatre ans, avant même d’habiter en Limousin, j’avais assisté sur l’île de Vassivière au concert d’un chanteur, seul avec sa guitare, dans une caravane dépliée en scène au-dessus de laquelle était écrit en lettres rouges Centre Dramatique Nationale (CDN) du Vladkistan. Piquée au vif par l’ingéniosité du dispositif et l’humour corrosif mais non moins tendre du garçon, il était évident qu’un jour ou l’autre, le CDN du Vladkistan se retrouverait dans ces lignes. Pour le 6ème Salut à vous du nom j’ai eu l’honneur de rencontrer Vlad, président du Vladkistan (premier de ce nom) afin qu’il nous présente le Centre Dramatique National de sa dictature…
On est dimanche, au café. J’ai rendez-vous avec un président. Je tremble un peu à l’idée de me retrouver en tête à tête avec « un président ». C’est les mains moites que je sonne à la porte du « Grand Accélérateur de Particules du Vladkistan » (le dénommé Ructor Vigo), chez qui l’entretien a lieu en toute discrétion et c’est la bouche sèche que je pénètre timidement dans le modeste deux-pièces où m’attendent M. Vlad et son garde du corps. Sitôt arrivée, le garde du corps, âgé d’à peine neuf ans, reprend son entraînement devant les cités d’or.
McBee – Monsieur le Président.
Vlad – Appelez-moi Vlad.
McBee – Bien. Monsieur Vlad, très honorée de pouvoir vous interviewer à propos de cette formidable initiative culturelle qu’est le CDN du Vladkistan. Pouvez-vous dans un premier temps nous présenter le Vladkistan que les lecteurs ne connaissent peut-être pas dans le détail ?
Vlad – Le Vladkistan est une jeune dictature autoproclamée. La seule au monde à se dénommer officiellement comme telle. Nous pouvons aisément affirmer qu’en cela elle est la dictature la moins hypocrite du monde. Elle est née en 2008 à l’occasion du festival des Portes du Monde à Felletin, qui convie des danseurs et chanteurs traditionnels du monde entier. Nous avons créé le Vladkistan afin d’être nous aussi représentés pour l’occasion. À l’époque, nous étions quatre : deux danseuses, un porte-drapeau et moi-même, le président. À présent nous comptons un petit tas de ministres en tout genre (de l’opposition, des finances et du quota, du glamour et du caquetage, de la connerie, etc.). Ces ministres sont tous « artistes autorisés » soit des artistes exemplaires ayant fait preuve de loyauté envers la dictature du Vladkistan, soit des artistes à la déconne, à l’humour, à la musique politique, corrosive et drôle. Parmi eux, Boule, Gatshen’s, Maggy Bolle, Ktykeen Conasse et Ructor Vigo. Nous avons aussi des artistes tolérés en Vladkistan, mais nous aurons l’occasion d’en parler quand nous évoquerons le CDN. Nous comptons même quelques infiltrés dans le gouvernement français, mais pas de noblesse. Elle a été fondamentalement abolie. Nous avons également rencontré, il y a peu, un service de sécurité, une sorte de milice, à Châlons dans la rue. Mais étant donné que le pouvoir est légitime et incontesté, il faut avouer que nous sommes plutôt tranquilles question sécu.
McBee – Ah. Bien, bien… Heu, avant de nous parler du CDN, que pouvez-vous nous dire sur les quelques principes de base de cette dictature ?
Vlad – Estimant qu’il faut arrêter de se foutre de la gueule des gens en leur faisant croire qu’ils ont le choix et parce que nous ne tolérons pas l’hypocrisie en dictature, le premier principe est l’abolition des élections, toute personne souhaitant entrer en Vladkistan le faisant de son plein grè, en toute connaissance de causes. Ces causes, puisque j’en parle, sont établies par moi-même, seul représentant des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Chaque citoyen a une carte d’identité : une carte permanente de citoyen provisoire, nous travaillons actuellement sur des passeports. Malheureusement nous avons pu constater que pour le moment nos papiers, pourtant officiels, ne sont pas acceptés hors des frontières du Vladkistan.
McBee – Bien sûr… Quelques us et coutumes peut-être ?
Vlad – Le Vladkistan est représenté par un drapeau, un hymne national, une devise : « la démocratie est un crime contre l’unanimité. », une musique traditionnelle et une danse. Traditionnelle également. La danse est minimaliste et libre, mais il faut tout de même en connaître les pas de base.
McBee – Une constitution ? Une religion ? Des rituels ?
Vlad – Une constitution, Non. Une religion, Oui ! Elle est fondée sur ma propre expérience. J’essaie de la mettre en pratique, mais j’avoue que c’est quand même beaucoup de rigueur. Les commandements en sont : pas de jeu d’argent, pas de bien immobilier, pas de météo avant de jouer (on fait ce que l’on a à faire point barre) et, on ne rêve pas d’être riche car c’est un moyen de se détourner de la réalité. Pour ce qui est des rituels, il doit bien y en avoir quelques uns mais ils ne sont pas encore conscients.
McBee – Bien. Merci. Passons au Centre dramatique national si vous le voulez bien. Pouvez vous nous le décrire ?
Quand a-t-il été construit ? De quelle nécessité est-il né ?
Vlad – Le CDN a été construit il y a quatre ans avec l’idée d’être tout à fait autonome et de trimballer mon univers absolument partout. C’est une caravane de taille moyenne dont l’un des murs s’ouvre de manière à former une scène. Le matériel son et lumière, le décor, les instruments et les costumes sont rangés dans la caravane. Quand nous arrivons quelque part, nous n’avons besoin que d’une arrivée électrique et hop là, on déplie et c’est parti ! Comme vous le savez la diffusion des spectacles n’est pas chose aisée. À un moment pour apparaître sur le marché il m’a fallu sortir du lot des chanteurs humoristiques. Le CDN est pratique et attractif pour les programmateurs en ce qu’il permet d’accueillir d’autres concerts que ceux de leur programmation ou de la nôtre (concerts dont la prestation est adaptée au dispositif), de se poser à peu près partout, d’être autant la plus petite scène de grands festivals que la plus grosse scène de petites manifestations en un temps de montage et de démontage record, d’être programmé dans le réseau musique mais aussi dans le réseau spectacle de rue. Une autre raison à la création du Vladkistan et de son CDN est que, comme tous les artistes chanteurs j’ai beaucoup d’ego et voyant que je ne ferai certainement pas partie des artistes reconnus et du vedettariat, plusieurs choix s’offraient à moi : 1, devenir un chanteur local et aigri ; 2, arrêter ; 3, faire quelque chose de cet ego. J’avais tellement la volonté de jouer, d’être sur scène, de faire rire que j’ai détourné cet ego en mauvaise foi, en exprimant un regard décalé sur l’écologie, la politique, les rapports homme/femme qui constituent 90 % de mes chansons et de mon univers.
McBee – Eh ouiii… Comment le CDN de Vladkistan a-t-il été financé ?
Vlad – Il a été autofinancé. Depuis la création du Vladkistan les quelques maigres financements que nous avons reçus de la mairie de Felletin (où nous sommes installés) ont par exemple servi à financer la fête nationale du Vladkistan, d’autres aides ponctuelles ont servi à financer les disques. Autre exemple, le département nous avait attribué une subvention pour l’organisation de la fête de la musique à Limoges. Mais leur rareté nous permet de rester pauvres… et libres.
McBee – Certes, il faut aimer les pâtes, quoi. Dites-moi, si je ne m’abuse, Felletin, c’est bien la commune de Quartier Libre (cf. Salut à vous 1, LTC d’octobre 2016) ?
Vlad – C’est ça, notre local de répétition par exemple se trouve à Felletin sur le quartier de la gare, le quartier dit rouge où l’association Quartier rouge a ses quartiers… Sur la commune, la dynamique à peu près générale est de cultiver une certaine souplesse entre ruraux et néo-ruraux, il y demeure malgré le commérage, sport national par excellence, beaucoup d’énergie créative et pas mal de curiosité.
McBee – Vous donnez des cours de souplesse ? Parce que ça pourrait intéresser pas mal de monde, je crois… Bien, je pense que nous avons fait un bon petit tour de votre démarche, votre éminence. Un dernier petit mot peut-être en guise de conclusion ?
Vlad – Votre présidence, s’il vous plaît. Lors de nos concerts (voir le site du Vladkistan¹)nos spectateurs ont la chance de pouvoir se convertir en passant au bureau du Vladkistan et de devenir citoyen vladkistanais en achetant un, voire deux CD, par exemple.
McBee – Eh bien, c’est noté, à nos agendas ! Merci votre présidence…
Je m’incline et sors, escortée du garde du corps, après une chaleureuse poignée de main. Finalement on fait tout un flan des présidents, mais c’est pas si traumatisant que ça, une dictature…