Le 8 mai, place à l’Histoire à Saint-Pardoux-la-Croisille !

Le maire de Saint-Pardoux-la-Croisille, Dominique Albaret, résiste à sa façon à la construction d’une pensée unique en matière de mémoire. Il a choisi cette année de faire la place au 8 mai 1945 algérien. Interview.

Interview

— Le discours que tu as prononcé devant le monument aux morts de ton village est différent de celui qui s’est lu partout autour. Pourquoi ?

— Depuis onze ans que je suis maire à Saint-Pardoux-la-Croisille, je n’ai jamais lu un discours officiel du ministère à l’occasion des célébrations du 8 mai ou du 11 novembre. Pour moi, en tant que maire, une manière de résister à l’uniformité de la pensée est d’avoir une parole singulière, en lien avec notre histoire et la réalité de notre territoire. C’est pour ça que sur le site internet de la commune, j’ai mené une recherche afin que chaque nom inscrit sur le monument aux morts ait sa biographie, son histoire propre, avec quand c’est possible l’activité professionnelle de la personne, son statut familial, son âge, les circonstances de sa disparition. Il y a six stèles à Saint-Pardoux qui reflètent la présence et l’action de la Résistance, comme dans de nombreuses communes du plateau des étangs. Le moins que puisse faire un élu est de rendre hommage aux habitants qui ont soutenu le maquis. Il est tout autant important de rappeler le 8 mai 1945 dans la colonie française, euphémisation pour dire pays occupé, qu’était l’Algérie, dont une part importante de la population intégrée à l’armée française s’était battue contre le nazisme.

— Quelles sont les réactions à ta manière de célébrer le 8 mai et le 11 novembre ?

— Quelques personnes extérieures à la commune mais qui y ont des attaches familiales viennent à Saint-Pardoux pour la singularité des prises de paroles. Une quarantaine de personnes sont là à chaque commémoration, ce qui n’est pas si mal pour une commune de 180 habitants !

Extrait du discours prononcé le 8 mai 2025

« Aujourd’hui nous célébrons ce 8 mai 1945, qui est un jour important et joyeux sur le continent européen. Mais ce jour est de triste mémoire en Algérie où un nombre important de tirailleurs algériens avait participé activement à la victoire.
Dans les mouvements indépendantistes algériens de l’époque, le slogan « À bas le nazisme, à bas le colonialisme ! » soulignait bien le parallèle entre les deux idéologies et les deux formes d’occupation.
Alors que les populations civiles, soit près de 10 000 personnes, marchaient dans les rues de Sétif pour célébrer la capitulation de l’Allemagne et la victoire sur le nazisme, Bouzid Saâl, un jeune scout musulman, a brandi un drapeau algérien. Or, ce drapeau était interdit, puisqu’il était associé à la demande d’indépendance structurée dans les années 1930 par Messali Hadj. Le jeune porteur du drapeau algérien est tué d’une balle dans la tête par un officier de police français, et une émeute éclate. Cent-deux Européens, principalement des civils, sont assassinés par les manifestants.
Pour la France, c’est un crime impardonnable. Le colonisé ne peut pas tuer un colon, il ne peut pas s’attaquer à un Européen. À Sétif, lorsque ces mobilisations nationalistes émergent, la répression est une mécanique bien rodée. Les massacres débutent à Sétif, s’étendent à Guelma et à Kherrata, du 8 mai au 26 juin 1945.
Aujourd’hui, on estime que ces massacres ont fait entre 10 000 et 30 000 morts, mais le nombre exact reste encore difficile à établir. Le général Duval, responsable de cette répression, aurait dit : « Je vous ai donné la paix pour dix ans, à vous de vous en servir pour réconcilier les deux communautés ». La résistance algérienne fut en effet détruite pour presque dix ans mais en 1954 commença la guerre d’Algérie.
Nous n’oublions pas non plus la tragédie en cours à Gaza, où l’armée coloniale israélienne mène ce qu’il est convenu d’appeler un génocide sur le peuple palestinien. Les crimes de guerre y sont quotidiens et un enfant est tué ou blessé toutes les dix minutes à Gaza. Près de 15 000 d’entre eux ont péri depuis le début de la guerre en octobre 2023.
Aujourd’hui des partis nationalistes et autoritaires dirigent de nombreux pays dans le monde et la guerre revient à nos portes. « Ce n’est pas nous qui revenons sur le passé, c’est le passé qui menace de revenir sur nous », écrivait Georges Bernanos1. L’histoire ne se répète pas, mais elle bégaie singulièrement en ces temps difficiles. »

  1. Dans Le chemin de la Croix-des-Âmes publié pour la première fois en 1944.

Par FRÉDÉRIQUE PERRIN

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