L’État, le zèbre et le flamant rose, où on parle de bénévolat

Si on dissociait le travail de sa rémunération est-ce que les gens arrêteraient ? Quand on regarde le monde associatif, force est de constater que ce n’est pas le cas. Qu’est-ce que le bénévolat sinon un énorme terrain d’expérimentation sur le travail non subordonné ?

Selon l’Insee il existe en France 1,3 million d’associations déclarées (chiffre de 2018). « Elles fonctionnent grâce à 2,2 millions de salariés et 21 millions de participations bénévoles1. » Pour le dire trivialement, si on laisse cinq minutes aux gens on voit pousser un club de rugby, une ressourcerie, une soupe populaire, de l’aide juridique, un jardin partagé. En ruralité cela prend une forme encore plus vive, urgente et efficace. Le besoin est fort, car il y a moins de services publics, moins d’offres commerciales, et puis on a l’habitude, on se connaît.

En Corrèze nous sommes allés rencontrer un zèbre et un flamant rose pour parler de leur bénévolat.

Le zèbre

Le zèbre est à la retraite, elle fait partie de plusieurs associations : éducation populaire, atelier de réflexion dans les écoles, transmission de l’information, accompagnement des enfants à profil atypique. Les objets sont variés. À cela il faut ajouter ses fonctions de mère et de grand-mère : elle s’occupe de ses petites filles le mardi soir et le mercredi, va voir un de ses fils en situation de handicap tous les jours. Et on ne parle là que des moments en responsabilité, les moments où on compte sur elle, où si elle ne pouvait pas il faudrait qu’elle soit remplacée. Le zèbre est au maximum de ses capacités, proche du burn out associatif. Mais alors pourquoi ? « C’est dans le sang, j’ai travaillé dans le service public, toujours pour l’intérêt général, j’ai été éduquée comme ça, j’ai toujours côtoyé des associations, c’est circulaire, j’en ai bénéficié. Élevée par une mère seule, j’ai été habillée au Secours populaire. Cela m’apporte quelque chose aussi, j’acquière des savoirs, je fais des formations. Ce n’est pas gratuit, c’est un cercle vertueux. J’ai découvert des choses sur moi-même qui ont changé ma compréhension des aptitudes de chacun, intellectuelles, émotionnelles. Des choses que j’aurais aimé savoir en tant que mère. Quand je suis arrivée en Corrèze j’ai été émerveillée par le tissu associatif, j’ai participé à tout sauf aux anciens combattants. Ma mère était salariée syndicale, mon fils a été président d’un club sportif et je vois que ma petite fille a déjà envie d’aider. L’association est un maillon très important et drôlement fragile. Cela me pèse parfois mais c’est difficile d’en sortir. »

Le flamant rose

Le flamant rose travaille comme professeure d’EPS, elle fait partie d’un club de gym depuis 2009, dont elle est devenue présidente en 2016. Elle entraîne bénévolement huit heures par semaine, gère la communication aux familles, une partie de l’administratif, l’organisation des événements et de la saison en général. Elle est aussi membre du comité directeur de la fédération. Également maman de deux jeunes filles, une en primaire et l’autre au lycée, elle a un emploi du temps millimétré. « L’implication fait du bien mais c’est très chronophage, ça peut créer des tensions au sein de la famille. Tout le monde est impliqué dans le club, ma fille aînée pratique, entraîne des équipes, juge pour les compétitions. Ma fille cadette m’a toujours suivie, j’ai repris les entraînements après sa naissance, elle a grandi sur les tapis. Mon mari est très souvent sollicité. Je suis passionnée, je ne me vois pas arrêter, et ce temps partagé avec mes filles je ne l’échangerais pour rien au monde. Elles aussi sont passionnées, elles ont toujours eu envie de participer, je ne les ai jamais forcées. Mes parents se sont rencontrés dans une association, à laquelle j’ai longtemps participé, j’y suis devenue danseuse et c’est là, moi aussi, que j’ai rencontré mon mari. Parfois il y a de l’épuisement mais ça ne dure pas, ça donne du sens, développe une certaine sociabilité aussi. J’ai envie de transmettre des valeurs, marquer la vie des gens. »

Et l’État ?

En théorie et officiellement « les élus sont unanimes : « Les associations contribuent de façon irremplaçable au maintien et au renforcement du lien social dans les villages.«  […] En tant que porteurs d’un large projet collectif, dépassant les projets individuels, elles contribuent à la reconnaissance de la commune comme « groupe social autonome et durable« , qu’il est possible d’investir positivement pour l’avenir2. »
Dans les faits c’est plus ambivalent selon le zèbre : « Il y a des réticences, les élus ont peur du pouvoir que peuvent avoir certains présidents d’associations. Et le côté force de proposition dérange parfois. » Il est vrai que les associations rendent des services importants, notamment là ou l’État s’est désengagé, mais sont tenues de rester à leurs places. Elles sont en fragilité et doivent constamment se battre pour exister. Rappelons que les subventions sont discrétionnaires, les dossiers sont lourds et récurrents, et les institutions n’ont pas de comptes à rendre aux associations. Ce n’est pas une relation égalitaire, d’un côté il y a un très fort engagement, de l’autre cela peut devenir une variable d’ajustement.
Pour le flamant rose aussi la relation est fragile : « Nous sommes dans les trois plus gros clubs ici et nous n’avons pas les équipements adéquats, cette année c’est nous qui avons le plus de licenciés et toujours pas de salle. » Selon des études, les associations ne sont pas toutes traitées de la même façon : dans le sport, « 70 % des subventions publiques reviennent aux hommes, beaucoup plus si on compte l’amortissement et l’entretien des équipements3 ».

Il existe aussi un stigmate fort : l’associatif c’est bien mais ce n’est pas sérieux, pas comme une entreprise, alors même que les entreprises reçoivent aussi des aides4. Pourtant on voit des associations dans tous les domaines : anti-corruption, développement local, durable, gestion des enfants, des personnes âgées, le secteur associatif porte des pans entiers de la société à bout de bras.
Le bénévolat n’est pas considéré comme un vrai travail, car il n’est pas rémunéré. Peu importe que ce soit utile, voire vital, qu’il ait des responsabilités, juridiques, financières, organisationnelles, cela reste un loisir. Toujours selon l’Insee1, le bénévolat en France représente 580 000 emplois à plein temps.
Les Français ne sont pas paresseux ! Qu’ils soient travailleurs, chômeurs, retraités, beaucoup s’engagent dans tous les domaines, volontairement, car ils y trouvent du sens. Ils créent une richesse sociale non estimée et inestimable, un liant nécessaire à la tenue du tout, dont l’État, et les collectivités doivent reconnaître l’importance.

MARIE DA SILVEIRA

1 Insee (urlr.me/QxYng).

2 « Les associations, source de vitalité du milieu rural ? », Pour, 2009/2, n° 201 ; reproduit par Cairn (urlr.me/rTpRS).

3 « Le sport organisé : un creuset des inégalités entre les femmes et les hommes ? », Cause commune, mai/juin 2018, n° 5 (urlr.me/T2KWz).

4 « Les aides aux entreprises nous coûtent une fortune ! », Alternatives économiques, 14 octobre 2022 (urlr.me/Lj8g9).

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