Ces victimes sont surtout des femmes. Comment écrire sur un sujet encore tabou en 2019, un sujet qui fait peur ?
Seules les femmes qui travaillent sur le terrain peuvent me donner les clefs de mon article. Je ne veux pas d’un article édulcoré. Je suis allée interviewer trois femmes : Jeanne (professionnelle) et Aélis (bénévole) travaillent à l’accueil de jour Inform’Elles19 à Tulle : association mise en place dans le cadre d’un partenariat avec l’association SOS Violences conjugales de Brive-la-Gaillarde. La troisième femme est une ancienne victime que j’appellerai Y…
Dès les premières secondes de mon interview, Jeanne et Aélis me donnent la première des clefs :
Jeanne : « C’est un sacerdoce de faire ce métier. Il faut amener les gens à sortir des clichés. »
Aléis : « Pour accompagner et surtout comprendre une femme victime de violences, il est primordial de se débarrasser de ses préjugés. »
Les préjugés
Une femme victime a dû provoquer son conjoint pour qu’il en arrive à la frapper. Ou : une femme victime est masochiste pour mettre au monde plusieurs enfants avec un homme violent. Ou encore : pourquoi une femme victime reste-t-elle avec son conjoint violent ? C’est simple de partir.
Les auteurs de violences conjugales. Jeanne et Aélis emploient ce terme pour parler de ces hommes violents. En lisant plusieurs articles sur le sujet, j’apprends que c’est ainsi qu’on les nomme.
Encore des préjugés : les auteurs sont de couches sociales défavorisées. Eh bien non ! Tous les niveaux socioprofessionnels sont représentés ici, en Corrèze et en France : des médecins, des chômeurs, des avocats, des policiers, des ouvriers, des psychologues, des garagistes, des banquiers, des artistes, des plombiers, des politiciens, des assureurs, des professeurs, des magasiniers, etc. Il n’y a pas de profil type. En revanche, souvent, l’auteur est un beau parleur, souriant, affable et généreux avec son entourage. Mais, quand il rentre à la maison, il se transforme en homme violent. Dans violent, il y a viol.
Et toujours : un conjoint ne viole pas sa compagne puisque c’est SON conjoint. Ou : un conjoint a des pulsions sexuelles incontrôlables, ce n’est pas du viol.
Un tiers des femmes victimes de violences conjugales au sein du couple sont régulièrement violées par leur conjoint.
Pas glamour
C’est assurément un sujet mal connu. Il n’est pas glamour ! Le mot est lâché par Aélis.
Pas glamour ? Non, il est vrai… Imaginez une femme recroquevillée dans un coin de son salon, son conjoint lui broie la main droite et la frappe dans les seins. Les coups de pied dans son sexe, c’est ce qu’il préfère. Il l’insulte :
« Espèce de ratée, tu n’es qu’une merde, comment tes enfants pourraient t’aimer. Regarde toi ! » Il finira par lui pisser dessus. Elle reste là, impassible. Son sexe est comme anesthésié. Elle ne ressent rien. Son corps sait se déconnecter. Son regard est vide, sa voix, éteinte : elle ne crie plus. Plus la force. Et ses larmes ? Elles sont sèches. Elle pense surtout à ses deux enfants : « Pourvu qu’il les laisse tranquille ce soir, je vous en supplie. » Prie-t-elle son ange gardien ? Non, pas d’ange ici. Juste un homme, hystérique, qui vocifère et la cogne jour après nuit. Du sang coule dans sa bouche. Elle connaît bien ce goût. C’est comme du chocolat. Son enfance est tellement loin.
Cette scène, je l’ai imaginée après avoir interviewé Y… Je n’ai pas décrit une des scènes de sa vie d’avant. Non. Je suis restée bien en deçà de ce qu’elle m’a raconté : Y… avait seulement oublié de saler l’omelette ce soir-là.
Encore des préjugés : Une femme victime de violences qui témoigne avec le sourire est une femme qui ment. Ou c’est une folle.
Jeanne : « Depuis les attentats en France, on connaît enfin le psychotraumatisme. Quand ces femmes parlent de ce qu’elles vivent, elles peuvent être incohérentes, se contredire, elles sont dissociées. Elles peuvent par exemple sourire alors qu’elles sont en train de raconter des choses terrifiantes sur leur vie. »
Il y a plusieurs sortes de violences conjugales
Les violences psychologiques (harcèlement, humiliations, chantages affectifs, isolement etc.), les violences physiques (ici on peut tout imaginer), les violences administratives (le conjoint confisque la pièce d’identité etc.), les violences économiques (pas de compte en banque, pas de liquide, etc.), les violences sexuelles (viols répétés entre autres).
Jeanne et Aélis : « Tout commence souvent par la violence psychologique. » Comment peut-on vouloir vivre ainsi ? C’est une guerre justement que livrent ici ces femmes. Ainsi que leurs enfants, victimes collatérales, et parfois les proches aussi.
Tranche d’âge des victimes accueillies
Jeanne : « L’âge va de dix-huit à quatre-vingt-dix ans. Les plus jeunes sont également touchées, l’association n’étant pas habilitée à recevoir des mineurs seuls, nous les réorientons vers les services de la protection de l’enfance. Récemment, une femme de quatre-vingt ans est venue à Inform’Elles19 pour parler, enfin. Son mari venait de mourir. »
Et les financements ?
Jeanne : « Nos activités sont soutenues essentiellement grâce aux subventions d’état complétées par celles des collectivités territoriales, mais au vu des besoins toujours croissants pour accompagner les victimes, c’est insuffisant. »
Les dons ?
Aélis : « Nous n’en recevons pas assez. Récemment, j’ai rencontré une personne qui m’a dit : « Je ne fais pas de don à des associations comme la vôtre car si ces femmes restent avec un conjoint violent c’est qu’elles aiment ça. C’est pas comme tous ces pauvres gens qui subissent la guerre » . »
Non, toutes ces femmes n’aiment pas ça. On ne devient pas une femme victime de violences parce qu’on se réveille un matin en se disant : « Tiens, ce matin, je prendrais bien un petit coup de pied dans la mâchoire et dans les seins. Parfum vanille s’il vous plait. »
Des chiffres
En 2018, 324 personnes victimes ont fait appel à SOS Violences conjugales. D’autres structures institutionnelles corréziennes possèdent des chiffres que je n’ai pas collectés. Les études s’accordent à dire que la réalité dépasse les chiffres compte tenu du silence dans lequel la majorité des victimes reste enfermée, ici en Corrèze comme ailleurs.
En France, une femme tous les trois jours meurt sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint1. Cela s’appelle un féminicide. Ces meurtres ne sont pas des crimes passionnels, ce sont des crimes tout court.
L’emprise
Jeanne et Aélis : « On reproche à ces femmes des comportements contradictoires : taire ou minimiser les violences subies. Le phénomène d’aller-retour : reprendre la vie de couple, repartir, revenir. sept allers-retours seront nécessaires pour réussir définitivement à se libérer de l’emprise de l’auteur ».
L’emprise ! Tout est dit à travers ce mot aux belles consonances. 7, un chiffre magique ? Nous ne sommes pas dans un conte de fées style Blanche-Neige et les sept nains. Ce serait plutôt un conte urbain intitulé : Sept allers-retours pour être libérée ou mourir.
Alors, ce sujet, toujours pas glamour ? Quel dommage ! J’ai raté mon article. Merde.
La mère de Y… m’a confié que dès sa première grossesse son conjoint avait commencé les violences conjugales. Et que tout au long de son enfer, elle avait rencontré des femmes dans son cas. La première grossesse apporterait-elle au sein de ces familles les premières violences ?
À méditer.
SOS Violences conjugales a été créée par deux militantes féministes de Brive-la-Gaillarde en 1990. Reliée au numéro national (3919 : Appel gratuit et anonyme. Appel ne figurant pas sur les factures de téléphone).
À Brive – 11, rue Normandie-Niémen – 19100 Brive-la-Gaillarde – 05 55 88 20 02.
À Tulle : Accueil de jour Inform’Elles19 – 3, rue Louisa-Paulin 19000 Tulle – 05 55 21 92 47
Ouvertures : lundi, jeudi et vendredi de 10 heures à
16 heures avec ou sans rendez vous.
https://bit.ly/2PXcGdL
Portail de signalement en ligne des violences. Cette plateforme assure un accueil personnalisé et adapté. Disponible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.
Par mya