Ou comment dans le meilleur des mondes des services publics privatisés et des élus impuissants, on enfouit les fils électriques et on déploie la fibre optique sur poteaux sur chaque côté de la même route.
Tout a commencé par un énorme coffret vert installé à quelques mètres de chez moi. Est-ce Linky qui frappe à ma porte ?
Un petit tour à la mairie de Sainte-Féréole, où la secrétaire m’apprend que c’est bien Enedis qui est à la manœuvre, mais pour un vaste chantier d’enfouissement des lignes électriques ; au total, dix-sept kilomètres sur le territoire de la commune.
Très bien mais… va-t-on en profiter pour enfouir la fibre optique, qu’on nous annonce justement pour 2019 ?
Eh bien, c’est compliqué… le maire a écrit à de nombreuses reprises à Orange sans résultat, ce qui semble démontrer de leur part une mauvaise volonté évidente.
De mon côté, j’appelle un contact chez Orange, qui paraît surpris de la situation, mais me rappelle quelque temps plus tard pour me dire que la solution a déjà été étudiée et se dit même prêt à rouvrir le dossier… sauf qu’il est déjà bien tard.
Voilà donc rendez-vous pris avec le maire le 9 février, au moins pour étudier la question. Nous déroulons des plans du projet Enedis mais… aucun plan de déploiement de la fibre ! Normal, me dit le maire, Orange a passé des marchés de conception–réalisation avec une société privée… qui va seule définir l’ingénierie de réseau. Autant dire que pour mutualiser les tranchées avec Enedis, c’est mal parti.
Mais monsieur le maire, ne pouvez-vous pas, grâce à vos super-pouvoirs, obliger ces deux opérateurs privés, ex-services publics qui gèrent des réseaux payés avec les sous de nos parents et grands-parents, à coopérer pour économiser l’argent des Flégeolois (oui, ce curieux nom donné aux habitants de Sainte-Féréole) ?
Hélas ! il semblerait qu’un décret de 2014 ait supprimé la procédure d’approbation ou de déclaration préalable des travaux sur certains réseaux publics de distribution d’électricité, notamment le réseau géré par Enedis : le maire doit seulement être concerté.
« Si nous avions mis des contraintes, alors Enedis aurait reporté ses budgets d’investissement ailleurs. » Moralité : chacun pour soi, tant que le consommateur-contribuable paie l’ardoise !
Mais alors, à défaut de contrainte : la concertation, l’action, la prise d’initiative ? En effet, les opérations d’enfouissement coordonnées des réseaux publics de distribution d’électricité et de communications électroniques établis sur support commun sont régies par l’article
L. 2224-35 du Code général des collectivités territoriales, modifié en dernier lieu par la loi Pintat, dont l’objectif est de clarifier les règles en matière de financement.
Dans ce cadre, la commune ne pourrait-elle pas prendre la co-maîtrise d’ouvrage de la tranchée, au moins la sur-largeur, et ensuite la revendre ou la relouer à Orange ?
« Ah ! mais de toute façon ce n’est pas possible techniquement, les longueurs d’onde sont incompatibles, et les coûts prohibitifs. » Voilà.
Quelques jours plus tard, les travaux commencent devant chez moi, réalisés par une entreprise d’Aurillac. Une trancheuse éventre le bas-côté et déroule proprement le câble sur le côté gauche de la route. Sur le côté droit, restent les poteaux Orange en ruine avec leurs fils de cuivre pendouillants, régulièrement coupés par les chutes d’arbres de la voisine qui laisse son terrain à l’abandon.
J’interroge le chef d’équipe : vous arrive-t-il de pratiquer des enfouissements coordonnés ? « Oui, fréquemment »,
me répond-il. Et alors c’est compliqué ? Non, il suffit juste d’installer la fibre optique à vingt centimètres du câble électrique, soit à côté, soit au-dessus. Quant aux longueurs d’onde, aucun risque d’interférences…
Curieux que le supérieur immédiat de l’ouvrier en sache davantage que monsieur le maire, vice-président de l’agglo de Brive, avec tous ses services et bureaux d’études.
Les travaux se poursuivent en remontant vers le bourg :
au total, près de deux kilomètres de tracés rigoureusement parallèles le long de la même route. Tranchée d’un côté, ligne cuivre Orange pourrie de l’autre. Bientôt, c’est sûr, nous aurons la fibre. C’est peut-être ça, la Smart City à la mode corrézienne.