Au menu : omerta sur le clitoris
Le 10 octobre dernier, une quarantaine de militants, psychologues, sexologues et simples quidams, se sont retrouvés pour réaliser un crop circle1 représentant un clitoris géant, d’une longueur de 120 mètres, dans un champ de la périphérie de Montpellier. Cette mise en scène avait pour but d’orienter momentanément les projecteurs médiatiques sur le silence qui pèse sur le clitoris en Occident depuis plusieurs décennies.
A quoi ressemble-t-il vraiment ?
Il est bien plus grand qu’on ne le pense puisqu’il mesure entre huit et dix centimètres de long et trois à six centimètres de large ! En 1998, l’urologue et universitaire australienne Helen O’Connell jette un pavé dans la mare : « les reproductions contemporaines du clitoris, qui datent pour beaucoup du début du siècle, sont inexactes », affirme-t-elle. La docteure O’Connell se rend en effet compte que le clitoris ne se réduit pas à un « bouton » et ressemble un peu à un oiseau, avec un gland recouvert d’un prépuce et quatre branches érectiles qui s’enfoncent le long de l’os pubien.
Vous l’ignoriez, et pour cause : il a quasiment disparu des manuels d’anatomie et reste un réel mystère pour de nombreux hommes et femmes.
Excision culturelle
Le terme n’est pas de moi, mais des auteurs de « la revanche du clitoris »2, faisant suite au terrifiant constat que le clitoris est presque systématiquement absent des représentations du corps humain, aussi bien dans les manuels scolaires que dans les supports des étudiants en médecine. à ce stade, on peut véritablement parler d’obscurantisme à l’œuvre.
Du coup, 41% des filles de 4ème ne savent pas si elles en ont un, voyez un peu…
Jean-Claude Piquard, sexologue auteur de « La fabuleuse histoire du clitoris », regrette qu’au collège, « les cours d’éducation sexuelle dispensés en SVT n’abordent que la fonction reproductive et les dangers du sexe – maladies, contraception… ».
Il constate qu’en 2012, « les jeunes adolescentes ne connaissent pas bien leur clitoris et leur vulve » alors que la majorité savent bien évidemment situer le pénis, le gland et les testicules.
Mais il n’en a pas toujours été ainsi, loin de là !
La réputation du clitoris, unique organe féminin à vocation purement sexuelle, a connu une grande évolution au fil des siècles.
D’abord vénéré…
C’est un fait, de tout temps, le plaisir masculin est toujours passé avant le plaisir féminin. Cependant les médecins considéraient que l’orgasme de la femme était nécessaire pour procréer. Cette croyance erronée a donc valu aux pays catholiques une relative tolérance envers l’orgasme féminin, tant que les femmes ne s’adonnaient pas à une « lascivité condamnable ». Au 16ème siècle, les livres d’anatomie faisaient très clairement apparaître le clitoris, puisque « c’est là que la Nature a mis le trône de ses plaisirs et de ses voluptés. ». La classe, non ? Bien sûr, cette mention n’apparaît plus dans les manuels médicaux actuels. Dommage.
… puis diabolisé
On peut considérer qu’il y a eu deux millénaires de masturbation féminine tolérée par l’église, et encouragée par la médecine qui pensait que la femme devait se « libérer de ses fluides » pour pouvoir procréer.
« Au 18ème siècle, la masturbation clitoridienne est prohibée en solo. En couple, elle reste vénérée, car suivant la pensée d’Hippocrate, la femme doit libérer une semence – et donc jouir – pour se reproduire », explique le sexologue (JC Piquard, toujours). Mais vers 1870, « le couperet tombe : on découvre les mécanismes de la reproduction, le cycle de l’ovule… et que le clitoris ne sert à rien dans ce processus ».
Eh oui ! à l’époque le sexe n’est « pratiqué » qu’à visée nataliste, et si le plaisir de la femme n’est pas nécessaire au processus, à quoi bon s’embarrasser avec ça ? Les scientifiques de l’époque attaquent donc allègrement notre bon vieux clito. Freud surtout, ce dangereux frustré œdipien, qui décrète que la sexualité d’une femme adulte doit passer par son vagin et non son clitoris, jugé « enfantin ».
Au 19ème siècle, la masturbation est donc sévèrement réprimée, et on va même jusqu’à exciser pour raisons « thérapeutiques » de nombreuses petites filles dans les pays à dominante protestante, comme l’Allemagne, l’Angleterre et les états-Unis, mais aussi en France. On parle alors de « clitoridectomies punitives sur les masturbatrices récalcitrantes ». Hallucinant, non ?
Une anatomie méconnue
En 1550, un Italien du nom de Colombo avait parfaitement cerné le clitoris et en avait fait une représentation tout à fait fidèle. C’est d’autant plus surprenant qu’à l’heure actuelle il a quasiment disparu des manuels d’anatomie et reste un mystère pour de nombreuses femmes.
Jusqu’au début du 20ème siècle, il demeure très bien représenté, voire documenté sur plusieurs pages ! Mais depuis, il ne cesse d’être traité avec mépris, et tend à disparaître totalement des manuels d’anatomie. Il n’apparaît d’ailleurs dans quasiment aucun logiciel d’anatomie en 3D qui pullulent pourtant sur internet (vous ne me croyez pas ? Faites le test vous-même comme je l’ai fait…).
Le ressortir de l’ombre
De nombreuses personnes, professionnels de santé entre autres, s’inquiètent de cette réelle omerta aux conséquences bien réelles : domination masculine, rapports sexuels biaisés…
Certains utilisent les nouvelles technologies pour arriver à leurs fins. Ainsi, un clito en 3D a vu le jour grâce aux fameuses imprimantes du même nom et une chercheuse indépendante en sociologie des sciences et spécialiste des questions de sexe, Odile Fillod. Celle-ci voulait « montrer concrètement à quoi ressemble cet organe dont l’anatomie est généralement méconnue ou mal comprise ».
D’autres utilisent la caméra, comme Michèle Dominici, auteure du fabuleux « Le clitoris, ce cher inconnu ». Ce documentaire, sorti en 2005 (dans lequel apparaît Helen O’Connell, citée plus haut), est « là pour nous aider à mieux nous connaître et à mieux nous comprendre. » Le sujet s’impose à Michèle Dominici alors qu’elle a déjà 30 ans, et qu’elle réalise son ignorance concernant son propre corps : « Je compris alors que parler du clitoris, c’était dire aux femmes : faîtes confiance à votre corps, avant de faire confiance aux théories des autres, qu’elles soient savantes, moralistes, libérées ou scientifiquement prouvées ».
Et c’est bien là tout l’enjeu de cette sortie du silence : se réapproprier son corps et sa sexualité, et réapprendre à connaître ce « trône [des] plaisirs et [des] voluptés »…
1 – vaste motif ou ensemble de motifs géométriques réalisé dans un champ de céréales par flexion ou flétrissure des épis, visible depuis le ciel.
2 – De Maïa Mazaurette et Damien Mascret, publié en 2007 chez La Musardine.