TANT QUE l’on crèvera d’ennui
Des heures durant – suite aux pluies abondantes de l’automne – les odeurs de pourrissement emplissent les rues pavées de la ville, soulevant le cœur des quelques irréductibles bravant les nuages bas remplis de dioxyde de carbone ; il reste encore – les jours suivants – des volutes nauséabondes incrustées dans l’eau fangeuse des bordures de trottoirs. Des flaques huileuses et spongieuses – mélasses grisées reflétant les arcs-en-ciel pétrolifères.
Zolde s’en fout ! Il marche à une allure soutenue, les pieds chaussés de bottes en caoutchouc bon marché, fracassant de son pas lourd les molécules d’eau insalubres qui finissent projetées sur les murs blancs des maisons bourgeoises qui s’égrènent le long du parcours. Il rentre chez lui, dans l’appartement que le nouveau Ministère Nationaliste des Populations à Risque Politique lui a fourni. Le quartier qu’il traverse est semblable à celui qu’il connaissait à Nevers ; dont il se souvient vaguement les propriétaires : notaires, médecins et autres architectes à qui il distribuait le courrier lors de ses petits boulots de facteur. Courrier souvent dense, en inadéquation avec la taille ridicule des boîtes aux lettres. Plus ils étaient riches plus elles étaient petites…
Nevers… Facteur, puis livreur ; livreur puis chômeur en Travail d’Intérêt Supérieur… Seul au sein d’une petite ville oubliée ; condensé de cul-bénis, de bon bourgeois à l’ancienne et de l’élite des premiers identitaires maintenant à la retraite. La nouvelle garde du « centre fasciste » a, depuis, pris le pouvoir.
Il se souvenait le ventre gonflé de cet homme, attendant devant sa porte ; la posture menaçante et l’air condescendant ; arborant fièrement une montre de luxe pour lui signifier son retard avant de lui adresser sa litanie réactionnaire sur la lenteur de la poste et la déliquescence de ses services… « connard » pensa Zolde. Mais il avait baissé la tête et avait poursuivi sa route.
Ce travail lui avait bien plu finalement. C’était en janvier ou en février, il ne se souvient plus très bien ni du mois ni de l’année ; mais c’était pour deux semaines. Il se rappelle par contre le froid qui lui torturait les mains lors de cette matinée de distribution. Le vélo d’un jaune passé, trop petit pour lui et une énorme sacoche remplie de lettres, de courriers recommandés ou même de cette enveloppe sur-gonflée par l’argent liquide – « mandat cash » – destinée à cette vieille dame bien trop confiante. Dans les petites rues du quartier de la cathédrale de Nevers ; dédales de pavés et d’anciennes demeures bourgeoises, dont les cours intérieures étaient envahies par les BMW et autres Mercedes…
Il se souvient très bien de ce jour-là et de cette femme : dans un petit appartement sous les combles d’un immeuble de trois étages ; habité en dessous par un notaire et sa famille.
Zolde déposa son vélo jaune en équilibre, le guidon reposant sur le 4×4 BMW du notaire. Il prit l’enveloppe contenant l’argent (il y avait combien ? Quatre mille ou cinq mille Euros-francs ?)
et la glissa dans la poche intérieure de son blouson (non sans avoir d’abord retiré les mégots de Lucky Strike qui s’y trouvaient). Avant d’atteindre l’escalier en colimaçon qui menait dans les combles, il passa devant la porte donnant sur l’appartement du notaire – deux niveaux d’environ cent-cinquante mètres carrés chacun. Même immeuble, conditions différentes…
La femme qui lui ouvrit pouvait avoir entre soixante-dix et… cent-dix ans ; d’une taille incroyable ; bien plus grande que Zolde. Elle avait le haut du dos voûté, mais il lui semblait impossible de déterminer si c’était à cause de son âge ou tout simplement pour éviter de se fracasser la tête sur les poutres de la sous-pente de toit. Elle fumait une cigarette menthol en scrutant le postier à travers une grosse paire de lunettes vermillon et pailletée. Vêtue d’une robe à manche courte, Zolde aperçut un tatouage sur l’avant bras de la vieille femme : un sexe ! Un sexe masculin en érection dont le gland était glissé dans la lunette d’une guillotine ! Une putain de verge turgescente prête à être découpée sur l’avant bras de la grand-mère !
Elle le fit entrer. Le chaos de l’appartement rappelait à Zolde son propre taudis. Des sacs en papier, jaunis par la sauce mayonnaise des kebabs suintants qui devaient s’y trouver, posés en vrac sur une sorte de plan de travail en teck dans ce qui devait servir de cuisine ; un cendrier plein traînant sur un ancien touret de câble qui devait faire office de table basse ; des restes de soupe collés à une assiette creuse sur cette même table… Et de la poussière, partout, qui semblait émaner de la vieille elle-même !
Mais cette femme ! Cette femme et son improbable tatouage ! Le visage marqué, tel la reproduction exacte d’une peinture au couteau, ridée à la lame de rasoir ; tout était chez elle à la fois force et souffrance. Des yeux gris comme la poussière qu’elle semblait vouloir évacuer de son corps. Des cheveux blancs, hirsutes, encore longs et secs comme la terre du Lot un week-end de juillet 2003.
Quand Zolde tira l’enveloppe pleine d’argent de sa poche et qu’elle tendit les bras pour la récupérer, il crut d’abord qu’elle voulait l’engloutir lui aussi. Ses longs bras dont la peau pendait comme du linge en plein vent, lui firent l’effet de tentacules gluantes appartenant à quelques monstres mythiques, ou à des pinces de crabes géants. Il recula le plus qu’il le put et tendit l’argent. La vieille femme scruta longuement l’enveloppe et sembla un temps suspendue au-delà de toute chose visible, comme tentant de se rapprocher d’un souvenir, d’une pensée essentielle qui venait de s’évanouir… « Elle se rappelle qu’elle n’est pas un poulpe géant et ça la surprend. » pensa Zolde.
Elle retira ses lunettes. Une ombre passa sur ses pupilles ; qui fixèrent instantanément quelques congères glacées sur le cœur et le cerveau de Zolde. Puis ses lèvres semblèrent vouloir se décoller mais il n’en fut rien. Le regard de la femme se fit plus doux, elle inspira lentement et finit par prendre l’enveloppe qu’il continuait de tendre à bout de bras.
« Il faut que je recompte ?
– Faites-le madame, s’il vous plaît. »
Il y avait 5 870 Euros-francs dans le papier kraft. Des grosses coupures. Zolde n’avait jamais été très courageux et d’imaginer que n’importe lequel des enfoirés qui traînait avec lui le samedi soir du côté du Donald’s pub aurait pu apprendre ce qu’il transportait, le rendait malade. Cette vieille était folle ! Ou alors… Parce que, d’un autre côté… Il pensait qu’il fallait être sacrément atteint pour oser s’attaquer à cette créature sans âge !
Après être redescendu jusqu’à la cour où il avait laissé son vélo, il s’alluma une cigarette et attendit que les battements de son cœur retrouvent une cadence normale. Il se rappellerait longtemps cette rencontre. Il mettrait du temps avant de tomber sur le minuscule rouleau, composé de quelques feuillets manuscrits, qu’elle glissa dans la poche de son blouson de cuir au moment de partir… Blouson qu’il rangea le soir même au fond d’une vieille malle qu’il ne rouvrira que quelques années plus tard…
… Au fond d’une vieille malle, oubliée. Tant les événements s’étaient enchaînés, déchaînés, ces quatre dernières années. Lui, sa résistance, c’était – et c’est toujours –
continuer comme si de rien n’était. Pas très grand mais dense, Zolde a dans les yeux la force de sa placidité et dans les muscles et la tête la plasticité à s’adapter sans renier jamais ses désirs simples de survie. Pas grand-chose d’extraordinaire d’ailleurs quand on y pense. Juste, voir qui il veut, pouvoir dire quand il veut, les mots « non » et « oui » et ce, haut et fort. Faire les fêtes comme il les aime et pouvoir choisir ses rêves. En clair ne pas crever d’ennui sous la monotonie de l’uniformisation ambiante ! C’était trop pour ces hauts dignitaires, jeunes et propres, dynamiques et un rien mécaniques qui ont remplacé les vieux briscards de l’identité refermée sur soi des débuts du régime.
Zolde et tous les dénommés à « Risque politique », car « Pourris d’Idées Contraires » que le régime définit comme « Idées Contre », contre le régime, le peuple, la bienséance, la normalité humaine définie et réglementée. Bref, Zolde et tous les autres ont été tracés et traqués, leurs repaires repérés, tout écart aux nouveaux règlements, édictés, collectés, relevés, notés, enregistrés. Zolde, depuis quatre ans, a beaucoup déménagé pour respirer le temps du changement d’air.
Puis, il y a six mois, lui et les autres ont été « Assignés à résidence permanente à durée indéterminée ». Dispersés sur tout le territoire. Chacun a reçu son assignation. Avant de partir Zolde s’est amusé à réexaminer, relire, reprendre les restes accumulés de sa vie et, l’un produisant l’autre, revivre en esprit et éclats de rire soudains et tonitruants, quelques moments du passé sortis d’images, de vêtements, de textes, de rien. Sans nostalgie. Ce n’est pas son genre. Il est dans son temps, même s’il le rêverait autrement.
Comme à son habitude, une fois décidé, il a été précis et minutieux. Son deux pièces était un bazar organisé et compréhensible de lui seul. Il a fallu élaguer : le moindre détail de ses bagages serait fouillé et sanctionné. Il a pris du temps pour redécouvrir ses trésors de vie. Ouvrant des boîtes de toute matière, forme et taille, retournant les chaussettes, fouillant les poches. Et c’est ainsi que dans un sac fermé, dans la vieille malle, il a ressorti un vieux blouson de cuir, un peu sec et rêche de ce temps passé sans air et sans gras, et, de la poche gauche, sous un mouchoir plié, a tiré le minuscule rouleau de papier. Il lui a renvoyé immédiatement en plein nez et dans la mémoire de ses yeux, le personnage de cette vieille, son tatouage assumé, les bras qui manquaient de pinces à linge et sa tignasse blanche jetant dans l’air la poussière grise qui allait briller dans la lumière de la fenêtre et dont l’odeur se mélangeait au menthol de la cigarette.
Là, il y a six mois, le souvenir du tatouage l’a fait tellement rire que curieux il a déroulé. De toute façon il aurait déroulé. Une trace est une trace, autant savoir laquelle.
« Été, hiver,
L’arbre décharné, effeuillé à jamais,
Lance dans le froid de la chaleur estivale
Ses branches mortes et tordues qui montent, fières, à l’assaut des nuages
Les oiseaux libres chanteurs se posent,
Haut ou bas selon l’air du temps
Si petits et ordinaires qu’on ne les voit jamais
Se glisser vivement dans les cavités sombres
Le tronc creux de l’arbre perdu
Est et reste
Invisible à ceux dont le regard ne perce pas le lointain de l’air »
Et puis, sur un feuillet, à part, des points géographiques. Sept pour être exact, comme les sept nains. Cette pensée l’a encore fait rire en repensant à cette femme gigantesque qui lui avait glissé le rouleau. La vache, des points géographiques, elle en avait dans la tête la vieille !
Le texte lui plaisait, les points à ce qu’il en avait compris en les ciblant très grossièrement, situés dans des vastes lieux désolés, écartés. Il restait du temps avant le départ. Il pouvait apprendre le texte, d’ailleurs il le savait déjà, et même, son oreille lui avait mis quelque musique au fond. Ce pourrait être un chant, suffisait de le continuer. Il n’en voyait pas le sous sens pour le moment, mais il était bien sûr qu’il y en avait un. Sinon pourquoi le lui glisser ? Juste pour que son écriture existe pour un autre qu’elle même ? C’était possible.
La vieille pouvait être comme tous ceux qui aimaient inventer du « qui émeut » et le donner pour qu’il dure. C’est courant l’envie de montrer. Bon, mais là, non. Pas avec des points géographiques, pas donner sans même un sourire ni un mot, en cachette. Il ne s’en était même pas rendu compte, revoyait juste un effleurement qui à l’époque l’avait fait sursauter. Elle n’avait pu deviner que le blouson, pour une raison dont il ne se souvenait plus, serait mis en malle le soir même. Le souvenir de ce regard qui l’avait à l’époque glacé lui revint à l’esprit. Comme s’il était deviné dans ses noirceurs mêmes. Cela avait été le temps d’un instant et, là, au milieu du fatras des objets et papiers, le rouleau à la main, il le ressentait de nouveau. Le regard était passé aussi vite que venu. Et si elle reconnaissait ses semblables, si elle était comme lui et les autres ? Il pouvait se tromper, oui, mais il écarta l’idée qu’elle aurait voulu le tromper.
Il avait repéré, grossièrement – ces temps de surveillance aigüe rendaient instinctivement prudent – qu’un point n’était pas très loin. Il avait le temps d’aller voir avant le départ, zoner. Une fête de départ tiens. Ça allait les agacer. Ils allaient surveiller. Mais Zolde et ses semblables étaient devenus maîtres dans l’art de la dissimulation. Un principe : bien montrer ce qu’on veut cacher.
Il en a parlé le soir même aux autres : La tasse et Café et aussi La Pouet. Ensuite la mèche d’infos avait fait feu, et c’est ainsi que l’avant veille du départ, il y avait maintenant plus de six mois, la troupe s’était retrouvée par hasard à la lisière d’un bois pour un déchaînement festif inorganisé. Là, selon le signal donné par Zolde, ils étaient entrés en braillant, on cherche le point, tagadagadère, le point Gé, tagadagada. Bref, épuisés, éclatés de rire, trois heures après, ils s’adossaient au pied de l’énorme chêne mort et creux situé pile au point de la vieille.
… La tasse avait drôlement tisé sur Le mazout. Il pionçait comme un bienheureux, bouche ouverte et râle aussi guttural que vaporeux. C’est que, Le mazout, ce n’était pas de la tisane et lui avait un peu molli du côté capacité à absorber des liquides « pouvant provoquer momentanément un état d’ébriété ». C’est comme cela que le ministère public nommait depuis Le Grenelle de la Bonne Santé toute boisson un peu fermentée. Le mazout, boisson interdite d’une vieille recette de distillation héritée de temps immémoriaux. Un alambic de contrebande avait été retrouvé dans une cave de la rue des Charmes, dans la zone blanche, par hasard, sous une tonne de poussière. Évacué vers la zone noire, nettoyé, rafistolé et confié à des mains expertes, il avait repris vie. Et le bougre donnait de bons résultats. Le savoir-faire ne s’était pas perdu. Les chamboulements politiques de ces dernières années n’avaient pas ébranlé les bonnes mœurs de la convivialité des plus anarcho-conservateurs. Quelques vieux paysans-lascars avaient sauvé la science du breuvage. Le plus compliqué finalement était de mettre quelque chose dans le gosier du distillateur. Il fallait se lever de bonne heure pour trouver trace de production fruitière à des kilomètres à la ronde. C’est ainsi que quelques aventuriers avaient trouvé que finalement toute matière organique ou presque produisait du moût et, par voie de tubulures serpentines, un distillat, plus ou moins digeste mais toujours enivrant. L’essence de l’art avait été ainsi sauve et accessible aux plus prolétaires. La faute finalement à la nouvelle prohibition, dite « bienveillante », s’il y avait tant de saloperies dans la composition du breuvage des pauvres gens.
Zolde avait identifié depuis longtemps la limite. La fameuse. Celle au-delà de laquelle tout bascule. Le moment où il faut boire de l’eau, tout simplement. Là, il était bien, juste bien… Dans une atmosphère douce, étrangement douce pour la saison. Même si depuis bien longtemps tout le monde s’accordait à dire qu’il n’y avait plus de saisons. Une allégresse divine emplissait l’espace-temps, lente et délicatement moite, odeur de menthe aquatique, colchiques fleuris aux herbes folles et parfum d’un vent léger, très léger, souple, langoureux, caressant, pénétrant… Certes il y avait les effets du Mazout, de la course débridée dans la plaine, des cris exubérants, de l’effervescence animale des retrouvailles, mais c’était encore autre chose. Un truc impalpable. Un truc peut-être qui rayonnait de ce vieux chêne aux contours perdus dans l’immensité de sa circonférence rugueuse. Zolde s’y était affalé comme un sac. Détendu. Apaisé. Presque rêveur. Il contemplait le temps. Celui qui passe. Suspendu… Il avait souvent rêvé d’un soir d’automne, d’un croissant de lune flamboyant, de mille étoiles au noir absolu, d’un univers sans fin, un moment finalement comme celui-là, loin du tumulte de l’agitation inhumaine et technico-bestiale de ses congénères assoiffés à richement vivre. Et puis surtout… Seul… seul avec La Pouet. C’était surtout cela… Seul avec La Pouet… Ah La Pouet ! Dès les premiers instants de leur rencontre, dix années auparavant, il avait senti pour elle une attirance folle, viscérale, incontrôlable. Sa façon de se mouvoir, sa voix, son sourire, sa manière bien à elle de l’appeler « mon limaçon », sa démarche, ses jolis pieds nus dans la boue immonde des caniveaux irisés, sa chevelure fauve, débridée, hirsute, sa boucle d’oreille orpheline balançant à son oreille ciselée, ses mains longues et fines souvent enduites d’une crasse divine logée subtilement sous des ongles mi-longs, sa poitrine suggérée aux travers de haillons des plus in-saillants, et puis ses yeux trop bleus qui le plongeaient dans des abysses d’océans inconnus… « Eh mon limaçon ! T’es avec nous ! » Plus d’une fois il s’était perdu hagard dans la profondeur de son regard. Là, ce soir elle s’était assise à côté de lui, adossée négligemment au vieux chêne, le souffle un peu court d’une course un peu folle, rire aux lèvres, jambes écartées. Sa peau dégageait une tiédeur irradiante. Zolde était pétrifié.
« – T’aurais pas un peu de tabac de l’ancien temps, mon limaçon ? J’suis trop bien là. T’as vu ce ciel. Magique non ? ça fait combien de temps qu’on n’a pas vu un ciel aussi lumineusement sombre ? Incroyable ! T’as vu ? »
Zolde, quand elle se mettait à faire dans l’oxymore poétique, il sombrait corps et âme comme lorsqu’il se perdait dans l’océan de son regard. Du phytoplancton, il devenait du phytoplancton pour baleine à fanons… Tout simplement.
« – Oui, bien sûr je dois en avoir quelques brins encore dans la poche de mon veston… Voilà, enfin ce sont plutôt des miettes mais on va s’en rouler une petite tranquille. T’as raison il fait vraiment belle nuit noire et j’ai jamais vu autant d’étoiles dans un ciel. »
Il était fébrile. Ses mains tremblaient. Elles faisaient sautiller les miettes d’un tabac trop sec dans la fine feuille d’un OCB old school comme un trampoline miniature d’instants surannés.
« – Allez laisse mon limaçon… T’as trop picolé. T’as les doigts gourds. J’vais rouler la tige. J’ai plus de dextérité dans mes pinceaux que dans tes gros bigorneaux. Puis l’alcool ça ne me fait pas avoir la danse moi, ça me donne chaud ! T’as pas chaud toi ?
– Non, ça va. »
Il l’avait bien sentie, sa chaleur. Il l’avait bien sentie. Elle approcha sa main. Il approcha la clope en élaboration. Elle effleura sa main. Un frisson lui parcouru le corps. Chaud. La fièvre en somme. Zolde vacilla d’un coup… Lente pluie de tabac en paillettes… Vole et virevolte une petite feuille fine, blanche évanescence aérienne dans l’obscure… Les mains s’agitent, elles tentent de retenir le chaos. Elles l’accentuent. Et s’effleurant, se touchent, s’agrippent l’une à l’autre, se meuvent désordonnées et d’un mouvement paradoxalement romanesque se muent lascivement en caresses. Zolde se laisse aller à l’inclinaison de son inclination. Il bascule onctueusement sur elle. Elle, elle ne le retient pas. Elle l’accueille même dans cet abandon. Un corps à corps. Le peu de tissu qui séparait les chairs s’évapore comme d’une magie dans l’atmosphère. Dialogue de peaux. Pas en reste, les lèvres s’accrochent dans des jeux de langues serpentines. Zolde maintenant remonte lentement une longue série de côtes charnelles jusqu’à la naissance d’un rebond gracieux et doux qu’il enveloppe fébrilement, touchant furtivement la pointe d’un téton érectile… D’autres mains hardies, dans un désordre insensé, courent avides aux quatre continents de la chair, grimpant des abruptes dantesques de corps caverneux, descendant dans des replats boisés jusqu’à de sombres et chaleureux valons, s’égarant dans des replis suaves et sauvages, se prélassant parfois dans des creux moites et alléchants et s’attardant longuement à des rotondités girondes et gourmandes. Un monde s’ouvre. Un continent entier est à la dérive. Une étrange subduction éveille un volcan qui, depuis si longtemps éteint, s’étreindrait bien présentement d’un sanguin désir sous les déhanchements croisés de peaux moites dans la lumière excitante d’une lune gourgandine. Un rossignol s’égosille à quelques harmonies. Le monde est tout petit, tout petit, tout petit, une bulle… Et des images défilent dans la tête de Zolde… Putain de vieille !.. Mais putain de vieille ! Il n’arrive pas à la zapper. Merde ! Bras de poulpe aux draps de peau battant aux quatre vents et bite turgescente dans la lumière d’une guillotine sur un avant-bras gras, poussiéreux et poilu… Merde ! Putain de vieille ! Voilà le braquemart comme peau de chagrin après trente mille désirs…
« – Bah alors mon limaçon, je ne te fais pas bander ? Toute façon j’avais pas vraiment envie moi non plus. Je ne sais pas ce qu’ils foutent dans le Mazout nouveau, mais ça fait perdre la tête. On a failli faire une belle connerie ! Heureusement que t’as la mécanique subtile toi ! Allez, viens, rhabillons-nous et rentrons… »
Zolde se releva et lentement se rhabilla. Il était plein de colère et voir La Pouet se rhabiller elle aussi ne le calmait pas, loin de là.
« Allez mon limaçon fais pas la tronche. C’était pas une bonne idée. On va finir la boutanche en fumant une clope » lui dit-elle, affable. Et elle lui caressa l’épaule, en souriant.
C’est vrai qu’il restait un fond de bouteille et quelques brins de tabac et c’était bien ce qu’ils avaient de mieux à faire pensa-t-il.
En plus La Pouet n’était pour rien dans sa débandade. C’est le souvenir de la vieille qui lui avait pourri son étreinte. Alors il acquiesça et se rassit avec une grimace qui se voulait un sourire.
Putain de vieille ! Il n’arrivait toujours pas à se débarrasser de son image. Tout ce temps à désirer La Pouet en silence et cette vision hideuse qui venait tout casser juste au moment où ses souhaits les plus intimes allaient se réaliser. Et maintenant c’était foutu… Demain c’était le déménagement pour l’assignation à résidence, la séparation à durée indéterminée.
Il faillit tout raconter à La Pouet puis se ravisa à la dernière minute. L’histoire de cette vieille était trop louche. Tous ces Euros-francs arrivés par la poste et les plans et ce poème laissés dans sa poche. Largement de quoi déclencher des tas de questions de la Police Politique de Proximité. Moins de monde serait au courant plus il serait en sécurité et les autres aussi d’ailleurs.
Il se remémora alors le poème. La Pouet lui parlait mais il n’écoutait plus.
« … Le tronc creux de l’arbre perdu Est le reste
Invisible pour ceux dont le regard ne perce pas le lointain de l’air… »
Le reste ? Quel reste, Et le lointain de l’air ! C’est quoi le lointain de l’air ? Putain de vieille ! Et il se répétait ces quelques vers. Il se mirent à résonner comme un mantra et il se détacha de lui. Il se vit, loqueteux, amoureux, assis au pied du vieux chêne avec la femme dont il rêvait depuis si longtemps. Il regardait ce triste spectacle d’au-dessus : présent et absent. Le Mazout avait-il été coupé au LSD ?
« Le tronc creux de l’arbre perdu… »
Il se leva alors et fit le tour du chêne à la recherche de quelque orifice. De l’autre côté, à hauteur d’épaule un un énorme trou béait entouré de boursouflures. Rien d’invisible.
Sans même réfléchir il y plongea le bras jusqu’à l’épaule. L’intérieur était chaud, brûlant, et sa main devint torche. Pourtant il ne ressentit nulle peur, même pas le désir de retirer sa main avant d’avoir exploré ce trou dans ses moindres recoins.
Il palpait soigneusement les parois. Le bois s’effritait sous ses ongles. La brûlure s’intensifiait et remontait le long de son bras. Il pensa que le mazout était une vraie saloperie et poursuivit son exploration. Tout au fond il découvrit une petite bille. Tout son bras était en feu mais il avait trouvé. Il sortit alors précipitamment sa précieuse découverte. Sous la lumière de la lune il découvrit un gland au creux de sa main meurtrie et la douleur prit le dessus. Il cria.
La Pouet accourut. Il regardait sa main, la montrait à La Pouet. Lentement la douleur s’estompait mais sa main n’en portait pas le moindre stigmate, pas même une vague rougeur. Il la retourna, le gland rejoignit ses frères au sol et le dos de la main était aussi bêtement normal que la paume. Une minuscule araignée remonta le long de sa manche de chemise.
La Pouet le regardait bizarrement. « Il est dans quel délire mon limaçon ? »
Il jura que l’arbre l’avait torturé. D’abord elle rit, puis fut prise d’un doute, Zolde n’avait pas pour habitude de faire des plans à la con, même torché au Mazout et c’est pour ça qu’elle l’aimait bien,
Elle décida alors de tester ce fichu chêne et plongea à son tour le bras dans le trou. L’intérieur était tiède, vaguement spongieux, vaguement répugnant, mais rien ne se passa. Elle s’accorda une longue minute le bras dans le trou espérant ressentir au moins un échauffement anormal mais il continua de ne rien se passer. Alors très lentement elle ressortit son bras. Il y avait de la méfiance dans son regard lorsque ses yeux se posèrent sur Zolde. Il en fut tellement consterné qu’elle dut le sentir et le prit tendrement dans ses bras.
« Allez mon limaçon t’as dû vraiment abuser du Mazout ce soir. Pas grave demain il fera jour et moi aussi j’suis vraiment pompette. ça va être dur de ramper jusqu’à mon pieu. J’pourrais pas squatter chez toi ? »
Zolde ne s’emballa pas. Souvent elle squattait chez lui et il savait ce que ça voulait dire : juste dormir à ses côtés. Mais au moins ils s’endormiraient l’un contre l’autre et ce soir il avait besoin de tendresse. Son bras le brûlait toujours.
Ils rentrèrent en zigzagant dans le cagibi qui tenait lieu de chambre à Zolde. Puis, à peine arrivés La Pouet s’allongea et s’endormit dans la foulée. Zolde la regardait ronfler. Il sentit la nostalgie l’envahir et eut envie de pleurer.
Il se déshabilla et observa longuement son bras endolori : un bras exactement semblable à son autre bras. Perchée au sommet du tas de fringues la petite araignée de tout à l’heure semblait rigoler. Il s’allongea tout contre La Pouet. C’était bon de sentir son corps chaud contre le sien et très vite il sombra dans un sommeil peuplé de rêves étranges.
Il discutait avec un mâle. Qui s’appelait Arrg. Et que ce fût un mâle araignée ne le troublait pas. « Toutes vos poudres, vos gaz et autres armes de destruction massive nous foutent dans la merde. Non seulement elles ravagent parfois des colonies entières mais plus grave encore elles pourrissent notre bouffe. Un moustique dopé à ces saloperies peut nous faire avoir des œufs difformes, non arachnides. Des handicapés naissent par milliers et meurent à peine éclos. Tu peux faire quoi pour arrêter ce massacre ? » Le plus sérieusement du monde Zolde se défendait d’utiliser des pesticides ; de toute manière il n’avait pas les thunes pour en acheter.
« Vous êtes vraiment cons » reprit Arrg. « Qui vous débarrasse des moustiques, hein ? Les hirondelles et nous, et vous nous tuez. Alors moins d’hirondelles j’ai rien contre. elles nous bouffent aussi mais la malaria c’est vous qui la chopez. Viens voir, les œufs d’Angie vont éclore. Tu vas voir la cata. » Des centaines d’œufs étaient en train d’éclore et en sortaient de minuscules bestioles. Toutes avaient huit pattes et la tête de Zolde.
Il se réveilla en sueur. La Pouet était partie et sur le tas de fringues la petite araignée l’observait. Il se leva la tête lourde, fit doucement glisser la petite bête dans la poche de sa chemise et s’habilla.
Il était prêt pour l’assignation à n’importe quelle résidence.
… Des heures durant, donc – suite aux pluies abondantes de l’automne -, les odeurs de pourrissement emplissent les rues pavées de la ville, soulevant le cœur des quelques irréductibles bravant les nuages bas remplis de dioxyde de carbone ; il reste encore – les jours suivants – des volutes nauséabondes incrustées dans l’eau fangeuse des bordures de trottoirs. Des flaques huileuses et spongieuses – mélasses grisées reflétant les arcs-en-ciel pétrolifères.
Zolde s’en fout ! Il marche à une allure soutenue, les pieds chaussés de bottes en caoutchouc bon marché, fracassant de son pas lourd les molécules d’eau insalubres qui finissent projetées sur les murs blancs des maisons bourgeoises qui s’égrènent le long du parcours. La tour de vingt-deux étages lui fait face. Recouverte d’une peinture jaune, écaillée et grumeleuse, elle semble étêtée par la masse noire de particules grasses qui la chapeaute. Il rentre chez lui… Il n’a pas vu venir l’énorme SUV Toyota blanc….
À l’huile déversée sur la chaussée mouillée se mêlent les striures rougeâtres du sang perdu abondamment par Zolde. Le regard torve des phares allumés projette une ombre instable sur le corps abîmé. Seul s’entend, dans le silence des chocs soudains – dans cet espace d’une poignée de secondes qui fait les postfaces des violences urbaines – un lointain gémissement, aigu, étouffé par quelque engorgement salivaire, stridulations organiques qui disent la vie qui gît.
…
« Il y a toujours ce besoin des prisons construites par nous, autour de nous, autour des corps que nous ne percevons plus comme nôtres ; Il y a aussi ce besoin des abrutissements libérateurs ; ce besoin d’enterrement ; de terrement ; d’errements ; d’éradication de la légèreté des formes. Il y a toujours ce besoin de bruissement sale !
Les voleurs enferment leurs petits pour mieux manger ceux des autres ; ils libèrent leurs paroles pour mieux enfermer celles des autres ; les voleurs volent… les pieds vissés dans la croûte environnante !
Sur les trottoirs étranges des villes de demain serpenteront les couleuvres que nous n’aurons pu avaler. Les trottoirs ne seront plus vierges : les traces se reformeront pour créer l’espace souillé par nos peurs. Nous n’y feront plus nos besoins – ni même ceux des autres – ; nous n’y verrons que la valse sombre des figures reptiliennes. La petite mort fossilisée par nos vicissitudes, l’ambre nous maintiendra dans la position fœtale et personne ne désirera bouger, de peur de rameuter les hydres qui veillent sur nos vies… »
Je suis Zolde ! J’ai toujours aimé bercer d’une douce musique irréelle mes litanie d’homme seul et souffreteux. Je suis Zolde et je sors d’une longue torpeur, froide et roide. Mes yeux n’osent pas encore s’ouvrir sur le monde tel qu’il est maintenant. J’entends parler « coma » puis « réveil » et encore « miracle »… J’entends leurs voix calmes et ne perçois que leurs ombres derrière mes paupières closes. Des lumières d’une blancheur nacrée transpercent la peau plissée.
l’homme : Depuis quand est-il en phase de réveil ?
La femme : une heure environ, docteur.
l’homme : restez avec lui et prévenez-moi à la moindre évolution.
La femme : bien !
Je suis réveillé de quoi ? De quel endormissement ? Des bribes de souvenirs grisés me parviennent et m’enchaînent à une histoire que je ne crois plus mienne. Décoloration orbitale des images émises : un choc frontal, un visage aperçu rapidement comme un flash d’appareil photo. Mais un visage gravé tel un vieux négatif d’argentique…
Derrière le volant, je vois le regard ahuri d’une femme sans âge qui comprend son erreur et la mienne dans ce
microcosme figé, forgé en quelques millionièmes de secondes (sa main gauche enserrant le volant, la droite ouverte sur le vide laissé par le téléphone qu’elle tenait l’instant d’avant ; le téléphone flottant dans l’habitacle tel un ange annonciateur de déluge ; les cheveux d’un gris poussière, anarchiques et chaotiques, fixés dans ce qu’il semble être une attitude d’éternité macabre ; le corps en avant, ou plutôt voûté, comme pour compenser le manque de hauteur du plafond de l’habitacle ; un tatouage incompréhensible sur l’avant bras…)
Des volutes d’éther se mêlent aux relents de sang séché qui me reviennent en mémoire tels des ravines se creusant dans la matière spumeuse de mon cerveau, qui se rallume doucement, bercé par la voix suave de l’infirmière, où de ce qui me semble être… Il me faut ouvrir les yeux maintenant. Il me faut affronter la réalité. Elle ne peut être celle qui me semblait promise lors de ce voyage atone : « Il y a toujours ce besoin des prisons construites par nous, autour de nous, autour des corps que nous ne percevons plus comme nôtres ; Il y a aussi ce besoin des abrutissements libérateurs ; ce besoin d’enterrement ; de terrement ; d’errements ; d’éradication de la légèreté des formes. Il y a toujours ce besoin de bruissement sale ! »…
Les formes que prennent nos rêves ne sont que l’écho de nos insuffisances… Il ne peut y avoir de forme de miracle. Dans cette léthargie que je ne peux pas encore estimer, l’incroyable ne pouvait mener qu’à nos pertes… Je ne suis pas mort assez longtemps pour le découvrir.
Dans cette vie, celle des immeubles sans arbres creux, celle des eaux fangeuses et lourdes, celle des bottes qui ne savent pas où aller, il ne reste rien d’admirable ni rien d’estimable. Surtout pas soi ! Il n’y a d’illusion de changement que dans l’accident, comme une morsure qui rappellerait que c’est la peau déchirée, marquée, qui fera l’histoire. Pas l’acte de mordre ! Il n’y pas d’acte ici bas ! Seulement des fils à tirer pour nous guider dans l’épaisseur d’une vie !
Je perçois la tiédeur d’une brise légère sur mon bras. J’ouvre les yeux d’un seul coup et décale légèrement mon regard sur le côté pour apercevoir la scène qui compose l’instant : une jeune femme, d’une beauté rassurante et familière, drapée dans une blouse couleur ivoire, trop grande pour elle, est penchée sur moi et tente, dans une attitude bienveillante de souffler la tégénaire minuscule qui trotte sur mon bras – rougi, cramoisi – en direction de mon poignet… L’infirmière lève la tête et me dévisage ; elle entrouvre la bouche pour prononcer quelque chose mais aucun son ne sort. Je la vois changer de direction, lentement, comme absorbée par le ralenti d’une cinématique de jeu vidéo… Ses cheveux de feu se superposant au papier peint jauni et scabreux de la chambre d’hôpital… J’entends sa voix qui appelle… Elle disparaît un instant – un instant seulement – dans le couloir et lance à nouveaux la mélopée de l’urgence médicale… Mais ce corps, ces cheveux, cette voix, ces mouvements… La Pouet !
…
Tandis que Zolde sombrait une nouvelle fois dans un coma qui pourrait s’avérer définitif et finalement confortable, l’infirmière stagiaire, Olga Lapoeyevsk, courait dans tout l’hôpital pour retrouver le docteur François Latace qui vaquait à quelques occupation subalternes.
L’araignée, qui venait de choir dans les draps trempés de sueurs acres couvrant le corps parcellaire de Zolde, se raccrocha aux branches
– ou plutôt au cadre en PVC de la fenêtre cadenassée qui donnait sur la cour bétonnée de l’hôpital public de Tulle – et s’enfuit par l’interstice sombre d’une fissure mal réparée.
Simone Vérac, qui finissait un sandwich kebab débordant de mayonnaise – laissant tomber l’huile ainsi transformée par le soleil sur une table ronde de petite taille –
regardait, figée par la honte et glacée par la terreur, la télévision, qui diffusait en boucle les images de la manifestation géante organisée par les Identitaires européens sur l’esplanade du palais Ducal ainsi que le long de la place de la République, à Nevers. Elle grattait nerveusement les plaques urticantes formées sur son avant bras, déposant des morceaux infinitésimales de viandes d’agneaux, préalablement coincés sous ses ongles, jaunis par les cigarettes menthol, tachant partiellement le tatouage improbable qu’elle s’était offert pour le cinquantième anniversaire de son viol…
Au milieu du défilé des têtes rasées, se trouve un arbre. Un Chêne. En tendant le cou suffisamment – et peut-être en se tordant un peu le dos également – il est possible d’apercevoir un bout de papier sur la plus haute de ses branches. En scrutant d’avantage l’arbre millénaire, il est possible de déchiffrer l’écriture en encre rouge. Alors cet avertissement – car c’en est un – devient lisible par tous. Et Zolde peut retourner dans les bras de La Pouet, tranquillement…
Co-écrite par Odysseus Katsanvintset, Odysseus Katsanvintuit, Odysseus Katsanvintneuf et Odysseus Katsantrente