Loup y es-tu ? Entends-tu ?

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Entre fin décembre et janvier, en Haute-Corrèze, sept attaques de troupeaux domestiques imputées au loup ont été confirmées par les services de l’État. La crainte vis-à-vis du prédateur est réelle pour de nombreux éleveurs : risque de pertes dans les troupeaux, stress généré sur les bêtes gestantes… Touchée par une baisse de 6,6 % du nombre de détenteurs d’ovins sur la région Nouvelle-Aquitaine entre 2016 et 2020, la profession agricole pourrait souffrir de l’arrivée de loups, avec des départs anticipés en retraite ou des complications lors de la transmission des fermes.

Mais si les élevages disparaissent, qui va entretenir les surfaces difficiles à cultiver, les prairies, les haies, lisières et autres zones humides protégées ?

L’État à l’aide des éleveurs

Conscient de ces enjeux à l’échelle métropolitaine, l’État a rédigé un plan national d’actions (PNA) 2018-2023 sur le loup et les activités d’élevage. Élaboré conjointement par le ministère de l’Agriculture et celui de la Transition écologique, il définit les moyens permettant de concilier élevage et présence du loup, et dispose d’un pilotage départemental sous l’égide de la préfète. Il décline de nombreuses actions pour la protection des troupeaux, le soutien au pastoralisme et l’indemnisation des dommages. Outre l’indemnisation des bêtes prédatées par le loup, les aides à la protection des troupeaux peuvent aller jusqu’à 80 %. Il s’agit principalement de l’installation de clôtures électriques, du dressage de chien(s) de défense des troupeaux et du gardiennage renforcé (pourvoyeur d’emplois de bergers). Ces coûts sont éligibles à une subvention selon la localisation des élevages :

– cercle 1 : zone où la prédation a été constatée une ou plusieurs fois au cours des deux dernières années, les éleveurs peuvent prétendre à des options rémunérées pour la prévention (gardiennage et surveillance renforcés, investissement matériel, chiens de protection, analyse de vulnérabilité, accompagnement technique) ;

– cercle 2 : zone où la prédation est possible, les éleveurs ont accès aux aides pour les investissements matériels (parcs électrifiés), les chiens de protection et l’accompagnement technique (éducation et gestion des chiens de protection) ;

– cercle 3 : zone possible d’extension géographique du loup, les aides sont dédiées à l’acquisition de chiens de protection et à l’accompagnement technique.

Dans tous les cas, une progressivité dans l’application des mesures de protection est demandée par le PNA : le tir dérogatoire pour l’abattage de loups ne peut pas être autorisé si l’éleveur n’est pas en mesure de prouver qu’il a mis en place des moyens de défense contre la prédation.

Sensé écouter et représenter tous les agriculteurs, il joue contre son camp !

En avril 2018, après une première série de prédations imputables au loup, la Chambre d’agriculture de la Corrèze a créé une « cellule anti-loup », court-circuitant la cellule de veille officielle(1) mise en place par la Préfecture, trop « pro-loup » à son goût.

Le 17 janvier 2022, le président de la « Chambre », prépare son coup d’éclat. En amont de la cellule de veille que la préfète va réunir le 25 janvier, il sollicite les représentants des « forces vives de la Corrèze », en leur proposant la constitution d’un « collectif » agrégé autour de dix revendications. S’appuyant sur des études de la DRAAF (Direction Régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt) et de l’Idele (Institut DE L’Élevage), il demande le classement du département en « Zone difficilement protégeable » et présente neuf autres doléances, comprenant, entre autres : le tir du loup dans un rayon de vingt kilomètres autour de tout lieu où une photo de l’animal serait certifiée, l’autorisation donnée à tout titulaire du permis de chasse de tirer sur le loup, la réalisation d’expertises contradictoires à celles réalisées par les fonctionnaires d’État, la constitution d’une brigade-loup recrutant parmi les militaires retraités, la désignation dudit collectif comme « seul interlocuteur reconnu pour accompagner l’évolution de la régulation en partenariat avec l’administration »…

Fort du soutien de certains syndicats (FNSEA et JA), du président du Conseil départemental et de quelques élus (dont certains ont pris le soin d’édulcorer le texte au moment de le présenter à leur assemblée délibérante), le président de la « Chambre » se rend à la cellule de veille du 25 janvier, sûr de réussir à imposer l’oukase des forces vives. Moins d’une petite heure plus tard, échec, il quittera la Préfecture à grand bruit, scandalisé de constater qu’il vit dans un État de droit. Après avoir voulu fédérer autour d’inepties, il doit en effet être assez perturbant de réaliser que des personnes sont là pour dialoguer pacifiquement, dans un cadre légal, afin de résoudre des problèmes dont elles sont pourtant, pour certaines, les premières victimes.

Car le problème autour de ce manifeste et de ce collectif, ce n’est pas tant la revendication du tir létal pour résoudre un problème de prédation (cette option, vieille comme la poudre à canon, est prévue par le Plan national d’actions sur le loup) que toutes les insinuations qui l’introduisent : l’État manipulateur qui fausserait ses expertises, les citoyens de seconde zone qui ne seraient pas dignes d’être entendus des pouvoirs publics (naturalistes, habitants des zones de passage du loup, simples observateurs…), la mobilisation de militaires retraités qui seraient les seuls à même de mettre en œuvre les mesures radicales qui s’imposent, l’existence dans la société de forces vives (par opposition aux faibles et aux calmes ?).

Depuis deux ans, le président de la Chambre d’agriculture aura donc défendu une stratégie perdante : priver la profession agricole des zonages en cercles car ceux-ci auraient officialisé la présence de loups et empêché de les braconner « par erreur ». Plusieurs éleveurs les avaient pourtant plébiscités, ces cercles, mais peut-être n’ont-ils su hurler assez fort ni rameuter les bons camarades.

Finalement, devant l’évidence des prédations, la préfète n’a eu d’autre choix que d’instaurer le classement de la Corrèze en cercle 3 (zone possible d’extension) et certaines communes en cercle 2 (zones d’attaques probables). Mieux vaut tard que jamais… L’arrêté préfectoral portant délimitation a été publié le 1er février.

Il est certain que l’époque est favorable aux propos démagogiques, mais s’il souhaite persister sur cette ligne rhétorique, avec ses amis, osons donner un conseil au président de la Chambre d’agriculture : quand les nuages s’amoncellent, jamais un orateur n’a conquis la foule en lui déconseillant de se munir d’un parapluie.

DANY VIDAL

(1) Liste, non exhaustive, des membres de la « cellule de veille loup » : Préfecture de la Corrèze, Conseil départemental, Direction Départementale des Territoires, Office Français de la Biodiversité, DRAAF, Parc Naturel Régional, syndicats, Chambre d’agriculture, Fédération des chasseurs, gendarmerie, associations de protection de la nature…