Xaintrie-Val’Dordogne : conduite forcée pour la gestion communautaire de l’eau

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L’eau et la crainte d’en manquer agitent les esprits et noient les capacités à réfléchir calmement. S’il y a accord sur l’objectif final (tout le monde souhaite une eau potable de qualité et sans rupture d’approvisionnement), fédérer les élus communautaires sur un projet commun pour les atteindre est plus délicat. Or, il est impossible de faire contre les élus ou contre les habitants, quelque soit la légitimité. Il est essentiel de faire avec tous.

Le joli nom de NOTRe

2015 et la loi NOTRe, qui sonnait comme nous. Qui signifie seulement Nouvelle Organisation Territoriale de la République. Elle a enflé les régions, mettant le petit Limousin dans la Nouvelle-Aquitaine. Souvenez-vous de la façon dont l’État a imposé ces changements au pas de charge avec comme objectifs économies et rationalité. La loi a aussi transféré la compétence de l’eau potable et de l’assainissement des communes aux communautés de communes. Parce qu’on ne peut continuer décemment à avoir autant de services d’eau communaux. Parce qu’il est essentiel de rationaliser l’utilisation des moyens, c’est-à-dire les coûts. Cela doit être fait en 2026.

Une diversité de situations

La gestion de l’eau est de la compétence communale depuis la révolution. Depuis, l’organisation des services d’eau s’est modifiée et diversifiée. Ainsi, pour la Communauté de communes Xaintrie-Val’Dordogne (XV’D), certaines communes gèrent avec leurs propres moyens l’eau potable (en régie), des élus eux-mêmes participent au suivi en particulier en été. Il y a une réelle connaissance de terrain pour beaucoup. La gestion peut aussi être déléguée : ainsi Argentat délègue sa gestion à une entreprise privée, la Saur. D’autres communes sont regroupées dans un syndicat intercommunal (encadré 1) pour toute la gestion de l’eau (distribution et assainissement) ou seulement pour une partie. Par ailleurs, les besoins de chacune des trente communes de XV’D diffèrent : certaines manquent d’eau en été, d’autres moins ou non, certaines ont des problèmes de radon, d’arsenic ou d’autres éléments indésirables (encadré 2). Toutes ces eaux sont acides au vu des normes définies. Enfin, les prix varient beaucoup d’une commune à l’autre.

La mandature précédente de la Communauté de communes XV’D vote en mai 2017 la réalisation d’un schéma directeur de l’eau potable. Un cahier des charges est défini. Le lancement d’une consultation des entreprises pour une étude qui devra établir un état des lieux des ressources et des besoins des systèmes existants ainsi que des propositions d’amélioration et de restructuration est validé le 11 septembre 2018. La

lecture du compte rendu de séance montre l’intérêt de certains maires : ils connaissent leurs réseaux, en particulier ceux qui sont en gestion communale, ils ont déjà financé des études, ils questionnent sans être opposés à la nouvelle étude.

Le changement, dans ce contexte, demande de la délicatesse, de l’écoute, de la compréhension.

Ressource unique

L’étude se déroule. Les habitants, à l’écart, sans aucune information. Avec un comité de pilotage qui n’intègre pas les élus de la commission eau. Courant 2021, un état des lieux est rendu à chaque commune pour laquelle il a été réalisé. Puis, le bureau d’études présente par secteur (cinq sont définis) aux élus une synthèse et les quatre propositions de scénario prévus. Il est essentiel de noter qu’aucune commune ne dispose d’une vision globale hormis cette synthèse pour appréhender la problématique générale.

L’irritation apparaît sur deux points : l’absence de dossier d’ensemble qui rend difficile la construction d’une vision commune ; un scénario fléché comme celui à retenir, avec l’investissement le plus élevé mais un coût total le plus faible après subvention. Celui-ci prévoit une substitution des ressources existantes par une ressource unique (la Dordogne), avec une usine de traitement de l’eau et ensuite une distribution aux communes, sachant que le dénivelé est de trois-cents à quatre-cents mètres entre vallée et plateaux. Disons qu’il correspond bien aux attentes des institutions : la gestion est centralisée en un point unique, comparable à ce qui a déjà été réalisé dans le sud de la Corrèze et à Tulle. Cela diminue largement les points d’analyse des ressources. On fait un gros investissement et on est certain d’avoir assez d’eau. Voilà, hop, c’est rationnel.

Quatorze communes sur trente se déclarent opposées à ce choix, car il conduit à dépendre d’un seul point d’approvisionnement et surtout il prévoit un large abandon des captages existants. Et, donc des périmètres de protection.

Elles demandent des informations complémentaires pour réfléchir, en particulier les documents d’études dont elles ne disposent pas, ainsi qu’une approche des effets du scénario sur le long terme.

Attente avant de mieux voter

Le 28 octobre 2021, le conseil communautaire qui devait voter l’ensemble est transformé en débat en présence de l’État et des institutions. Un débat encadré, donc. Le compte rendu de cette séance est en ligne depuis fin janvier. Instructif. La lecture fait ressentir une volonté de convaincre plutôt que d’écouter. L’introduction de la présidente de la Communauté de communes laisse entendre que les élus n’ont pas pleinement conscience des difficultés à venir en matière climatique, qu’ils agissent sans l’en avertir et de façon démagogique. La lecture montre aussi l’influence des institutions et l’impact des manques d’eau récurrents sur le territoire de Saint-Privat, celui de la présidence. La nécessaire solidarité entre communes est prônée face à la demande de réflexion de certains élus sur un sujet qui engage sur quarante ans. Il faut aller vite, ne plus tergiverser. Le risque de perdre des subventions est énoncé par l’État. Deux angles de vue divergent.

Si la présidente exprime que la réflexion peut être poursuivie, elle dit aussi que le sujet doit être clos pour la fin 2021. Le vote controversé est placé au conseil communautaire du 9 décembre 2021 bien que la commission eau de XV’D ait demandé le report, arguant entre autres qu’aucune étude n’a envisagé les réductions potentielles de la consommation et que les habitants n’ont pas été tenus au courant.

La conduite forcée de la gouvernance renforce les irritations

Le 9 décembre, un beau mélange de deux-cents habitants est présent et soutient les élus qui avaient demandé le report du vote sans regarder de quelle commune ils sont. Le conseil communautaire est annulé. Il semble que l’exécutif ait voulu mettre au vote le report de la décision. Mais quel résultat lorsque quatorze communes sur trente pèsent quatorze voix sur quarante-huit ? La Communauté de communes dénonce la violence contre la démocratie. Mais que faire quand la démocratie s’exerce en coupant la relation avec les habitants ? Ceux-ci ne veulent plus être pris pour le rien qui déléguerait le tout aveuglément à une démocratie représentative.

Dans un article paru le 9 février dans La Montagne, la présidente dit : « Nous avions communiqué auprès des élus, pensant qu’ils feraient redescendre à leurs administrés. » Dans cette formulation (communication, redescendre, administrés), tout est dit de l’incompréhension. Il est fait mention des craintes des uns et des autres en matière de prix de l’eau et de ressource unique. Le maire d’Argentat explique que : « Il y a confusion entre ressource unique et gouvernance privée ». Les habitants « confondent », voilà. Pas un mot sur l’abandon des captages, ni sur les économies d’usage, ni sur une présentation des effets du scénario envisagé, c’est-à-dire sur les questions posées. Une réunion publique est prévue le 1er juillet 2022, avec les services de l’État et les institutions. D’ici là, La Montagne rapporte qu’une information sera faite aux habitants dans un document vulgarisé « car le problème n’est pas simple ». Je sens qu’on va nous expliquer qu’on ne peut pas faire autrement comme des parents à leurs enfants.

Ce que souhaitent des habitants et des élus, ce sont des documents d’ensemble présentés à l’échelle communautaire, une étude des usages et de leurs économies ainsi qu’un maintien des capacités d’adaptation sur le long terme. Ce qui suppose de conserver davantage de captages, parce que c’est bien d’une vision de long terme dont on parle. Cela paraît impossible à obtenir. Or, peut-on vraiment construire des projets communautaires contre la volonté d’une partie des élus et/ou des habitants ? C’est-à-dire sur une division ?

MARIE-LAURE PETIT