Histoires du travail des femmes une position dominée
Lorsque le chômage augmente fortement dans le dernier quart du vingtième siècle, il est courant d’entendre « l’arrivée massive des femmes pèse sur le marché du travail ». En clair, les femmes font augmenter le chômage, et sous-entendu, avant, elles ne travaillaient pas. La représentation sociale des femmes occupées au travail domestique et des hommes ayant un emploi est historiquement forte, même si elles ont toujours exercé des activités en dehors de la sphère domestique.
En premier lieu, en milieu paysan : dirait-on que le serf ne travaillait pas ? Non ? Alors pareil pour la femme. Convoquez aussi à votre esprit les cohortes de servantes, cuisinières, nourrices, lingères, couturières. Convoquez ensuite, avec l’industrialisation, les ouvrières du textile. Et souvenez vous : qui travaillait au bonheur des dames d’Émile Zola ? Les femmes ont toujours travaillé. Point. Mais, les statistiques et les catégories délimitant ce qui fait partie ou non du travail ont participé « à repousser aux marges du travail une partie de l’activité laborieuse des femmes, effectuée notamment dans le cadre domestique1 » et à la construction sociale d’une position dominée. Ainsi, à partir de 1954, la statistique ne compte, pour les agriculteurs, que ceux et celles qui déclarent exercer ce métier. Et les femmes, ben elles disent : moi ? j’aide juste « je n’exerce pas ce métier¹ ». Et, hop,
970 000 femmes disparaissent des actifs. Et puis, pensez à toutes les femmes de : boulanger, artisan, boucher… à toutes ces femmes, travaillant avec leur indépendant de mari, et dont pendant si longtemps leurs enfants ont déclaré à l’école devant profession : « sans », voire pour faire plaisir : « aide papa ».
La représentation sociale des vertus féminines (méticulosité, docilité, sens de la famille) pèse lourdement sur cette histoire du travail des femmes. Grâce à ces qualités, on finit à des tâches délicates. Connaissez-vous, l’histoire des radium girls, aux états-Unis, qui savaient si bien peindre les cadrans lumineux avec une peinture enrichie en radium ? En France, c’est l’essor du secteur tertiaire durant l’entre-deux guerres avec un nouveau salariat de fonctions auxiliaires comme la célèbre sténodactylo qui s’appuie sur ces qualités. Bref, « l’emploi des femmes a […] permis de protéger une majorité d’hommes de la déqualification potentielle en leur réservant les filières les plus qualifiées et promotionnelles, menant vers les emplois de cadre » : la mobilité sociale ascendante des hommes s’appuie sur la position dominée de l’emploi féminin².
L’histoire du travail des femmes est empreinte de cette domination qui pèse sur la définition du travail et sur le droit ; pensez, ce n’est qu’en 1965 que la femme mariée acquiert la capacité juridique lui donnant le droit de signer un contrat de travail.
Et pourtant, au 21ème siècle, malgré un chômage toujours important, les femmes constituent maintenant près de 50 % de la population active. Et on ne pense plus qu’elles sont responsables du chômage. Ouf ! Mais si les femmes accédant à l’enseignement supérieur peuvent espérer une carrière voisine (basse !) de celle des hommes, les femmes peu diplômées sont davantage exposées à la précarité. De plus, les trajectoires professionnelles des femmes restent discontinues et le travail domestique leur incombe.
Et le travail féminin conserve son rôle de variable d’ajustement : les emplois à temps partiel restent majoritairement occupés par des femmes (30,7 % des femmes, pour 7,8 % des hommes, travaillent à temps partiel). Lorsque ce temps partiel est subi, c’est en grande majorité par des femmes. Et ce sont elles, le plus souvent, qui se retirent dans la sphère domestique lorsque l’enfant arrive. Pur instinct maternel, sans doute.
1 – L’emploi des femmes en France depuis 1960, IRES, Michel Husson, 2018.
2 – Histoire du travail des femmes, Françoise Battagliola, éd. La Découverte, 2004, F. Battagliola est directrice de recherche au CNRS, organisme dont le conseil d’administration de 2005 comptait une femme pour vingt-et-un membres.
Par Marie-Laure Petit
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