Alors que le mot d’ordre des socialistes dans les années 70 était : « changer le progrès », celui d’un socialisme historique mais moderne pourrait être : « changer le travail ». Nous profitons d’un passage de Bernard Friot à Tulle en octobre pour éclairer un peu ce que cela signifierait.
Produire
Qu’est-ce que produire ? Si l’on veut bien se poser la question concrètement, elle est aussi vaste qu’il y a de productions différentes. Ces dernières constituent la variété de notre activité humaine. Nous pouvons produire des biens, des services, mais aussi de l’art, de la connaissance, de l’activité domestique, de l’abstraction, du symbolique… Il s’agit pour autant de production concrète. Eh oui, au sens où l’adjectif de qualification ne s’applique pas à la nature de ce qui est obtenu mais au fait qu’il y a effectivement de l’activité humaine à l’œuvre pour construire un quelque chose qui participe au commun. Une économie à ce service – qui ne fabriquerait donc pas d’exclus – devrait intégrer ces différentes facettes de nos contributions à la société comme effectivement partie prenante. On comprend bien qu’il y a là une proposition révolutionnaire puisque, pour commencer, il n’y aurait plus réellement d’actifs et d’inactifs. La réalité, la qualité ou l’utilité sociale d’une production, voire même son impact environnemental, ne serait pas identifiable et mesurable à ce qu’elle rapporte. Ce qu’elle rapporte : ce serait ça l’abstraction.
Pouvoir
En 1789 la classe bourgeoise, qui a mis quatre siècles à se constituer, fait sa révolution, en s’appuyant sur les forces en présence. Elle fait « sa » révolution parce que c’est « son » mode de production économique qui l’emporte sur le féodal en vigueur auparavant. Il y a changement de paradigme. Le pouvoir n’est plus aux héritiers dont l’activité principale, légale et légitime, est de perpétuer et enrichir le patrimoine familial en ponctionnant fortement sur l’activité des manants. Le pouvoir est aux entrepreneurs et indépendants qui, par leur activité ou le travail d’autrui, sont légitimes à s’enrichir. Le travail, pour les autres, est toujours ancré dans sa définition épistémologique de tri-pallium, engin de torture, contrainte nécessaire à la survie. La grande majorité du peuple n’est pas auteur. Elle contribue, bon an mal an. Et si elle ne contribue pas – soit disant – elle est « assistée » par la solidarité, à l’instar de la charité. Deux éléments vont changer la donne : l’augmentation générale du niveau des connaissances et le remplacement des humains par la machine pour les tâches les plus répétitives. Conséquence théorique : de l’espace pour « être auteur ». Pour autant la tendance est à la perpétuation du système en place.
Changer
Changer alors ne serait pas simplement gagner encore un peu de ce confort qui nous endort. Comme l’évoque Bernard Friot, tant que l’action syndicale vociférera : « de l’argent il y en a dans les poches du patronat », c’est que nous ne sommes pas prêts à nous mettre au travail pour sortir de l’impasse. En effet, il ne s’agit pas fondamentalement de piquer des sous dans les poches des nouveaux aristos mais de faire la proposition concrète de produire autrement. C’est une autre ambition :
prendre le pouvoir. C’est à dire reprendre possession de notre travail et de notre production concret(e/s). Comment ? Il s’agirait en premier lieu de changer de posture, se remettre à cultiver l’utopie : ne plus être sur la défense des conquêtes sociales mais sur la conquête de nouvelles bastilles. Bernard Friot a la conviction que cela passe par la reconnaissance d’un véritable statut du producteur : le droit à un salaire indépendant de la valeur marchande de sa production. Deux ouvrages sont alors sur le métier : la mise en place de l’autogestion pour permettre à tous d’être partie-prenante et la mise en place de caisses de solidarité pour distinguer reconnaissance du travail et vente de la production, vers un salaire à vie. Réseau salariat1 a déjà les mains dans le cambouis de cet avenir. Et un groupe vient de se constituer en Corrèze.