Tribune d’un collectif d’associations corréziennes et limousines refusées de subventions
Nos associations essayent de bâtir un monde fondé sur la solidarité. Elles visent à soutenir chaque individu, en particulier celles et ceux qui sont marginalisé·es ou discriminé·es. Elles œuvrent pour les femmes, les minorités de genre et les personnes racisées confrontées à une société dominée par le sexisme, contre l’homophobie et les violences racistes qui se déchaînent, pour les personnes handicapées face à un système validiste, et les personnes vulnérables dans une économie de concurrence. Nous travaillons à créer des réseaux d’entraide, à développer des liens étroits là où nous vivons et à lutter contre ces injustices sociales. Nous essayons de rendre réel et effectif un monde respectueux du vivant et plus juste, en créant des espaces pour se questionner et expérimenter des alternatives.
Concrètement, cela se traduit par l’implication de nos associations dans divers secteurs, en voici un échantillon : l’animation de lieux et d’espaces culturels, l’agriculture biologique, la cuisine végétarienne, la construction écologique, l’éducation, l’autonomisation technique, la recherche, l’art, l’information, la prévention et la sensibilisation contre les discriminations et les violences…
Ces activités ont en commun d’incarner une manière de prendre soin des un·es et des autres, là où nous vivons, contre un monde qui nous pousse à l’individualisme et à l’exploitation. Souvent, nous sommes la seule proposition locale d’un service public associatif qui répond à des besoins non satisfaits par l’État et l’économie.
Aujourd’hui, nous, associations limousines, souhaitons interpeller (les gens d’ici et d’ailleurs, les médias, les élu·es…) sur une situation sans précédent que nous vivons depuis quelques années : ces expériences associatives et solidaires sont empêchées par l’État lui-même, depuis le ministère de l’Intérieur jusqu’aux préfectures.
Voici quelques exemples de ce que nous subissons de la part de l’État aujourd’hui :
– Arrêt des subventions dès lors que l’association ou seulement l’un.e des membres sont identifié·es comme critiques des politiques publiques actuelles.
– Rupture de conventions de soutien pluriannuelles sans explication, sans préavis.
– Mesures administratives relevant de la police politique : alors que les commissions composées de la « société civile » valident les dossiers de subvention, que les fonctionnaires en font une instruction positive, les préfectures écartent les dossiers en se basant sur les rapports des renseignements territoriaux.
– Évocation d’une « liste noire » d’associations avec lesquelles il n’est plus envisageable de travailler et contre lesquelles s’abattent des mesures discriminatoires.
Cette situation affaiblit nos associations et les menace de disparition.
Ce que vivent nos associations s’inscrit dans un contexte plus global de répression qui a débuté avec les associations musulmanes, stigmatisées et considérées comme antirépublicaines. Ensuite, les associations solidaires des exilé·es, les associations antiracistes et antifascistes ont dû faire face au même racisme systémique auquel l’État prend part. Si cette politique répressive s’est tissée sur un temps long, elle s’accélère et se systématise depuis 2021 avec la mise en place du contrat d’engagement républicain (CER). L’Observatoire des libertés associatives le confirme via ses investigations en cours. Le CER est implicitement utilisé par les préfectures pour refuser l’octroi de subventions à certaines associations. Cette utilisation implicite rend très difficile les recours légaux. Pour autant, les réponses collectives émergent (lettres ouvertes de 66 associations bretonnes, organisation de journées d’échanges sur les atteintes aux libertés associatives, démarche de saisine du Haut Conseil à la vie associative, interpellation via les médias nationaux et locaux, etc.).
Ce que vivent les associations n’est pas sans lien avec les répressions dures des mouvements sociaux (loi travail et retraites, gilets jaunes, méga-bassines…), le harcèlement policier des habitants des quartiers populaires, la mise au pas ou au banc des fonctionnaires contestataires (infirmièr·es, pompièr·es, enseignant·es…). Donc, à l’instar d’autres secteurs et d’autres localités, nous subissons des violences étatiques qui visent à taire la critique des politiques actuelles, à casser nos systèmes de solidarité et nos moyens de subsistance. Ceci ayant des implications individuelles ravageuses.
Sans ce service public associatif, c’est toute une perspective écologique, sociale et égalitaire qui ne trouve plus à se vivre et qui laisse, par son absence grandissante, encore davantage de place au monde tel qu’il va, c’est-à-dire mal.
Au-delà de ces modalités d’organisation et d’action, ce « nous » des associations est également un « nous » habitant, animé par cette volonté de faire exister et perdurer des liens par-delà les tendances à la division et au repli. Ce que cette vivacité associative crée de relai et d’appui par des formes d’entraide et de protections collectives matérialise un commun essentiel là où nous habitons. Porter atteinte à cette ressource que nous construisons, entretenons et essaimons revient à porter atteinte à nos libertés collectives. Par extension, c’est une atteinte à la liberté d’agir et de penser, de s’exprimer, bref, aux libertés de chacun·e. Cette situation est l’affaire de tous et toutes.
Nous invitons le plus grand nombre à faire circuler cette tribune afin de dénoncer l’étouffement de la vitalité associative et démocratique – vitalité dont nous avons plus que jamais besoin.
Il s’agira aussi d’amplifier la force de nos liens de solidarité pour submerger la politique répressive actuelle et faire advenir un quotidien plus désirable.
Pour contacter le collectif, vous pouvez écrire à La Trousse corrézienne qui fera suivre vos courriers.
Par voie postale : 36 avenue Alsace Lorraine, 19000 Tulle
Par courriel : latroussecorrezienne@ilico.org (un seul L à ilico!)