Témoignages de Sainte-Soline
Cinq participants corréziens s’expriment, à froid, sur la manifestation du 25 mars 2023 dite de la mégabassine de Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres.
Nini – J’ai été très surprise, agréablement surprise par l’organisation, la base arrière, très claire sur la sécurité numérique, la protection contre toutes les formes de violences, la legal-team en cas de contrôle ou d’arrestation, tout ça faisait qu’on se sentait protégés. Et puis les intervenants, les tables rondes, les conférences de presse, ça faisait du bien, ça marchait, les gens s’écoutaient, les invités étaient pertinents, juste à leur place et ce n’était pas brouillon ! Avec l’avant, l’après, l’organisation tout ça… L’attention portée aux chocs psychologiques était inscrite même s’ils ont été un peu débordés, ils n’ont pas pu s’occuper de tout le monde… Il y avait la fête pour ceux qui voulaient…
Sur la manif : les jeux et les symboles-constructions avec des animaux permettaient de ne pas oublier la nature en danger. L’organisation était intelligente, on marchait doucement, beaucoup de monde était protégé et savait que ce n’était pas une rando ! Des masques étaient distribués… Je n’ai pas été étonnée par la masse des forces de l’ordre présente, mais choquée par le fait qu’on se fasse tirer dessus avant qu’on arrive ! Nous étions le cortège bleu, parti en dernier, la pause pique-nique a été impossible, ça a tiré, des gaz lacrymogènes partout et on n’a pas mangé…
Une manif de 30 000 personnes à gérer, de la part des organisateurs, je ne jugerai pas, après coup ; je ne m’y risquerai pas. Quelle stratégie maintenant ? Les forces de l’ordre seront toujours là, et on peut s’organiser, faire autre chose. Ils seront toujours là et nous aussi. Et il faut qu’on sache qui on est, ce qu’on veut faire et ce qu’on est capables de faire : tu veux aller au front, être derrière, détourner l’attention… il y a plein de possibilités.
Titi – Il m’a fallu une bonne semaine pour pouvoir me concentrer sur quoi que ce soit, un travail, une lecture, après l’événement de Sainte-Soline. J’avais déjà vécu des affrontements où la violence des forces d’un certain ordre était extrême, mais dans des dimensions beaucoup plus faibles. J’ai été comme halluciné par ce que j’ai expérimenté – je n’ai pas fait grand-chose d’autre que d’étouffer des lacrymos dans le champ. Ça m’a fait du bien d’être sur place avec mon corps, de faire face à ces individus prêts à la bataille contre la nature. Solidarité avec les blessés.
Nono – J’étais à Melle, où était implantée la base arrière qui a organisé et accueilli à la fois 10 000 personnes le week-end, stands et fête, et le retour des manifestants. Sur les cinq jours de montages divers, préparatifs, aide à l’inter-cantine puis démontages et nettoyages : nous n’avons pas chômé. Le samedi soir j’ai rencontré un presque éborgné et des personnes choquées, entendu des « retours d’expériences » sanglantes, traumatisantes… Mais je remarque autour de moi actuellement que, pour une personne physico-psychologiquement incapable de retourner en action – c’est le but de ce gouvernement –, c’est trois, quatre, cinq déclics presque audibles, rage et révolte, trois, quatre, cinq personnes nouvelles qui sont prêtes à participer aux prochaines manifs, des jeunes, des vieux, des familles avec enfants même !
Lulu – Ce qui m’a marquée, c’est la violence déployée, démesurée, alors que l’idée était de faire passer l’idée que l’eau est un bien commun, et qu’elle est accaparée par une toute petite minorité. Maintenant, je ressens de la colère ! Pour la première fois, elle est attisée, j’ai bien envie de m’engager encore plus ! Avec tous les moyens qui ont été déployés, on voit que c’est un enjeu majeur, mais ils avancent quand même. L’eau, c’est quelque chose de vital, on ne peut pas aller se cacher au fond des bois et laisser faire. À Notre-Dame-des-Landes il y a eu des actions très diverses, du sabotage, des actions coup de poing, des occupations et des recours juridiques ; c’est important de sensibiliser étant donné que les médias ont parlé uniquement de la violence… et faire connaître autour de nous, dans nos familles. Mais je ne sais pas comment transmettre ces idées autour de moi, c’est difficile, je n’ai pas beaucoup d’expérience de manifs et de luttes… Faut se préparer, aussi, avec des techniques telles que le théâtre-forum par exemple.
Juju – Les forces de l’ordre – et le gouvernement – ont voulu faire un carton ; il y avait le mouvement des retraites en même temps. Ils ont voulu briser une révolte, casser le plus possible pour en décourager le plus possible. Fabriquer des gueules cassées. La gestion des manifestations par la France a été retaclée par la communauté internationale, par l’Union européenne… Les chiffres sont là : 200 blessés, des dizaines d’hospitalisés et mutilés, les gens qui tombaient dans les fossés, les blessés allongés sur le bord des chemins dans les gaz lacrymogènes, quatre heures d’attente pour secourir certaines personnes… Les gens commencent à ouvrir les yeux, la goutte qui a fait déborder le vase, c’est la communication du gouvernement et les médias qui reprenaient tel quel, en parlant de 7 000 manifestants au lieu des 30 000 en réalité et 15 blessés alors qu’il y en a eu 200…
Propos recueillis par B. STRIMES