Sébastien. Un musicien !
Dans les brumes vaporeuses d’une idée de terrasse de café… on pouvait parfois rencontrer Sébastien. Sébastien Chadelaud. De Maison Chadelaud. Ou du conservatoire (avant). Ou de Backroom Ceremony (maintenant)… Ou de plein d’autres choses mêlées dans le grand chaos de l’univers.
Quand je monte la petite route gravillonneuse au guidon de ma vieille Guzzi, je ne sais pas encore à quoi m’attendre, je ne sais même pas si cette grande bâtisse au bout de ce chemin sans autre issue qu’un demi-tour potentiellement glissant est bien la sienne.
Je coupe le bicylindre et entends au loin – comme échappé du fond d’une galerie de mine à charbon soviétique – une voix rauque encore pas caféiné me signifier que je suis au bon endroit. Au bon endroit, à la bonne heure, même s’il s’avère que celle-ci ne paraît pas fondamentalement décente pour l’homme à la voix défaillante. Dans une sorte de compromis post-opératoire, Sébastien m’invite à rentrer dans son antre afin de résoudre son problème de réveil à grand coup de café serré. Commence alors une escapade dantesque dans l’univers oniriquo-musico-trascho-artistiquo-pop du musicien Chadelaud. Car Sébastien, c’est un musicien !
Devant le jus amer couleur d’ébène, évaporant ses fumées de deux tasses sises sur une petite table ronde, Sébastien se remémore ses vertes années, celles qui le voyaient enchaîner les petits boulots « de merde », mais de ceux qu’il considérait comme « sérieux ». Parce qu’intermittent « c’était pas le travail, pas le vrai… ». Sébastien fait déjà de la musique, depuis toujours. Mais « jamais, avant, je disais que j’étais musicien […]. Pour moi, c’était de la putasserie […]. Je prenais le travail au sérieux et ce n’était pas faire de la musique… Si on me disait que je devais me faire payer pour ça, à l’époque – faire des baloches par exemple – je me serais senti sali. » Et puis le milieu lui paraissait compliqué ; être intermittent il fallait avoir un réseau, connaître les interstices… « Maintenant j’ai quarante-quatre balais et je ne vois pas du tout les choses pareil, j’en avais ras-le-bol, je me suis épuisé au travail tranquillement, je n’avais pas vraiment le temps de faire ma musique. » Il lui faudra quelques années encore avant de franchir le Rubicon et accepter sa vraie nature.
Parce que Tulle vaut bien…
Les sept collines de Tulle engloutissent notre artiste en 2013. Avant ça ? De la musique et encore de la musique… mais amateur bien sûr. Du côté de Limoges. Mais déjà des liens avec l’asso tulliste Elizabeth my Dear. Presque vingt ans qu’il joue régulièrement au Barathon avec ses différents groupes.
C’est un travail « sérieux » qui le replace définitivement au centre de l’échiquier corrézien : prof de guitare au conservatoire de Tulle. Pendant les trois premières années il n’a plus le temps de faire de la musique pour lui. Il faut élever l’élite musicale locale au rang de dignitaire en conserve… en plus de cumuler divers autres boulots (une chorale, animer des ateliers avec les scolaires et pendant les vacances, etc.) pour se sortir d’une situation financière compliquée.
En 2014, cependant, il se lance dans l’aventure des Diamants éternels où la folie se mélange à la poésie sous acides.
Entre deux va-et-vient au fond de sa cuisine pour aller remplir la cafetière, Sébastien me parle d’un autre moment de transition, en 2018. Un de ces moments où il se dit : « Essayons autre chose ». La compagnie de théâtre La Sœur de Shakespeare l’embauche comme musicien. Il joue ses créations en direct sur le plateau de Rester dans la course, une auto-fiction de Maryline Lagrafeuil. « C’est un peu grâce à elle que je suis finalement devenu intermittent. Je me suis dis que, finalement, c’était possible. »
En mai 2020, il jette son âme et sa rage pop dans les dédales de l’intermittence du spectacle… en plein confinement. « Là, c’est la gélatine. Tu te dis « bon on va attendre » et en fait il ne faut pas. » Alors il n’attend pas et en moins d’un an, il a toutes ses heures. « J’étais remonté comme un coucou, j’avais plein de projets. »
Notamment une nuit « trouble » organisée avec Elizabeth My Dear « Tu sais la soirée LGBT cul… […] C’était génial, j’en aurais pleuré. Pour cette soirée, ils m’avaient laissé carte blanche. J’avais déjà vu, lors d’un festival rock où il y avait des performances, une strip-teaseuse rock’n’roll, des cracheurs de feu… en plus des concerts. J’en ai pris plein les yeux… Une strip-teaseuse qui te fait des contorsions pas possible avec son look de vieille punk… j’ai adoré !, du coup j’ai eu envie d’une soirée avec des images fortes, bon… dans un esprit trash et sexy. Avec, notamment Jean-Louis Costes.» Quand il me parle de ça, il jubile : « C’était vachement intéressant à organiser. Avec un côté inédit dans une ville comme Tulle. Même dans les plus grandes villes il n’y a pas quatre-cents personnes dans ce genre de soirée. Une putain de grosse soirée. »
Après un énième café-clopes notre bowiesque fredonneur me narre ses nouvelles recherches du Graal sonore : d’abord, Backroom Ceremony, solitaire variation d’une électro-pop cadencée à grand coup de séquenceur et de basse synthétique. « J’ai dit à Elisabeth [my Dear], programme-moi au prochain Non-Noël¹… et en un mois j’ai créé un répertoire électro-pop. C’est idéal pour faire danser. » Backroom Ceremony nait le 28 décembre 2019. « Au début c’était : je veux faire très vite. Je veux faire un truc qui danse. Un truc seul avec des machines. Un peu une continuité de Diamants Éternels. Le premier concert était super. Maintenant je travaille avec un sonorisateur. Je ne pouvais pas tout faire tout seul et en plus c’est bien de se déplacer à deux… même simplement pour boire l’apéro… […] Depuis il y a le Covid… J’ai pu refaire des concerts l’été dernier grâce à la filière « courte » mise en place par Des lendemains qui chantent pour aller jouer dans les jardins des particuliers. Notamment avec Gilles Puyfages, avec qui j’ai un projet, Tulle Paillette Club. L’idée maintenant avec Backroom, c’est : je fais l’album et je fais un show. »
Me reviennent en mémoire, des images de la dernière apparition de cette Cérémonie en coulisse. C’était au Battement d’Ailes, en septembre 2020. Un être éphémère qui se démène derrière sa machinerie stridulante. Qui donne tout ce qu’il a, à tout ce que le monde a de mieux ou de pire, pourvu que l’on ait du son, de la danse et de la sueur.
Mais au fait, qu’est-ce que Tulle Paillette club ? « Une commande de l’ancienne équipe des Nuits de Nacre. On a joué la première à la guinguette de l’asso CVE. » Un set de reprises de chansons indy pop, pop-rock, classic-rock également « à l’accordéon, gratte folk et chant. Même Gilles chante du Police, c’est génial. Ce mec a une oreille de fou et une humilité… peut-être trop pour pouvoir dire non à qui que ce soit (rire). […] C’est un groupe de reprises, donc. On s’est bien entendu musicalement. On s’est compris tout de suite. On peut s’amuser avec les reprises. » Malgré cette période particulière, Sébastien n’a donc pas arrêté de faire des concerts cet été, avec, également, l’album du PDG du Vladkistan, Vlad: la préparation, le travail d’arrangement et d’enregistrement. « C’est pas forcément une musique que j’écoute mais j’adore ce gars », plus le duo avec Laure (de San Salvador) pour jouer devant les EHPADs, l’année a été très dense.
Une maison mère
Sébastien a maintenant envie de faire un truc plus gros, plus collectif, plus pop et plus symphonique… « mais là, j’essaie de développer le « produit » Backroom. C’est horrible… Ce vocabulaire d’accompagnement de projet musical… comment tout ça est calculé par rapport à une industrie de la musique, ça me fait chier. Tu participes à un processus… » – Avec Backroom, il est vainqueur d’un tremplin organisé par l’Antenne, association limougeaude qui lui a permis de bénéficier d’une enveloppe de 4 000 € pour faire « progresser » son projet. « Le modèle économique de la musique c’est l’album, faire une tournée en lien, etc. C’est comme ça qu’on t’apprend les choses. C’est d’ailleurs ce que je vais faire avec Backroom. Conception peut-être plus ancienne qu’on tient du rock, de ma génération, où on écoute l’album de A à Z, où on critique l’album. » Alors il y a Maison Chadelaud : « pour moi c’est un fourre-tout ; c’est plusieurs pages Internet que je vais nourrir. Si j’ai une chanson, je l’enregistre et je la mets avec une vidéo. » Son premier morceau, Somebody new est une œuvre tout en délicatesse, en ombre inversée, de celle qui nous ramène à nos énergies les plus belles et pourtant les plus chaotiques et nostalgiques. Une œuvre sombre et chaude qui nous téléporte tous sur nos planètes respectives.
« Ce sera un peu la maison mère, « la grande maison ». Je pense même faire chanter un copain sur un titre. […] Un truc Do it yourself. Même si le prochain, c’est Johan Gavlosky qui va faire le clip [réalisateur du clip de présentation de La Trousse corrézienne], le morceau sera plus joyeux. »
C’est sur sa petite Bose que Sébastien me fait écouter l’un de ses futurs titres. Un mélange disco-pop léger et entraînant qui vous transporte directement sur une piste de danse rétro avec ses paillettes qui collent au col… C’est sûr, Seb, c’est bien.
Pluton 427
1 Fête de Non-Noël, organisé par Elizabeth My Dear