RAPHAËLLE, PAYSANNE la passion d’un métier, la joie du beau et du bon

Le domaine du Mons, Vitrac-sur-Montane, limite sud du PNR du plateau de Millevaches, royaume de l’herbe et de l’élevage. Terres froides et pauvres : on renouvelle en les semant les prairies mécanisables, on peste contre les bas-fonds humides qu’on ne pourra pas travailler et on construit des bâtiments cathédrales pour abriter les troupeaux. Raphaëlle appartient à la race des paysans décalés qui, avec l’apprentissage continu du savoir-faire, adaptent leurs pratiques à la raideur de la nature et produisent du beau et du bon, pour leurs bêtes, l’environnement et nous.

Valoriser les milieux naturels et leur diversité

Lorsqu’on arrive chez elle à Vitrac en empruntant une large allée, on arrive sur un parc clos par des murets, marqué en coin d’une bâtisse ancienne, solide, plantée, présente. Peu de marques visibles de l’activité habituelle d’une ferme : pas de bâtiments agricoles, pas de tracteur dans la cour.
L’activité c’est d’abord Raphaëlle. Son choix, sa volonté c’est d’élever des bovins et des ovins pour vendre de la viande. Pour elle « son métier c’est de bien nourrir et bien abreuver les animaux dans de bonnes conditions du point de vue animal et fournir de la viande de très bonne qualité gustative et de très bonne qualité environnementale, c’est-à-dire qui a peu utilisé d’énergie fossile ».
Raphaëlle affirme haut et fort, que son métier, c’est en premier ses animaux, et non les machines. Sa joie c’est de voir ses animaux et l’herbe pousser sur les quarante-deux hectares de prairies naturelles. Les images d’elle, c’est dans les prés, avec les animaux, mais pas sur le tracteur qu’elle utilise le moins possible.

Élevage de plein air intégral

Les animaux sont dehors toute l’année. Mais alors est-ce sympathique de leur point de vue ? Pour Raphaëlle oui, sans aucune hésitation. Les animaux ont de l’espace, les mères ont la liberté de s’écarter pour mettre bas, voire pour une de ses vaches de choisir de sauter la clôture pour faire son veau, cachée dans la forêt.
Mais attention, hein, elles ne sont pas bêtes, les bêtes, « en extérieur, l’animal apprend à se placer par rapport au vent, à la pluie, sait utiliser les éléments naturels des buissons et des arbres pour s’abriter, se mettre à l’ombre et à l’abri, est capable de développer au fil des saisons un pelage de protection, augmenter ou diminuer son rythme métabolique, stocker et déstocker de la graisse pour passer l’hiver ». Il faut s’assurer que les animaux aient toujours, surtout en cas de forte chaleur ou pluie, un endroit sec et abrité, ce qui est possible en gardant les arbres, les bosquets, les lisières, bref en conservant les infrastructures écologiques existantes qui participent au maintien de la biodiversité. Pas mal non ?
Les animaux sont nourris exclusivement à l’herbe, « parce que cultiver des céréales, c’est nécessairement consommer des énergies fossiles. Et de mon point de vue ce n’est pas une réponse aux enjeux actuels ». Et c’est là que cela se complique car il faut apprendre à « gérer » l’herbe. Premier choix, caler les mises bas (naissances des veaux et des agneaux) au moment de la meilleure pousse de l’herbe, c’est-à-dire au printemps. Les brebis agnellent en général fin mars et avril, les vaches vêlent entre avril et juin.

Savoir en permanence lire l’herbe et les animaux

Reconnaître celles qui poussent tôt ou tard, qui restent vertes longtemps, la qualité de l’herbe de sous bois, savoir ne pas épuiser la ressource herbagère pour qu’elle puisse repousser et pâtir le moins possible de la sécheresse possible. Elle peut expliquer longtemps l’intérêt de pâturer sur des petites surfaces, comment changer tous les deux ou trois jours les animaux de parcelles lui coûte moins en temps et en argent que de les laisser trois semaines sur une grande surface.
Discuter avec Raphaëlle c’est échanger sur où les animaux vont aller pâturer, comment s’organiser pour qu’elles mangent le moins de foin possible et ne pas remettre en cause les deux principes de base : les vaches et les moutons sont herbivores et l’herbe pâturée est l’aliment le moins coûteux. Comme dit André Pochon « la vache a une barre de coupe à l’avant pour manger l’herbe, et un épandeur à fumier à l’arrière pour la fertiliser ! » Que demander de mieux ?
L’œil est formé aussi au troupeau et à l’animal : qui est la meneuse, qui est la dominante, qui la première saute la clôture et va voir ailleurs si l’herbe ne serait pas plus verte, et me fait courir ensuite pour récupérer tout le monde ? Qui nourrit très bien ses veaux, y a-t-il une souffrance particulière ? Et c’est apprendre à déplacer seule, sur plusieurs kilomètres les troupeaux avec le chien, le meilleur outil de l’éleveur.

Un perpétuel apprentissage pour une adaptation continue

Produire du beau et du bon, pour ses bêtes, l’environnement et nous c’est un objectif et des choix explicites comme utiliser le moins d’énergie fossile possible et donc se poser régulièrement la question : comment je peux éviter le tracteur (avant de le prendre), comment faire pour avoir le moins de charges possibles ?
Une nécessité : savoir s’adapter à l’environnement « voilà, la météo, ça fait partie de mon métier, c’est une donnée, et moi, ben je m’y adapte ». Ainsi, « pendant les étés secs précédents, tout le monde amenait du foin ! Moi, je voulais pas. D’abord, comme je tourne sur des petites parcelles, la pousse est décalée, et j’ai eu de l’herbe plus longtemps. Ensuite ? j’ai donné des feuillages de saule. D’accord cela me prenait une heure de tronçonneuse par matin, mais les animaux étaient contents, et après, j’ai déchiqueté les branches pour me chauffer. »
Un impératif : apprendre « comment ça marche » pour savoir comment faire, donc se former. Ethologie « les animaux mangent, ni indifféremment tout ce qui se présente, ni le « meilleur » d’abord et le «moins bon »
ensuite. Ils ne privilégient pas forcément les plantes de meilleure valeur nutritive et peuvent démarrer une parcelle en choisissant d’abord des broussailles ou des herbes grossières. Ils sont avant tout amateurs de biodiversité alimentaire », mais aussi gestion de l’herbe, conduite des milieux diversifiés, conduite des chiens de troupeaux, échanger, rester curieux, en alerte, l’œil et l’oreille ouverts, et encore et encore se poser des questions sur le comment.

ET POUR NOUS ?

La ferme, certifiée agriculture biologique, c’est actuellement sept vaches de race Gasconne, Aubrac, Salers, Tarentaise croisée, Vosgienne, Charolaise croisée, Salers croisée, un taureau Angus, pour de la vente de bovins de plus de trois ans et une cinquantaine de brebis avec une vente d’agneaux entre six et quinze mois. Le tout nourri en s’appuyant sur la diversité de la ferme : les prairies naturelles et trente hectares de bois qui servent aussi pour l’élevage.
Deux périodes de ventes : juin et novembre juste avant que les ressources en herbe diminuent par le froid ou le chaud .
Des périodes de vacances pour Raphaëlle, parce que c’est bien d’aller voir ailleurs.
Vendre en direct pour avoir des retours directs des consommateurs, expliquer précisément ce qu’on fait (http://www.domainedumons.com/), choisir des races qui vont donner du gras persillé, imposer 15 jours en frigo pour les bovins, apprendre l’art de la découpe pour être la meilleure possible.

Raphaëlle est passionnée par ce métier complexe, dur souvent mais réjouissant. Son moteur c’est de réfléchir aux impacts écologiques et sociaux de ses actes, c’est une fervente opposée au « je ne peux pas faire autrement alors tant pis », et adhérente du « attends je cherche ».

Pour les consommateurs que nous sommes, elle affirme que c’est pareil, développer une culture de la compréhension et de l’impact est une nécessité.

Par Marie-Laure Petit