Quand la procureure de Tulle se prend pour une déesse
Demeter, c’est le joli nom qu’ont trouvé l’inénarrable ministre de l’agriculture et son homologue Castaner pour appeler leur police de défense de la FNSEA, depuis que des esprits mal tournés avaient imaginé que certains agriculteurs drogués par Monsanto auraient épandu sur leurs terres des produits chimiques nuisibles à la santé. De manière plus générale, depuis que certains estimaient que l’agriculture industrielle n’était pas toujours très respectable.
La FNSEA protesta de la bonne foi des empoisonneurs et s’émut d’un tel agro-bashing. Ainsi n’acquit la cellule Demeter de la gendarmerie, en décembre 2019.
Laissons parler Castaner: « Depuis quelques années, un phénomène grandit, inacceptable. De plus en plus, nos agriculteurs sont visés par des intimidations, des dégradations, des insultes. Des individus s’introduisent dans leurs exploitations agricoles et les bloquent. Ils font des films aux commentaires orduriers, avant de jeter les exploitants en pâture sur les réseaux sociaux. Parfois même, les intrus dégradent, cassent et volent. Cette cellule est un signal fort envoyé aux agriculteurs : les forces de l’ordre se tiennent à leur côté et sont là pour les aider […], la création de la cellule est également une étape dans un plan plus vaste encore pour la sécurité du monde agricole. Ainsi, par la signature d’une convention entre le ministère de l’Intérieur, la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs. »
la cellule Demeter précise ses attributions, notamment elle « englobe la prévention et le suivi […] des actions de nature idéologique, qu’il s’agisse de simples actions symboliques de dénigrement du milieu agricole ou d’actions dures ayant des répercussions matérielles ou physiques ». C’est donc une police de l’idéologie, mais pas n’importe laquelle ! Celle qui pourrait critiquer les industriels de l’agriculture. C’est donc une police explicitement pro-capitaliste, la première qui dit vraiment sa fonction.
Afin de rappeler à ses agriculteurs intoxiqués par leurs pesticides les bonnes vieilles valeurs de la collaboration, une convention tripartite FNSEA/Jeunes Agriculteurs/flics a été signée : « Elle est destinée à instaurer un échange réciproque et régulier avec la profession, généraliser les dispositifs de prévention technique de la malveillance (diagnostics de sûreté des exploitations), à prioriser l’intervention au profit des agriculteurs confrontés à des infractions violentes. »¹
Appliqué en Corrèze, cela donne une pure et simple attaque au droit d’expression des associations et de la presse, complice semble-t-il du délit. Le communiqué – ci-après – donne tous les détails. Même nos serristes préférés d’Égletons pourtant rapides à s’agacer (cf. La Trousse N°27) n’avaient pas osé porter plainte pour une simple conférence de presse, qu’ils avaient d’ailleurs fort pertinemment autorisée sur leurs terres.
Se prenant pour la déesse de la terre Demeter, et certainement avide de promotion, la zélée et servile procureure de Tulle s’est portée au secours du bon droit. Être déesse d’un jour, cela ne se refuse pas.
Communiqué
L’intimidation des associations environnementales, nouvelle arme de l’État pour la défense des intérêts de l’agro-business ?
par sources et rivières du limousin (srl)¹
Alors que le renforcement de la sanction des atteintes à l’environnement se fait toujours attendre, la gendarmerie d’Égletons semble plus occupée à traquer la liberté d’expression quand elle s’en prend aux intérêts de l’agro-business… C’est la désagréable impression que l’association Sources et Rivières du Limousin a ressentie aux premiers jours du déconfinement.
Le juriste et porte-parole de Sources et Rivières du Limousin a en effet reçu la visite, à son domicile, de la gendarmerie nationale, un samedi de déconfinement. Il est convoqué dans les semaines qui viennent pour être entendu dans une enquête le concernant (et ne concernant que lui), diligentée par Madame la Procureure de Tulle.
Les faits ? Avoir répondu en janvier 2020 à une interview de France 3 Nouvelle-Aquitaine, pour dénoncer la destruction de cinq hectares de zones humides dans le cadre de la construction des serres industrielles à tomates hors sol d’Égletons en Corrèze !
L’enquête concerne une prétendue violation de domicile, pour avoir mis les pieds sur une partie de la zone de remblai. Les images diffusées sur France télévision le 16 janvier montrent pourtant bien notre porte-parole en dehors du site clôturé des serres industrielles, et en présence de deux journalistes autorisés par le propriétaire à faire leur travail : https://frama.link/McmJTtGx.
Même si juridiquement une propriété privée agricole non clôturée ne constitue pas un domicile ; même si juridiquement le fait de pénétrer sur ce terrain naturel remblayé n’est ni interdit, ni sanctionnable ; et quand bien même les propriétaires, industriels de la tomate, n’ont jamais porté plainte (et interrogés par les gendarmes ne souhaitent pas le faire), la gendarmerie d’Égletons a jugé bon d’alerter Madame la Procureure qui a elle-même jugé bon d’ordonner immédiatement une enquête !
Les associations de protection de la nature agréées victimes directes de Demeter ?
C’est qu’entre-temps l’État s’est engagé, par la voix de son ministre de l’Intérieur, à faire cesser tout
agri-bashing à l’encontre du monde agricole, par la constitution de cellules de gendarmerie dédiées, nommées Demeter (situation dénoncée par SRL). Et le chantier des serres à tomates est un site sensible en Corrèze (sans doute même le seul d’ailleurs) qui mérite toute l’attention des gendarmes : projet très controversé, il a été victime une nuit de juin 2019 de l’incendie de plusieurs engins de chantier au démarrage des travaux.
La nouvelle règle semble donc simple : vous critiquez publiquement un projet agro-industriel sensible ?
La procureure de Tulle et la gendarmerie d’Égletons ouvrent une enquête ! Peu importe que le dossier ne puisse évidemment pas aller plus loin. Le principal est de faire passer le message : entre l’atteinte à l’honneur et le fichage automatique, l’intimidation fonctionnera…
SRL, qui a écrit en ce sens à Madame la Procureure de la République et au ministère de la Justice, demande à l’État de consacrer son énergie dans la poursuite et la sanction des atteintes avérées à l’environnement (pollution des cours d’eau par pesticides, destructions de zones humides, recalibrages de cours d’eau, destruction d’espèces et d’habitats, abandon et brûlage de déchets agricoles, etc.), plutôt que de faire perdre leur temps et leur honneur aux associations de défense de l’intérêt général environnemental, à leurs juristes et porte-parole.
1 – contact@sources-rivieres.org ; www.sources-rivieres.org