Les Pierres

Venues du fond des temps. On les apercevait quand on atteignait la lisière des bois, sur les hauteurs du Monjanel1, et que l’on surplombait la combe profonde où roulait le torrent du Deiro2 et sa formidable cascade.

Elles avaient été conservées au beau milieu du Grand-Champ où courait un ruisseau impétueux, interrompu à mi-pente par une mare non bâtie. Ce cours d’eau naissait dans une zone humide, avec une petite tourbière haute active couronnée de molinies bleues, et les habitants de la villa, sur l’épaule du Puy de la Tourte avaient édifiés, de moellons de pierre et de briques rouges, une fontaine et un grand lavoir.

Ces deux grandes pierres levées, très massives, à la silhouette humaine, indiquaient, depuis toujours, la présence d’un habitat. On les appelait menhirs, peiraguda, peiraquilhada, peira fada, peirafite, pierrefite, peyrelevada3, selon l’époque et le caprice des lettrés.
Aujourd’hui, je comprends parfaitement qu’elles indiquaient là-haut, à deux cent mètres, la villa gallo-romaine de deux niveaux, plutôt cossue, couverte de larges tuiles d’argile orange.

L’une d’elles est ici désormais, à cinquante mètres de notre maison en bord de forêt. Nous l’avons extraite des ronces et de l’oubli.
Nous l’avons remise debout, quilhée, là, à quelques encâblures de l’emplacement supposé d’un menhir, dont parlaient les bergères gardant leurs moutons dans les landes de bruyères, il y a très, très longtemps. (L’un de nos témoins visuels aurait aujourd’hui 130 ans !).

Je ne doute pas un instant que le tellurisme local lui sera profitable, et que, sentinelle infatigable, elle harmonisera longtemps, secrètement, le temps, l’espace, les hommes, les animaux et toutes les forces de ce lieu…
Je crois savoir que la deuxième a été transportée au village du Monjanel. J’espère qu’on l’a quilhée, et qu’ainsi, sagement, le témoin ancestral de la grande Mère, veille sur l’harmonie des lieux.

1. Mon(t)janel : la montagne de Janus, Jupiter. Visible de la villa.
2. Deiro : des rochers, le bien nommé. À voir absolument.
3. Quilhada : dressée / Aguda : aiguë/ Fada ou fite : des fées/ Levada : levée

Par DANIEL SOULARUE