Parents, un schnaps pour oublier nos incohérences
Je la regarde, ma fille, du haut de sa petite adolescence, qui perfore déjà la vie avec un sens aigu – et parfois aigre – de la responsabilité qu’on lui refile perfidement, lâchement… Je la regarde et parfois j’ai mal. J’ai mal comme un père qui fossilise tranquillement tandis qu’elle commence à percevoir le monde tel qu’il peut être dans sa médiocrité la plus crasse.
Je le regarde, mon fils, du haut de son enfance en fin de dégrossissement, qui ne perçoit pas toujours la morosité que ce monde masqué lui assène depuis un an, qui ne perçoit pas l’origine des putains de phobies scolaires qui entravent son corps encore léger, tellement aérien mais tellement lesté au bout du bout !
Je les regarde et je reprends une rasade de schnaps, d’eau-de-vie, de gnôle ou de rhum arrangé. Je n’ai plus que ça à faire… Regarder mes erreurs, mes errements bien en face. Je devrais me lever, je devrais faire une descente dans leurs écoles avilissantes et je devrais arracher les masques de leurs visages acnéiques et juvéniles.
Je devrais lui dire, à ma fille, que le coup de boule géant qu’elle décoche à cette vie qui l’épuise déjà, sera salvateur. Qu’elle peut hurler, chanter, danser, rire ; que son innocence pourra toujours se raccrocher aux branches des utopies qui naissent dans les huiles d’après commotions. Je devrais lui enseigner à ne pas avoir peur, ne pas avoir peur de la mort, des mors qui la tirent en arrière…
Je devrais lui dire à mon fils, qu’il est libre, qu’il est beau comme sont beaux les êtres de l’oisiveté ; que la monstruosité qui se glisse dans son ventre chaque matin, quand les oiseaux, eux-mêmes, se taisent dans le respect des condamnés à michetonner pour la société des ombres à cols blancs ; que cette monstruosité n’existe que s’il lui donne forme, que je peux l’aider à arracher ce masque qui dissimule la vie pour le remplacer par un menpo surmonté de son kabuto, afin de mieux le protéger et de libérer le samouraï qui est en lui.
Mais je reste las… Rageur mais inoffensif, critique mais mou comme un gland pourri ; je reste assis sur mon cul flasque et je lève mon verre à tous les parents qui font ce qu’ils peuvent et qui regardent leurs enfants rire de moins en moins…
Pluton 427