Maguy Cisterne, fée du cinéma

À Brive, depuis une vingtaine d’années, tous les ans au mois d’avril, ont lieu les Rencontres internationales du moyen métrage. Cinq jours de fête, de karaoké, de ciné-concert, de rencontres, un des rares endroits où l’on peut voir des films qui ne sont pas fabriqués par le système et qui ne le servent pas. Des films originaux, surprenants, hors norme qui ne sont pas au service de l’esthétique capitaliste. Ce format permet de saisir la qualité d’un auteur, sans l’économie castratrice du long métrage. La diversité des formes règne toujours à Brive grâce à la baguette magique de Maguy Cisterne.

Vivre son rêve

Maguy Cisterne estnée à la frontière du Lot et de la Corrèze puis fut scolarisée à Argentat-sur-Dordogne. Son bac en poche, elle part pour Paris vivre son rêve : devenir attachée de presse.
Dans les années 1970, ce métier est encore flou ; aujourd’hui, une attachée de presse est toujours la porte-parole auprès des médias (TV, presse écrite, radio et bien sûr presse en ligne), mais elle travaille en étroite collaboration avec le service communication, notamment le community manager, ou les réseaux sociaux. Le service de communication cible les interlocuteurs en fonction de la nature des informations à diffuser. C’est un métier qui n’a pas bonne réputation, et pourtant… S’il peut servir le patronat pour vendre toujours plus, pourquoi ne pourrait-il pas atteindre des buts plus nobles ?
Maguy travaille pour différentes sociétés, à Orléans, puis à l’Île de la Réunion. Guy, son mari, va l’accompagner, l’encourager et s’adapter pour épauler la carrière de sa femme. Le couple revient en France dans les années 1990 et s’installe à Brive avec leurs enfants pour retrouver leurs racines familiales.

Quelles étaient les particularités culturelles de la Corrèze ?

Il y avait bien la Foire du livre, mais au quotidien, la vie culturelle à Brive tournait un peu au ralenti. Le couple se rapproche d’un petit îlot réuni autour du cinéma Rex et du centre culturel. En parallèle, des lycéens de la section cinéma du lycée d’Arsonval deviennent réalisateurs, et adhérent à la SRF1, ils y apprennent qu’il n’existe pas de festival de moyens métrages. L’idée de créer un festival de cinéma fait son chemin. Maguy et les jeunes réalisateurs, amis de ses enfants eux-mêmes cinéastes, vont créer en 2004 les Rencontres du moyen métrage de Brive.
Un festival de cinéma a pour objectif de faire découvrir la production actuelle et de rendre hommage aux films du passé. Il n’existait pas de festival de moyensmétrage, ni de lieu pour les voir. Maguy met au service de la cause son expérience et va nous rendre accessibles ces œuvres inconnues, hors norme, des tomates non calibrées.

En quoi le moyen métrage est-il un rempart ?

C’est un bastion qui n’est pas encore attaqué par la société marchande, on y trouve des œuvres ambitieuses, originales, variées. La diversité y est encore préservée. Quelle est la différence entre un court et un moyen métrage ? La durée. Jusqu’à 30 minutes (mn) pour les premiers et de 30 à 60 mn pour les seconds. La durée influe nécessairement sur le type de narration, une histoire racontée en 20 mn n’a pas la même structure qu’un récit de 40 mn. Pour les jeunes réalisateurs fraîchement sortis d’Arsonval, le but était de créer un festival innovant. Pour Maguy, c’était montrer des films invisibles et faire découvrir à tous de nouveaux talents. Les Rencontres sont devenues un tremplin pour les jeunes réalisateurs.
« On ne peut pas réussir un moyen métrage par hasard. Il faut être capable de développer un récit pendant 30 à 50 minutes », dit-elle, convaincue. Le festival a montré et encouragé les premiers films de nombreux jeunes réalisateurs maintenant reconnus, comme Justine Triet, palme d’or 2023, qui a reçu plus de 90 récompenses pour son quatrième long métrage, Anatomie d’une chute, dont un oscar et un Golden Globe du scénario co-écrit avec Arthur Harari, son compagnon. C’est au festival de Brive qu’ils se sont rencontrés. « C’est là qu’ils ont commencé », aiment-ils à rappeler. Les deux étaient lauréats cette année-là et ne se sont plus quittés. Beaucoup de couples se forment à ces fameuses Rencontres. L’atmosphère joyeuse, conviviale, festive permet de créer des liens amoureux, amicaux, professionnels.
Nous sommes loin de la pyramide des humiliations construites dans des festivals plus connus. La discrétion fait le charme de ces Rencontres. Leur élégance aussi, environ une centaine d’invités par édition et autour de 8000 entrées, la majorité des spectateurs étant des environs. Les entrées sont gratuites pour les lycéens d’Arsonval comme pour la plupart des jeunes présents, Maguy y tient. « Tous nous devons avoir accès aux œuvres. » Sur les 500 films envoyés par des productions du monde entier, l’équipe de sélection a bien du mal à en choisir seulement une vingtaine pour la compétition.

Pourquoi encore et toujours une compétition ?

Pour Maguy, c’est une vraie question. C’est un dilemme en suspens. À Cannes, le festival de la Quinzaine des Réalisateurs, le cousin, puisque lui aussi créé par la SRF, n’a pas de compétition. Fondamentalement, Maguy est contre la compétition dans le domaine de la culture, mais par exemple le prix du public implique les spectateurs, invite à un regard critique. De même pour le jury jeune, c’est une émulation, une formation en soi, un apprentissage.
Pour l’instant, à Brive, de nombreux prix récompensent un maximum de films. Les prix sont modestes, mais permettent à ces films d’être diffusés sur des chaînes nationales. Ces Rencontres sont le seul festival classé A en région Nouvelle Aquitaine. Être sélectionné à Brive donne des droits et des aides à la production pour les films suivants. Être sélectionné à Brive est donc plus important qu’un prix. D’ailleurs, comment départager deux œuvres que l’on apprécie ? Cela paraît arbitraire. Les Rencontres pourraient ne conserver que deux prix, celui du public et du jury jeune.

L’avenir

Les délégués du festival changent, mais Maguy reste, pilier indéfectible d’un événement hors norme, hors système, anarchique au sens noble du terme. Plusieurs personnes assemblées, sans coercition, aident à donner vie aux rêves des jeunes apprentis cinéastes du monde entier. Malgré les difficultés à trouver chaque année les financements pour un événement aussi original, à la portée de tous, avec un ticket d’entrée modeste, et beaucoup de possibilités d’entrée gratuite – Maguy y tient – le festival a lieu contre vents et covids, et s’adapte aux circonstances. La 22e édition se prépare comme toujours avec passion depuis avril dernier. L’équipe nous prépare un bel ensemble de films du patrimoine, des films contemporains, du cinéma international et des tables rondes sur les sujets d’actualités sociales et politiques.

Devenue grand-mère, Maguy a pris sa retraite et poursuit son œuvre : reconstruire des identités culturelles sur un territoire en permettant l’accès des œuvres à tous. Ce combat est mené avec les outils de la communication, la baguette magique de Maguy.

  1. Société des réalisateurs de films, fondée en juin 1968

Par DIANE BARATIER