L’empreinte laisse des traces
La première saison de l’Empreinte, la scène nationale née en avril 2018 du rapprochement des théâtres de Tulle et de Brive, s’achève, avec un bilan humain qui interroge. Une véritable hémorragie du personnel du site de Brive !
Interpellée par un communiqué du collectif culture 19, la Trousse est allée à la rencontre de ces actuels et/ou anciens employés de l’Empreinte.
Il y a quelques années, cohabitaient sur le territoire deux scènes conventionnées : l’une à Tulle, les Sept Collines, association qui œuvrait depuis 1999, et l’autre à Brive, les Treize Arches, Établissement Public de Coopération Culturelle (EPCC), depuis 2011. Un projet de rapprochement voit le jour en 2015, qui aboutit au recrutement du nouveau directeur, Nicolas Blanc, en avril 2017, pour le conduire. Le choix avait été fait de recruter une personne ne venant ni de Tulle, ni de Brive. Ainsi, Nathalie Besançon, qui était alors directrice par intérim des Sept Collines, avait été recalée. Elle est pourtant aujourd’hui la directrice adjointe de l’Empreinte.
Le collectif Culture 19
Ce collectif est composé d’une grosse dizaine d’anciens ou d’actuels salariés, pour faire connaître la situation et interpeller les élus. Il s’est constitué en réaction aux propos de Frédéric Soulier, maire de Brive, lors du conseil municipal du 27 mars 2019. Madame Kasseri, élue de l’opposition, interpelle alors le maire sur la situation à l’Empreinte : « Pourquoi autant de personnel du théâtre est amené à en partir ? » La réponse met le feu aux poudres : sans expliquer quoi que ce soit et après avoir affirmé que le climat est apaisé, il ajoute : « J’ai d’ailleurs félicité Nicolas Blanc, avec sa directrice adjointe Nathalie Besançon, pour leur capacité, vraiment, à avoir porté ce projet sur des bases juridiques, techniques, financières et humaines. »
État des lieux
Au moment de l’arrivée de Nicolas Blanc, les Treize Arches comptaient dix-sept employés. La plupart étaient présents depuis l’origine. En juin 2019, il reste sept personnes de cette ancienne équipe, dix sont parties, dont l’une en retraite. Deux départs volontaires en 2017 et 2018, et, depuis septembre 2018, quatre ruptures conventionnelles et une mise en disponibilité auxquels s’ajoute un licenciement pour inaptitude professionnelle, qui ferait suite à une grande souffrance au travail. D’après le collectif, seul un départ serait réellement volontaire au sens propre du terme. D’après lui, une personne en souffrance serait également en congé maladie depuis décembre 2018. à Tulle, un licenciement a également été enregistré. Sur les vingt-huit postes que comptaient l’Empreinte à sa création, seuls vingt-cinq seraient actuellement pourvus. Et deux autres personnes ont déjà annoncé leur départ (dont l’une n’est en poste que depuis décembre) et d’autres seraient en recherche d’emploi.
Pourquoi partent-ils ?
Si l’on en croit les propos du maire de Brive, repris mot pour mot par Nicolas Blanc (voir encadré), « la création de la scène nationale met en œuvre un processus de réorganisation du travail au regard de la mise en place du nouveau projet ». En d’autres termes, le personnel aurait été réticent au nouveau projet, il valait donc mieux qu’il parte. Une seule personne de Culture 19 affirme avoir effectivement été dans cet état d’esprit. Les autres parlent plutôt d’un nouveau défi à relever, de la fierté d’entrer dans la cour des grands. La première année de présence de Nicolas Blanc a été notamment occupée à préparer la réorganisation à venir. Il parle d’« intelligence collective »… et les salariés du collectif y croient : « Ils nous a fait miroiter plein de choses, et au final, il n’y a rien eu. »
Rapidement, le désarroi prend place : les salariés sont court-circuités, leurs partenaires contactés sans en être informés. On les fait plancher sur des projets qui sont ensuite purement et simplement abandonnés. Pas de fiches de postes, non-sens, désorganisation, non-utilisation des compétences de chacun… le malaise s’installe. On ne s’appuie plus sur les savoir-faire de ces salariés, on les met à l’écart. La direction ne participe plus aux réunions de service. On perd ses responsabilités et on ne sait plus sur quel pied danser. Travail en urgence, destructuration. selon Culture 19, les partenaires grondent. Le sentiment que des années de travail sont jetées à la poubelle.
Certains ont interpellé la médecine et l’inspection du travail, pour s’entendre conseiller de demander une rupture conventionnelle. L’attitude du directeur ? « Il ne dit rien, il ne dit jamais rien, on ne sait pas. » Certains du collectif s’interrogent même sur le fait qu’il dirige, ou qu’il ait complètement laissé les rênes à son adjointe… Il s’est néanmoins distingué parfois, lors des entretiens préalables aux ruptures conventionnelles : aucune équité dans les primes de départ, propos blessants…
Beaucoup de ceux qui sont partis se trouvent dans des situations de précarité importante. Et retrouver un emploi dans le spectacle vivant en Corrèze ne sera pas aisé… Tristesse, gâchis sont les maîtres mots des sentiments qui animent le collectif.
Alors, stratégie ou incompétence ? Pour le moment, le collectif ne sait que penser. Majoritairement briviste, il ne sait pas trop comment les choses sont vécues à Tulle, même s’il soupçonne une grande souffrance également.
Et le public dans tout ça ?
La fréquentation serait en forte baisse. Danse en mai, en serait sûrement l’exemple le plus criant. Pour Culture 19, la programmation n’était pas à la hauteur et le public pas là. La politique de médiation culturelle, vers les quartiers de Brive aurait pris beaucoup de plomb dans l’aile. Le collectif évoque l’apparition de quotas : pour les spectacles qui fonctionnent, attention à ne pas faire venir trop de personnes des quartiers, gardons les places à prix fort ! Faisons-les venir sur les spectacles qui fonctionnent moins bien. Ils apprécieront !
Du côté de la direction
Nous avons informé la direction de l’Empreinte de notre projet d’article, l’invitant à nous faire part de ses remarques. Nicolas Blanc nous a ainsi répondu : « Bonjour, je ne suis pas au courant de l’existence du collectif Culture 19, ni de sa composition, ni du contenu du communiqué que vous avez reçu. Il m’est du coup difficile d’avoir un avis sur la question… Toutefois, au regard des éléments que vous me rapportez sachez qu’au 1er juillet 2018, date de la création de L’empreinte, l’effectif salarié était de vingt-huit postes. Le tableau des effectifs est à ce jour de vingt-huit postes. Depuis le 1er juillet 2018, il y a eu huit départs de la structure, répartis comme suit : un départ à la retraite, un licenciement pour inaptitude, conséquence d’un avis rendu par la médecine du travail, un licenciement économique pour refus de modification substantielle de contrat, une disponibilité d’un agent de la ville de Brive mise à disposition de l’EPCC, quatre ruptures conventionnelles à l’initiative des salariés. Chacun de ces départs est le résultat d’une situation individuelle et particulière. La création de la scène nationale met en œuvre un processus de réorganisation du travail au regard de la mise en place du nouveau projet. La direction travaille régulièrement sur ce sujet avec les représentants du personnel. »
Le lendemain, nous recevions également une réponse signée des délégués du personnel, que nous n’avions pas contactés mais que la direction a invité à répondre, ce qui est en soit assez cocasse :
« […] La délégation du personnel de l’Empreinte élue en octobre 2018 n’a pas été sollicitée pour assister les salariés ayant mis fin à leur collaboration (départs négociés en vue de changement de voie professionnelle selon les cas). Deux licenciements dont un pour inaptitude professionnelle et un économique avec notre assistance, ont été conclus. Une mise en disponibilité d’un an d’un personnel mis à disposition par la mairie, remplacé à ce jour. Un départ à la retraite remplacé à ce jour. De l’ensemble des deux équipes de salariés issus des deux établissements rapprochés en juillet 2018, vingt-sept postes sur vingt-huit sont occupés en CDI, et le dernier poste reste à pourvoir. Rien ne nous permet de remettre en doute la gestion des ressources humaines et la gestion financière de notre établissement. Il reste indéniable qu’une fusion reste un moment complexe, l’équipe doit apprendre à se connaître et à travailler ensemble. »
Si les salariés ne se sentent pas épaulés par leurs délégués, au moins, la direction, elle, l’est ! Le collectif lui ne décompte que vingt-cinq employés, comme l’indique également le site Internet de l’Empreinte.
Par La Blatte