Le président de la Corrèze,en maître ordonnateur de l’eau

Le 24 septembre 2021, le département décide d’élaborer un plan départemental de gestion de l’eau (PDGE). À l’unanimité. Depuis, il y a des réunions de comité de pilotage, de comité technique, de concertation. La finalisation de ce plan innovant avec des bases scientifiques, coconstruit et partagé par les acteurs locaux est prévue en 2024. Super ? Super. Quoique, c’est coconstruit et partagé, mais on a du mal à savoir avec qui vu qu’il n’y a rien de rien sur le sujet sur le site du département. Même pas le nom : « Plan départemental de gestion de l’eau » à l’onglet « Les grands projets ». Pourtant c’est bien un grand projet non ?

L’eau tombe, coule, s’évapore

Et recommence, assidûment, depuis un bout de temps, un grand et long cycle de l’eau, la même eau depuis des temps immémoriaux. Elle coule en fonction des pentes, des sols, des obstacles rencontrés et finit un jour à la mer. Et recommence. L’eau se moque des frontières administratives pour couler ou pleuvoir. C’est pour cette raison que toute politique de l’eau s’appuie sur la délimitation de bassinsversants1. Le département de la Corrèze n’est pas un bassin-versant. Son territoire administratif est quasi intégralement inclus dans le grand bassin-versant Adour-Garonne, à l’exception d’une partie du plateau de Millevaches inclus dans le grand bassin-versant Loire-Bretagne.

L’eau est nécessaire à la vie. Toutes les catégories d’usagers sont représentées pour définir et valider la gestion d’un bassin-versant. Le département innove : son PDGE n’est pas à l’échelle d’un sous-bassin versant et la composition de son comité de pilotage inconnue.

Croqué à l’atelier défi dessins de presse, le 4 mai 2024

Un chevelu d’organismes, un président partout

L’eau c’est compliqué. À force de la tracer, tout le monde se perd dans les cheveux des ruisseaux qui vont à la mer. On ne sait plus lequel suivre. Prenons le Chavanon. Une source à Crocq dans la Creuse, un ruisseau, une rivière qui grossit en recevant d’autres rus et ruisseaux comme la Méouzette, puis il se jette dans la Dordogne au niveau de la retenue de Bort-les-Orgues. L’ensemble de ces cours d’eau forment le bassin-versant du Chavanon. Le tout sur trois départements et deux régions.

Dans le cadre du projet « Chavanon en actions », des acteurs corréziens, creusois et puydômois réunis en comité de pilotage valident un plan d’actions pour atteindre des objectifs définis. Comme le Chavanon est un affluent de la Dordogne, ce plan d’actions doit être cohérent avec d’autres documents de gestion supérieurs, le SAGE (schéma d’aménagement et de gestion des eaux) réalisé pour toute la Dordogne amont et le SDAGE (schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux) du grand bassin Adour-Garonne. De quoi noyer le pékin moyen.

Pas Pascal Coste qui est président du SAGE Dordogne amont, président du département de la Corrèze, qui porte la définition du SAGE Vézère-Auvézère (affluents de la Dordogne), vice-président d’EPIDOR (établissement public qui coordonne la gestion de tout le bassin versant de la Dordogne) et vice-président du conseil d’administration de l’agence de l’eau Adour-Garonne.

De l’amont de la Dordogne à la globalité de tout le grand bassin-versant, Pascal Coste connaît les réglementations, les problématiques, les acteurs, les stratégies en œuvre, à minima à l’échelle du bassin-versant de la Dordogne, mais sans doute élargie à celui de la Vienne puisque celle-ci prend sa source sur le plateau de Millevaches corrézien.

« Politique de soutien à la ressource en eau et à l’agriculture »

C’est le titre d’un ensemble de décisions mises au vote le 24 septembre 2021. Trois pages présentent la réalisation d’une étude prospective sur les ressources en eau et le stockage sur le territoire de la Corrèze (p.139). Puis six pages concernent la politique de soutien à l’adaptation de l’agriculture. Il est prévu de créer une structure pour « porter l’aménagement des ouvrages et leur gestion afin de permettre le soutien à l’étiage, de favoriser le multi-usage de l’eau et permettre l’irrigation de production à haute valeur ajoutée. » Dans la partie comité de pilotage (COPIL) sont listés comme futurs membres « les services de l’État, de l’agence de l’eau, de la chambre d’agriculture, du syndicat des étangs,… ».

Le 23 novembre 2021, des assises de l’eau coorganisées par le département, la préfecture, l’agence de l’eau, etc. réunissent 250 personnes, « le conseil départemental a profité de ces rencontres pour présenter, par la voix de son président Pascal Coste, le plan départemental de gestion de l’eau qui devrait débuter dès janvier 2022 ». Plan départemental de gestion de l’eau, c’est le nom sous lequel apparaît
maintenant cette politique départementale de l’eau née en 2021. Une politique axée sur la gestion quantitative de l’eau et sur le soutien à l’agriculture.

Toutes les variables peuvent être modulées

Quelques mois plus tard, le 8 juillet 2022, des études rendues en conseil départemental présentent des outils de prospective permettant d’imaginer les effets du réchauffement sur les étiages2 à une échelle de
territoire correspondant à des mailles de 8 km de côté. Des données sont entrées et des algorithmes permettent de visualiser sur la carte les effets sur la quantité d’eau. On peut faire varier les boisements, le type d’agriculture, la consommation des ménages… « Toutes les variables peuvent être modulées, qu’il s’agisse du nombre d’habitants, du nombre de consommateurs, des hectares de culture ou du
type d’élevage (p.30) ». Personne, lors du conseil départemental, ne pose de questions sur les données entrées et les incertitudes. Surtout, personne ne demande s’il est tenu compte des effets systèmes. C’est-à-dire savoir si les données attribuées à chaque milieu (forêt, prairie, étang, etc.) sont fixes ou si elles varient en fonction des interrelations avec les milieux proches. C’est le biais cognitif de la machine à modéliser, une fois bâtie, on lui donne foi et elle devient un outil de décision et de planification. De toute façon, « même si la quantité de pluie reste à peu près équivalente sur le territoire de la Corrèze, un déséquilibre se créera entre les réserves hydriques disponibles sur le territoire et les besoins des différents usages dans le futur. Une réflexion doit donc être menée sur des possibilités de conservation et de gestion de l’eau, qui seront intégrées dans l’outil de modélisation (p.30)». Quoiqu’on fasse, il semble qu’on retombe sur un besoin de réserves.

Croqué à l’atelier défi dessins de presse, le 4 mai 2024

Une solidarité amont-aval-interbassins

Les travaux se poursuivent avec des ateliers de concertation dont seuls les membres sont au courant. Rien, sur aucun site. Le 1er décembre 2023, le PDGE est à l’ordre du jour du conseil départemental. On peut lire dans le procès-verbal que la Charente connaît des déficits en eau et que « les enjeux liés à la
réalimentation de ce bassin par les sous bassins de la Vienne et de la Dordogne pourraient potentiellement créer des opportunités pour le déficit hydrique que connaissent les communes du plateau de Millevaches (p.38) ». Vous avez bien lu : une interconnexion entre la Dordogne, la Vienne et la Charente. Pour sécuriser. Cela tombe bien, cette réalimentation est indiquée dans les solutions dites de rupture du document « Charente 2050 ». Le monde de la solidarité est vraiment bien fait. Une étude, portant sur la faisabilité de cette réalimentation, qui suppose des bassins de réserve et des interconnexions de bassin à bassin, est votée à l’unanimité. Pour voir, et puis, est-il dit, si la solution n’est pas bonne pour la Charente mais qu’on prouve que les réserves sont possibles chez nous… Hein ? Une autre décision est proposée : aligner le PDGE en PTGE. Et la lettre et l’interconnexion sont d’importance. En effet, l’État a initié les projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE). Leur objectif est de mobiliser les acteurs locaux sur des bassins-versants en déficit de ressources en eau pour construire des solutions locales partagées.

Pascal Coste connaît les méandres de la politique de l’eau. Le département n’est pas un bassin-versant. Le département de la Corrèze n’est pas en déficit hydrique, c’est Pascal Coste lui-même qui le dit. Le comité de pilotage n’est pas conforme à celui d’un PTGE. D’ailleurs, quand le comité de pilotage a-t-il été informé de l’étude portant sur l’interconnexion et du fait que ce plan pourrait valoir PTGE ? Comment et
par qui sont définies et validées les actions restant dans le document final ? La concertation s’apparente plutôt à une consultation entre acteurs. Comment alors transformer le D en T et permettre l’inscription
d’actions dans les documents supérieurs, et l’obtention de financements publics ? Peut-être en trouvant des solutions, comme une interconnexion de solidarité entre bassins qui améliorerait la situation de bassins déficitaires localement ? Cela semble complexe, mais la volonté départementale est claire : « sous
réserve d’un travail concerté efficace avec les services de l’État, le plan départemental de gestion de la ressource en eau (PDGE) valant projet de territoire de la gestion de la ressource en eau (PTGE) pourrait être arrêté par le conseil départemental de juillet 2024 (p.1) ».

« Mettre des milliers d’euros pour supprimer un barrage, j’y suis opposé »

Croqué à l’atelier défi dessins de presse, le 4 mai 2024

Le 8 mars 2018, La Montagne raconte l’histoire du barrage du Chavanon. Initié après la guerre de 1914, cet ouvrage devait être le plus grand barrage européen de l’époque.

Un premier ouvrage en amont du futur barrage est construit début des années 1920 pour mettre hors d’eau une partie du cours du Chavanon. Une galerie de dérivation souterraine assure l’écoulement de l’eau de la rivière, de ce point à un point en aval, laissant un assec pour les travaux. En raison d’un problème géologique et d’un conflit avec l’État, le chantier s’arrête en 1926. TOUT reste en l’état. Abandonné.

Fin des années 2010, le projet de remise en état porté par EDF, maître d’ouvrage, est intégré dans le programme « Chavanon en actions ». L’idée de voir le Chavanon retrouver son lit cent ans après le découchage est enthousiasmante. Elle fédère le comité de pilotage auquel participe un représentant du département.

Et, le 9 février 2019, La Montagne informe que le département de la Corrèze s’oppose à la destruction du barrage : « Mettre des milliers d’euros pour supprimer un barrage, j’y suis opposé ». Pascal Coste réaffirme qu’il « faut trouver des solutions pour stocker les surplus d’eau de pluie qui tombe en hiver ». Il balaye d’un NON catégorique la concertation tant vantée ailleurs. La demande d’autorisation administrative pour supprimer l’ouvrage, nécessaire dans une telle situation, envoyée aux services de l’État ne devait pas rencontrer de difficultés. La réponse signée du préfet est encore attendue. Aucun lien sans doute.

Le PDGE3 a la faiblesse d’être marqué à sa naissance par l’importance donnée à l’activité agricole et au stockage de l’eau (par le maintien des étangs et par la réalisation de réserves). Il aurait été rassurant que l’importance des zones humides et de leur protection, celle des économies d’eau, des effets des pollutions sur la qualité de l’eau pouvant aussi induire du citernage, soient rappelées autant que celle des
réserves et des interconnexions. Le plan, orienté sur les aspects quantitatifs, projette une eau captée, coulant ou propulsée, d’un bassin-versant à l’autre, au gré des besoins humains. On interconnecte, on ouvre, on ferme, on laisse passer, on empêche. La création d’une continuité à volonté. Il fait penser à une machine infernale, inventant des solutions techniques pour panser les effets des précédents. À force de se prendre pour un Dieu-machine maîtrisant la nature, on finira par se prendre un retour de manivelle de ladite nature, comme me disait un jour un paysan. Corrézien.

Par JULES

  1. Un bassin-versant correspond à l’ensemble de la surface où toute l’eau qui tombe rejoint le même cours d’eau. Les bassins-versants sont délimités par des lignes de partage des eaux. Chaque petit bassin-versant est inclus dans un plus grand, jusqu’au grand bassin-versant défini pour la France, comme Adour-Garonne.
  2. L’étiage correspond à la période des plus basses eaux des cours d’eau et des nappes souterraines (généralement l’été).
  3. Le comité de pilotage du 9 juin a travaillé sur une proposition d’un volet du PDGE (objectifs, voies d’action, dont l’interconnexion semble-t-il. Une version « remoulinée » de ce premier document devrait être votée par le conseil départemental en juillet. Puis un bureau d’études devrait travailler à l’élaboration du plan d’actions et un consultation publique organisée.