Laïcité et religion capitaliste

La laïcité se concrétise en France pendant la Révolution française : l’abolition de l’Ancien Régime en 1789 s’est accompagnée de la fin des privilèges ecclésiastiques, de la réaffirmation de principes universels, dont la liberté de conscience, et de la limitation des libertés religieuses exprimée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Malheureusement, comme tant de grands pas célèbres pour l’humanité, la classe dirigeante finit globalement par en être la plus grande bénéficiaire. La laïcité naît à une époque où les classes dirigeantes royales et catholiques sont confrontées à de grandes crises de légitimité. Nous a-t-elle vraiment libéré du joug des religions ?

Mais qu’est-ce que la religion ?

Bien qu’il n’existe pas d’étymologie universellement reconnue, on peut considérer que la religion est « l’ensemble des représentations du monde, des croyances, des sentiments, des dogmes et des pratiques qui définissent les rapports de l’être humain avec le sacré ».
Mais qu’est-ce qui est sacré ?
D’après le linguiste Asar Imhotep, c’est une interprétation très occidentale que de voir le sacré comme une déité, comme un être supérieur : « Certains soutiennent que le mot religion signifie se lier à Dieu, ce n’est pas une réalité africaine, parce qu’on ne peut pas se lier à quelque chose dont on n’a jamais été séparé en premier lieu, le lien a à voir avec la communauté ».

Dit autrement, dans un langage plus acceptable en Europe : étant donné que les humains sont des mammifères sociaux qui dépendent des autres humains pour tout, ce qui est sacré ne peut pas être seulement un lien entre Dieu et les humains comme nous sommes encouragés à le croire. Le sacré c’est nécessairement le lien entre les humains puisque c’est ce lien-là qui nous permet de survivre. La religion, dans ce sens, peut être comprise comme l’ensemble des représentations du monde, des croyances, des sentiments, des dogmes et des pratiques qui définissent les rapports de l’être humain avec sa communauté.

La laïcité, ou la séparation des institutions religieuses de la société civile, est une illusion qui ne pourra jamais être réalisée parce que la religion, si elle est le lien qui nous permet d’exister en tant que communauté, fait autant partie de l’humanité que la famille ou l’amitié. C’est donc un changement de religion que, selon moi, la recherche de la laïcité en France a effectivement provoqué. Cela n’a pas éliminé la religion de la société civile ou des écoles, mais l’a simplement interchangée. La religion catholique n’est plus prédominante dans l’organisation du lien social, elle a été remplacée par ce que nous appelons aujourd’hui le capitalisme. C’est sans doute maintenant la religion la plus puissante et la plus répandue au monde.

« Le capitalisme est une religion omniprésente dans l’État », Bernard Friot

Le capitalisme et le catholicisme partagent de nombreuses similitudes. D’après David Graeber, dans son livre Dette 5000 ans d’histoire1, ils sont tous deux nés à des périodes où l’argent dominait la société par l’économie de marché. Autrement dit, tous deux sont nés dans des environnements où la logique monétaire était reine. Les deux sont pleins de discours hautement moraux qui entrent directement en conflit avec leur besoin inhérent de hiérarchies et d’inégalités. Et les deux pratiquent et soutiennent depuis longtemps la violence et les forces armées nécessaires au maintien de la hiérarchie et des inégalités.
Une grande différence est que le capitalisme a été inondé à la fois du catholicisme et des Lumières. La philosophie des Lumières a amené beaucoup de gens à croire que la science, la logique et la raison les avaient libérés de la religion et de ce fait ont réfuté certaines responsabilités qu’elle implique. Dans une déclinaison moderne de cette distance envers les autres, Margaret Thatcher est bien connue pour avoir dit « Il n’y a pas de société », aphorisme brutal qui énonce le type de lien désiré par le capitalisme.

Les rois et les reines ont été rebaptisés, les classes dirigeantes préfèrent gouverner en coulisses. Les dieux d’hier ont été rétrogradés et de nouveaux dieux suprêmes tels que la finance, l’économie et la technologie ont pris leur place.
Les injonctions contradictoires se multiplient : l’esclavage a été aboli mais la majorité des gens ne peuvent pas effectivement se soustraire au travail salarié au point que certains n’hésitent pas à parler d’esclaves salariés. Il est considéré complotiste de parler d’empires. Des humains, des terres, des lieux sont toujours sacrifiés (pour le profit).

Des « saints » comme Christophe Colomb et Napoléon incarnent les valeurs impérialistes et colonialistes de la religion capitaliste. Ils sont enseignés et on se doit de les révérer à l’école et dans les institutions. Malheureusement pour les habitants de la planète, le capitalisme, comme les religions judaïques dont il est issu, est une religion apocalyptique qui embrasse la catastrophe nucléaire et/ou climatique à venir. En d’autres termes, un capitaliste préfère provoquer la fin du monde plutôt que d’exister sans sa religion.

Organisez, étudiez, accomplissez les rituels et adoptez les pratiques nécessaires pour nous détacher du capitalisme et nous lier à nous-mêmes, aux familles, aux amis, aux communautés, à l’humanité et à la nature.

Par KAMAL ROBINSON

  1. Les Liens qui Libèrent, 2013