La protection de l’enfance
Dès le Moyen-Âge, les Hôtels-Dieu et l’Église œuvrent pour lutter contre la mort des enfants abandonnés, qui sont légions, et pour lesquels le taux de mortalité infantile est effrayant.
En 1638, Saint-Vincent-de-Paul découvre la situation des enfants trouvés, et organise l’hôpital des Enfants-Trouvés. Plusieurs principes sont adoptés : un dossier par enfant, une réglementation prévoyant le logement, la nourriture, le trousseau, le recrutement des nourrices, le placement des enfants à la campagne, leur surveillance, leur instruction… Des pratiques et un vocabulaire inchangés durant 3 siècles. Il met également en place le premier « tour », à Paris. Ce tourniquet placé dans le mur de l’hospice permet le dépôt anonyme et le recueil secret de l’enfant. Les tours sont abolis en 1904 pour laisser la place à des bureaux d’admission, où les mères peuvent abandonner leur enfant anonymement tout en recevant des conseils. L’accouchement sous X a lui été instauré en 1941.
La révolution marque une étape importante en proclamant le droit à l’assistance. Désormais, ce n’est plus une question de charité mais de justice. Tout individu a droit à la vie, à l’instruction. La société est « solidaire » au sens juridique du terme. Et une loi de 1793 fera obligation pour la nation de s’occuper des enfants abandonnés, qui prendront le nom d’orphelin.
Un siècle plus tard, la loi du 24 juillet 1889 sur la protection judiciaire de l’enfance maltraitée fait apparaître une autre catégorie : les enfants moralement abandonnés. Cette loi donne la possibilité au juge de prononcer une déchéance de puissance paternelle. Pour la première fois, on protège nettement l’enfant contre ses parents. Elle suscite une très forte opposition de la droite, car elle ébranle la notion de famille, l’enfant appartenant dorénavant à l’État, avant d’appartenir à sa famille.
Jusqu’ici, l’Assistance publique était adaptée à recevoir des enfants jeunes et elle avait développé un dispositif de prise en charge matérielle et alimentaire. Avec ces enfants, elle découvre des problèmes nouveaux : ils sont plus âgés, plus perturbés, ils ont vécu des situations difficiles et ils vont perturber le fonctionnement des services. Il faudra donc rééduquer par tous les moyens et donner tout juste ce qu’il faut d’éducation pour en faire d’honnêtes ouvriers. Sont créées des écoles professionnelles spécifiques, mais aussi des maisons de corrections.
Bagnes d’enfants et colonies agricoles ont été supprimés en 1946, mais les pesanteurs institutionnelles ont perduré longtemps. Des éducateurs en fonction dans les années 70 se souviennent d’enfants auxquels on rasait le crâne et qu’on enfermait dans le mitard de l’établissement, à leur retour de fugue…
Au cours du XX° siècle on va s’apercevoir que le « placement » à l’Aide sociale à l’enfance, s’il est parfois nécessaire, est souvent évitable et constitue toujours un danger. D’où le souci grandissant de développer « la prévention » par une aide plus précoce – financière, éducative, psychologique – à la famille. L’ensemble du travail social est mis en cause par le mouvement de 1968 : critiques sociopolitiques (à quoi sert l’éducateur sinon à maintenir l’ordre capitaliste ?) et critiques psychanalytiques. Pendant longtemps la tutelle de l’enfant avait été confiée à des administratifs ; désormais, assistantes sociales, éducateurs spécialisés, psychologues, pédopsychiatres font leur apparition et vont modifier les pratiques.
Le résultat de cette évolution consistera en une diminution des effectifs d’enfants. Grâce à une prise en charge de situations difficiles plus précoce, mieux coordonnée, on est passé d’un service de protection de l’enfance (souvent contre les parents) à un service d’aide à la famille. Ainsi le nombre de mineurs définitivement recueillis (c’est à dire qui sont orphelins ou dont les parents ont été déchus de leur autorité parentale : les « pupilles de l’État ») va baisser au profit de formes d’intervention plus souples et moins ségrégatives.
Du point de vue institutionnel, ce sont les Conseils généraux qui depuis 1986 se sont vus confier la politique de l’Aide sociale à l’enfance, qui incombait jusqu’alors aux DDASS (Directions départementales de L’Action Sanitaire et Sociale, services déconcentrés de l’État).
En Corrèze, 380 enfants sont actuellement confiés au service de l’ASE, et 690 bénéficient d’un accompagnement éducatif à domicile. Ce sont 2,4 % des 0-20 ans en Corrèze qui font l’objet d’une mesure de protection, alors que la moyenne nationale se situe à 1,9 %.