La capacité professionnelle agricole enlève le vert

Camille vivait depuis quelques années en Corrèze. Mais, à l’automne 2023, elle dit « au revoir » aux amis et aux paysages, direction une autre campagne avec le projet de reprendre la ferme familiale, ferme d’élevage engagée en agriculture
biologique depuis plus de trente ans. Une bonne connaissance de la ferme et du système, des savoir-faire, bref une belle installation familiale. Mais tout se complique très vite.

Camille connaît l’agriculture, l’élevage, et la gestion des espaces naturels. Elle est titulaire d’un brevet de technicien supérieur agricole (BTSA) option gestion des espaces naturels (GPN), et aussi d’une licence professionnelle gestion agricole des espaces naturels ruraux (GENA). Elle a travaillé dix-huit mois dans un CIVAM1. Elle a suivi son BTSA en sachant qu’il lui donnait la capacité professionnelle agricole. Mais, elle doute, elle a vu passer quelque chose. Après recherche, la personne du Point Accueil Installation de la chambre d’agriculture a l’info « non, le BTSA GPN ne donne plus la capacité professionnelle », « et la licence pro’ GENA non plus ».

Avoir la capacité professionnelle permet à celui qui veut être paysan d’accéder aux aides qui accompagnent une installation (si on veut les demander) et, surtout, d’avoir le droit d’exploiter des surfaces agricoles louées ou achetées. Sans capacité professionnelle, il faut demander une dérogation ou une autorisation d’exploiter, ce qui complexifie le projet. C’est un arrêté du ministère de l’Agriculture qui choisit les diplômes donnant cette capacité. Jusqu’au 18 février 2022, tous les BTSA la donnaient, quelle que soit la spécialité, et elles sont nombreuses.

Non, le BTS GPN ne donne plus la capacité professionnelle

Donc, le 18 février 2022, un nouvel arrêté est publié. Les BTSA donnant accès à la capacité professionnelle sont listés. Là, surprise du chef, le BTSA GPN, délivré par le ministère de l’Agriculture comme tous les BTSA, est exclu. Un coup d’effaceur. Idem pour la licence pro’ GENA. Pour avoir enseigné dix ans dans ce BTS, je sais qu’un enseignement agricole y est dispensé. Il est impossible de gérer et aménager des espaces naturels sans compréhension des systèmes d’exploitation agricole, d’élevage en particulier. Car sans élevage de nombreux espaces naturels se ferment, sans réflexion sur les pratiques d’abreuvement les ruisseaux se dégradent, etc.

L’exclusion du diplôme de la liste est d’autant plus choquante que des diplômes sans enseignement technique agricole, comme le BTSA développement et animation des territoires ruraux, y sont restés. Il s’agit clairement d’une inégalité de traitement. C’est d’autant plus choquant que l’effet est rétroactif : les titulaires du diplôme avant 2022 la perdent. Camille avait la capacité professionnelle, elle était reconnue capable. Elle n’a perdu aucune compétence mais la disparition d’une ligne lui signifie qu’on s’était trompé. Depuis trente ans, elle et d’autres ont eu la capacité agricole et l’ont perdue du jour au lendemain. Imaginez l’effet d’une telle annonce à un jeune qui commence son parcours d’installation.

Cela s’est fait dans un silence tonitruant : les inspecteurs l’ont appris par hasard, alors que ce sont eux qui connaissent les capacités délivrées par un diplôme, les enseignants l’ont appris tardivement, des administrations le découvrent et sont démunies concernant les conseils ou les procédures à suivre.

Une commission nationale paritaire, à laquelle participent les organisations professionnelles agricoles, dont le syndicat agricole majoritaire, a décidé de rayer ceux qui cherchent à concilier activité agricole et gestion de la biodiversité. Pourtant ils sont nombreux à être devenus paysans ou à vouloir le devenir. Mais visiblement la profession qui manque pourtant de repreneurs ne veut pas d’eux.

  1. Les CIVAM (centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural) sont des groupes d’agriculteurs et de ruraux qui travaillent de manière collective à la transition agroécologique. civam.org

Par MARIE-LAURE PETIT